L'Arabie saoudite a réduit son portefeuille de bons du Trésor américain en juin, lui faisant atteindre son niveau le plus bas depuis plus de six ans soit 108,1 milliards de dollars, selon les chiffres officiels rapportés par le Financial Times. Un signal de l'intérêt du premier détenteur de dette américaine au Moyen-Orient à investir dans des actions plus risquées mais plus rentables, ainsi qu'à privilégier les investissements nationaux, selon le quotidien britannique. D'aucuns interprètent également cette décision comme une façon pour le royaume saoudien d'augmenter son indépendance face au dollar américain.
En juin, Riyad détenait 108,1 milliards de dollars de titres du Trésor, soit 3,2 milliards de moins qu'en mai. À la fin de l'année dernière, il détenait encore 119,7 milliards de dollars, selon les données du département du Trésor américain. "Cette réduction, la troisième consécutive en rythme mensuel, intervient alors que le premier exportateur mondial de pétrole est confronté à une croissance économique plus faible cette année en raison de la chute des prix du pétrole", indique encore le Financial Times. Les avoirs en bons du Trésor ont ainsi atteint en juin leur plus bas niveau depuis décembre 2016.
Le royaume "consacre davantage de fonds aux actions étrangères et aux investissements nationaux", explique le quotidien britannique. Le ministre des Finances du royaume, Mohammad al-Jadaan, avait déclaré l'année dernière au Financial Times que l'excédent budgétaire du pays, dégagé de la manne pétrolière suite à la flambée des prix des hydrocarbures après l'invasion de l'Ukraine, servirait à accélérer un plan de diversification, qui comprend notamment la mégapole NEOM de 500 milliards de dollars, des stations touristiques et un centre de fabrication de véhicules électriques.
Compétition économique et dédollarisation
Mais les réductions d'avoir en obligations américaines interviennent également au moment où Riyad fait face à Washington sur certains dossiers. Le 5 octobre dernier, l’OPEP+, mené par l'Arabie saoudite, annonçait ainsi réduire sa production de pétrole de deux millions de barils par jour dans un contexte d’inflation généralisée, une décision perçue comme un camouflet à l'administration démocrate de Joe Biden. Pour maintenir des prix élevés du pétrole, le royaume a annoncé en juin une réduction volontaire supplémentaire de sa production d'un million de barils à partir de juillet. Une baisse qui a été prolongée jusqu'en octobre au moins.
Les récentes ventes successives de bons du Trésor peuvent en effet être interprétées comme un nouvel affront, mettant en péril la domination américaine sur la finance internationale. Riyad avait ainsi relancé en mars 2022 la discussion sur le paiement en monnaies nationales de ses échanges commerciaux avec la Chine, faisant planer la menace d'une dédollarisation partielle de l'économie. Un dossier essentiel pour Pékin, qui a lui aussi réduit ses avoirs en bons du Trésor américain de 32 milliards de dollars depuis la fin de l'année dernière, même s'il détient encore la plus importante dette américaine dans le monde, à hauteur de 835 milliards de dollars en juin, selon le Financial Times.
La question de la dédollarisation est en outre à l'ordre du jour de la réunion des pays du BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud) qui doit se tenir à partir de mardi à Johannesburg. Si l'Arabie saoudite a exprimé son intérêt à rejoindre le bloc, ayant diversifié ses partenariats ces dernières années face à ce qu'elle considérait comme un désengagement de Washington dans la région, la relation saoudo-américaine reste néanmoins stratégique. Le royaume tente en effet d'obtenir de son partenaire des concessions, notamment sécuritaires, dans le cadre d'une potentielle normalisation avec Israël.
Les ventes d'obligations américaines interviennent par ailleurs dans un contexte de reprise économique inattendu aux États-Unis, avec une croissance de 2,4% au deuxième trimestre dernier.
Les États-Unis ont également augmenté leurs taux d'intérêt pour lutter contre l'inflation, ce qui facilite le rachat des bons du Trésor mis en vente. Finalement, la comparaison de l'évolution des avoirs saoudiens se base sur les prix du marché, alors que le rendement des bons du Trésor a augmenté depuis 2020 notamment, souligne un économiste de la Réserve fédérale américaine sur le réseau social X (anciennement Twitter), Colin Weiss.
Relativisant la vente des avoirs comme un élément potentiellement déstabilisateur pour les marchés internationaux et la valeur du dollar, Colin Weiss mentionne également dans ses messages que les investisseurs saoudiens ont acheté plus de 50 milliards de titres américains en 2022.
Tout se résout et tout s’arrange, aucun problème à signaler dans l’immédiat.
21 h 36, le 21 août 2023