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Culture - Rencontre

Musique sur le thème du chaos

La compositrice, artiste et lauréate du Lebanese Movie Award Cynthia Zaven revient sur trois années bien remplies en matière de son.

Musique sur le thème du chaos

Zaven avec le violoniste Silviu Gherasimescu pendant la préparation de la musique du film de Michel Kamoun « Beirut Hold’em ». Photo Lama Sawaya

C’est peu dire que ces dernières années ont été très prenantes pour Cynthia Zaven.

« Tout ce travail découle de cette phase apocalyptique et surréaliste que nous avons tous traversée, explique-t-elle. Je pense que nous la traversons encore, mais nous pensons en quelque sorte que nous devons nous y habituer pour y survivre. L’irresponsabilité, l’injustice, l’effondrement financier – comment peut-on s’habituer ? »

Elle lève son verre d’eau.

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« La seule chose qui m’est apparue très clairement, c’est que j’étais incapable de créer une œuvre visuelle. On m’a proposé de réaliser une exposition solo, de travailler sur des installations pendant cette période. Pour moi, il était absolument impossible d’imaginer quelque chose de visuel. Je me suis donc remise à écrire de la musique, avec une certaine frénésie. J’écrivais tous les jours, je m’arrêtais juste pour déjeuner et je continuais. C’est la discipline qui a prévalu pendant les deux ou trois dernières années. Je pense que c’est ce qui m’a permis de rester saine d’esprit. »

« La seule chose que je pouvais faire était de travailler avec l’invisible, surtout après l’explosion. Je pense que nous avons été sursaturés d’images ».

Parmi les compositions que Zaven a créées depuis 2020 figure Sediments, son premier quatuor, que l’ensemble à cordes Danapris a interprété au festival autrichien Musikprotokoll. Elle a inclus un message en code morse dans la partition, « juxtaposant des tons courts et longs, (que) les quatre instruments ont joué en syncope, créant cette structure décalée. C’est un chaos organisé », explique-t-elle.


Ce n’est pas la première fois que Zaven utilise le cryptogramme internationalement utilisé de Samuel Morse. Elle l’a déjà appliqué en 2012 dans sa pièce pour flûte et accordéon justement intitulée Morse Code. Dans ce contexte, le message codé était une citation de Faulkner : « ... le péché, l’amour et la peur ne sont que des sons que les gens qui n’ont jamais péché, ni aimé, ni craint ont pour ce qu’ils n’ont jamais eu et qu’ils ne peuvent pas avoir tant qu’ils n’ont pas oublié les mots ».

« Curieusement, quelques mois (après la création du quatuor), la pièce pour flûte et accordéon a été jouée à Vienne, dix ans après sa création. C’est une très étrange coïncidence. »


Faire de la musique de film

La compositrice et artiste signe également des musiques de film. Elle a d’ailleurs récemment décroché le prix de la meilleure musique aux Lebanese Movie Awards pour son travail sur Beirut Hold’em, le film de Michel Kammoun sorti en 2022.

Pour Zaven, la musique ne doit jamais être illustrative. (Pour parler d’«illustration musicale », il suffit de penser à la façon dont la musique est utilisée dans les dessins animés Tom et Jerry).

Dans ce domaine, la première question qu’elle pose est la suivante : « Votre film a-t-il besoin de musique ? Si ce n’est pas le cas, la musique sera décorative. Ornementale. »


Le quatuor à cordes Danapris (Andrii Pavlov, Antonii Kedrovskyi, Ihor Zavhorodnii, Viktor Rekalo) lors de ses débuts en 2021 avec « Sediments » de Zaven. Crédit : Video still

L’objectif de la partition, indique-t-elle, est d’« élever l’image vers une dimension différente... Il s’agit toujours d’une collaboration et de faire confiance à l’apport créatif des personnes avec lesquelles vous collaborez. En fin de compte, nous essayons tous de servir le film de la meilleure façon possible ».

Pour illustrer ses propos, l’artiste partage une scène du film Beirut Hold’em où une petite valse accompagne un montage impliquant le protagoniste et ses amis. Il est rare qu’un assemblage de banalités soit accompagné d’une valse.

« Michel voulait une valse et je n’étais pas d’accord, sourit Zaven, mais je pense qu’il a fait le bon choix parce que j’ai fini par aimer cette valse. En ce sens, il m’a convaincue que le thème à trois temps serait très approprié aux images qu’il avait en tête. Cela a bien marché. »

Les projets cinématographiques sont des créatures à plusieurs têtes, qui nécessitent la contribution d’un large éventail de professionnels. Cela convient à Zaven, qui apporte une pratique innée de la collaboration au travail cinématographique comme à la composition autonome. Elle explique qu’elle est généralement impliquée dans tous les aspects sonores d’un film donné, à travailler avec le scénariste, le réalisateur, le monteur et l’ingénieur du son.

Les productions cinématographiques ont également tendance à se développer de manière organique, de sorte qu’aucun projet n’est exactement le même. Elle se souvient que pour son dernier film, elle a été appelée à remplacer le compositeur original un an après le début du processus.

« J’ai reçu un film qui était presque terminé. Le montage était presque achevé. Je n’avais jamais rencontré le réalisateur. Nous faisions donc des Zooms (vidéoconférences, NDLR) de temps en temps. C’était très nouveau pour moi », reconnaît l’artiste qui précise qu’habituellement, le processus de composition commence par le scénario et implique de nombreuses conversations... « Pour Beirut Hold’em, cela a pris plus d’un an et demi, parce que j’étais présente dès le début de la postproduction. D’habitude, tout commence avec le scénario », note la musicienne.

Cynthia Zaven peu après avoir reçu le prix de la meilleure musique aux Lebanese Movie Awards, juillet 2023. Photo Farès Sokhon

« La musique était prête (pour la postproduction de The Last Man et The Valley de Ghassan Salhab, alors quand Ghassan est allé dans la salle de montage, il a coupé le film sur la musique, se souvient-elle. Nous avons ensuite ajusté la musique une fois le montage final terminé. Il est toujours utile pour les cinéastes d’avoir de la musique au moment du montage, car la durée de l’image peut changer radicalement quand il y a de la musique ou du son. »


Donner vie à la musique

Depuis l’explosion au port de Beyrouth en 2020, Zaven n’a cessé de composer. Rien qu’en 2021, elle a créé quatre œuvres, à commencer par sa première œuvre chorale, Madrigal d’Essilio (« Madrigal pour l’exil »), interprétée par Neue Vocalsolisten au festival Éclat pour la nouvelle musique en février 2021.

Fractal, sa création pour l’exposition « The Bridge Cuts Ever So Close to My Balcony » du Beirut Art Center, a été mise en ligne en avril. En septembre, elle a présenté la composition/improvisation 12 Districts avec le Modern Ensemble à Francfort. La première de son quatuor Sediments a eu lieu à Graz (Autriche) en octobre.



« Le festival Musikprotokoll de Graz m’a commandé un quatuor à cordes. Il devait être interprété par le quatuor à cordes Danapris d’Ukraine, que je n’avais jamais rencontré avant les répétitions – deux heures tout au plus avant la représentation. Nous avions communiqué par courrier électronique, mais je n’ai entendu ma pièce pour la première fois que quelques heures avant le concert », affirme-t-elle.

Cynthia Zaven est consciente que c’est une chose d’imaginer son travail dans son esprit ou de l’entendre sur son clavier et que c’est une autre chose de l’entendre en direct. « J’ai été très émue. Ce sont non seulement des musiciens incroyables, mais aussi des êtres humains formidables. C’est la première fois que j’écris pour un quatuor et ils m’ont dit à quel point ils avaient aimé, se souvient-elle. Un mois plus tard, la guerre a éclaté en Ukraine, de manière tout à fait inattendue. »

La pièce 12 Districts est une commande du Modern Ensemble.

Cynthia Zaven au piano, et les 11 musiciens de l’Ensemble Modern, présentent « 12 Districts », sa composition/improvisation basée sur les quartiers de Beyrouth en 2021. Crédit : Cynthia Zaven

« J’ai imaginé la scène comme une carte de Beyrouth et j’ai placé les 12 musiciens dans les 12 quartiers de la ville. J’ai joué un thème au piano, que les autres musiciens ont improvisé en fonction de leur emplacement sur la carte. J’avais une partition graphique, un dessin que nous suivions pour relier tous les instruments et les sons. Le piano commençait par le thème, puis il évoluait à partir des percussions qui se trouvaient derrière moi, de la contrebasse, etc. Les musiciens étaient tous autour du piano et on pouvait sentir le son aller de gauche à droite, de droite à gauche. »

Depuis sa création à Stuttgart, le Madrigal d’Essilio a connu une carrière très animée.

« La pièce a été jouée au moins cinq ou six fois. La dernière fois, c’était au festival Ultima à Oslo. Elle n’a cessé de se transformer de manière organique au fur et à mesure qu’elle était interprétée. Nous avons eu quelques répétitions avant cette dernière représentation, car j’ai eu le temps de réécouter et de me réajuster. »

Au final, Cynthia Zaven avoue adorer l’idée d’écrire de la musique et de l’envoyer à des personnes qu’elle n’a jamais rencontrées et qui finiront par l’interpréter. « Les chanteurs (de Neue Vocalsolisten) et le quatuor à cordes Danapris poussent la musique plus loin, simplement en suivant le texte. C’est à ce moment-là que la musique commence à vivre sa propre vie. »

C’est peu dire que ces dernières années ont été très prenantes pour Cynthia Zaven.« Tout ce travail découle de cette phase apocalyptique et surréaliste que nous avons tous traversée, explique-t-elle. Je pense que nous la traversons encore, mais nous pensons en quelque sorte que nous devons nous y habituer pour y survivre. L’irresponsabilité, l’injustice, l’effondrement financier...

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