La perspective fragile de rebond économique entretenue par des restaurants pleins et des plages prises d’assaut par la diaspora cet été ne pèse pas lourd face à la frustration de certains foyers libanais au moment de faire les courses. « Il n’y a aucun contrôle ! Les supermarchés nous arnaquent ! » s’exclame Dolly H., une mère d’une famille nombreuse qui a été contrainte d’éliminer plusieurs produits de sa liste de courses ces derniers mois.
En quatre ans de crise, le Liban a vu les prix en livres libanaises des biens de grande consommation exploser (plus de 270 % de hausse en rythme annuel à fin juillet pour la plupart des catégories de produits, selon les derniers chiffres officiels), sous l’impact de la dépréciation de sa monnaie et de l’inflation mondiale qui s’est accélérée depuis 2020. Et l’autorisation donnée en janvier dernier aux supermarchés et autres commerces assimilés d’afficher leurs prix en dollars, dans une économie dominée par le cash et très dollarisée, n’a pas réussi à rassurer les consommateurs.
Une partie d’entre eux estime, en effet, que les prix ont continué de grimper de façon anormale depuis le début de l’été, malgré la stabilisation du taux de change sur le marché aux environs de 90 000 livres pour un dollar ces derniers mois. « L’idée généralement acceptée selon laquelle les prix se stabiliseront une fois affichés en dollars est erronée, les prix évoluant selon plusieurs facteurs (internationaux et locaux) », se défend le président du syndicat des importateurs de denrées alimentaires, Hani Bohsali.
Un calvaire quotidien
C’est à la fin du mois, lorsque leurs paniers de courses ne sont qu’à moitié remplis et que leurs portefeuilles sont totalement vides, que les ménages qui ne roulent déjà pas sur l’or se retrouvent particulièrement sonnés par la hausse de leurs dépenses allouées à l’achat de biens de grande consommation. Nour Jammoul, une jeune femme de 26 ans vivant seule dans la région de Beyrouth, estime ainsi que son budget mensuel a gonflé de « 80 à 100 dollars » ces derniers mois et que les 250 dollars qu’elle lui réservait sont désormais loin de suffire. « La viande, le poulet, le poisson et les produits laitiers ont enregistré des hausses considérables », recense-t-elle, en précisant faire toujours ses courses au même endroit. Elle affirme en outre avoir été « contrainte de faire une croix sur certains produits devenus excessivement onéreux », citant l’huile de friture, le yaourt grec et les céréales. « J’ai également troqué le lait végétal, devenu trop coûteux, contre du lait animal, plus abordable », déplore-t-elle.
Autre profil, mais constat similaire pour Dolly H., qui élève 4 enfants et voit son quotidien chamboulé, alors que son mari est le seul à subvenir aux besoins de la famille. Elle tente de s’en sortir avec une enveloppe avoisinant les 300 dollars par mois pour ses courses, au prix d’importants sacrifices au niveau de tout ce qui n’est pas de l’ordre du strictement nécessaire. « Les friandises habituelles pour les enfants, comme les chips et le chocolat, sont désormais bannies. Les chips ont été remplacées par du popcorn fait maison et le chocolat a cédé la place à des biscuits plus abordables. Les charcuteries et les fromages industriels ont aussi été rayés de notre liste de courses, remplacés par du fromage blanc ou de la labné que je prépare moi-même à la maison », raconte-t-elle. Dolly H. indique enfin avoir dû faire des concessions sur la qualité de certains produits de première nécessité, comme les couches pour bébé de sa petite dernière, qui souffre d’un handicap. « Mon mari les achète désormais chez Arcenciel (une association caritative bien connue au Liban, NDLR) », déplore-t-elle.
Deux éléments décisifs accentuent le sentiment d’injustice ressenti par les ménages. D’une part, les prix de certains produits affichent des chiffres complètement différents d’une enseigne à l’autre, ce que L’Orient-Le Jour a pu constater en comparant les prix pratiqués par 6 grandes surfaces et petits commerces dans les environs de la capitale sur une vingtaine de produits. Les différences atteignent généralement un maximum de 1 à 2 dollars par référence, ce qui peut rapidement faire gonfler la facture finale. D’autre part, les salaires ne suivent pas l’inflation, alors que les prix sont revenus aux niveaux qu’ils affichaient en 2019, avant que la crise n’éclate, souligne Nassib Ghobril, directeur du département de recherche à la Byblos Bank.
L’impact des taxes
Contactés, les commerçants reconnaissent que les prix augmentent, mais se défendent de tout abus. Pour le président du syndicat des propriétaires de supermarchés, Nabil Fahed, les prix des supermarchés varient selon deux grands critères : les tarifs imposés par les fournisseurs et les coûts supportés par les enseignes pour pouvoir fonctionner.
Et les facteurs qui ont poussé les prix à la hausse ces derniers temps dans un pays qui importe l’essentiel de ce qu’il consomme ne manquent pas. Au niveau de ceux qui impactent les fournisseurs, Nabil Fahed cite l’inflation dans les pays où les importateurs libanais se fournissent, la hausse des coûts d’assurance maritime ou encore l’augmentation récente des droits de douane et des taxes imposés par le gouvernement sortant. Depuis l’entrée en vigueur du budget 2022 en novembre dernier, le taux de change employé par l’administration pour calculer les droits de douane et la TVA a été relevé plusieurs fois pour s’éloigner de l’ancienne parité officielle de 1 507,5 livres pour un dollar et se rapprocher de celle du marché.
« Je pense que c’est le facteur le plus significatif », avance Nabil Fahed, notant qu’il existe un délai de « 2 à 3 mois » entre le moment où un phénomène donné impacte les prix à la source et celui où il est répercuté sur le marché libanais. Hani Bohsali évoque, lui, un phénomène particulièrement marqué ces derniers mois, lié au fait que les commerçants ont d’abord écoulé des marchandises acquises alors que la TVA était au plus bas, mais qu’ils les ont ensuite remplacées après les augmentations décrétées et donc à des prix plus élevés fixés par les fournisseurs.
Un autre élément à prendre en compte est l’augmentation de la facture énergétique des commerces, spécialement ceux qui opèrent leurs propres générateurs pour combler les carences du fournisseur public d’électricité. Une tendance alimentée par la hausse des prix du diesel (plus de 25 % ces trois derniers mois, selon nos calculs) et par le fait que ces générateurs ont dû tourner à plein régime pour alimenter les climatiseurs durant un été particulièrement chaud.
Enfin, la façon dont les marges sont calculées et leur impact sur les prix peuvent varier complètement d’une enseigne à l’autre, indique Hani Bohsali. Nabil Fahed assure de son côté que les marges des supermarchés n’ont pas évolué ces derniers mois et ne sont donc pas la cause de la hausse des prix. « Elles ont même un peu baissé, vu que les supermarchés se sont livré une concurrence féroce à grands coups de promotions pour attirer les clients arrivés cet été », relève-t-il.
Pressions inflationnistes à venir
Déjà difficile, la situation ne semble pas sur le point de s’améliorer à court et moyen terme.
Au niveau mondial, les pressions inflationnistes qui pèsent sur les pays industrialisés devraient se prolonger, à en croire la présidente de la banque centrale européenne, Christine Lagarde, qui s’est exprimée sur le sujet à la fin de la semaine dernière.
Nabil Fahed explique aussi que « les prix des denrées dans un avenir proche seront déterminés par l’issue de l’accord entre l’Ukraine et la Russie concernant l’exportation des céréales, qui influence les prix des céréales et de l’huile de cuisson dans notre région ». Il ajoute que les prix de certaines denrées, comme l’huile d’olive, risquent de s’envoler en raison de l’impact du climat sur les récoltes des producteurs méditerranéens. Il met aussi en avant le cas du riz, dont les cours sont sous pression après la décision du gouvernement indien en juillet d’interdire les exportations de riz blanc non basmati.
Les prix au Liban sont également tributaires des nouvelles mesures fiscales que le Parlement pourrait voter dans le budget de 2023, qui vient de lui être transmis avec plusieurs mois de retard sur le calendrier constitutionnel, et le budget de 2024 que le gouvernement sortant prévoit d’élaborer dans les temps. Outre les mesures liées à la TVA et les droits de douane, le budget de 2022 avait considérablement alourdi les impôts prélevés sur les salaires, obligeant les sociétés opérant au Liban à revoir leur stratégie.
Nassib Ghobril soulève le fait que l’État libanais n’a pas, jusqu’à maintenant, mis les moyens nécessaires pour tenter de juguler l’inflation à travers des choix de politique budgétaire (en réduisant ses dépenses publiques, comme le préconise le Fonds monétaire international), entre autres constats.
Certains prix et/ou poids sont à revérifier comme: 1- Le poids du lait Tatra qui, je crois, doit être 750 g au lieu de 400 g. -2- Le prix de l'huile Mazola chez Le Charcutier -3- Le prix du chips Snips chez Happy -4- les prix du thon chez Le Charcutier
12 h 24, le 01 septembre 2023