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Moyen-Orient - ANALYSE

Riyad et Washington : l’impossible divorce ?

La décision le mois dernier de l’OPEP+ de réduire sa production semblait constituer un point de rupture dans la relation américano-saoudienne de près de 80 ans. Les divergences sont certes nombreuses et profondes, mais les enjeux stratégiques communs demeurent.

Riyad et Washington : l’impossible divorce ?

Joe Biden reçu par Mohammad ben Salmane, le 16 juillet dernier, à Djeddah. Mandel Ngan/Pool/AFP via Getty Images

Ces dernières années, leurs trajectoires se sont éloignées au point de paraître irréconciliables. Exacerbées depuis l’invasion de l’Ukraine, les divergences entre l’Arabie saoudite et les États-Unis semblent avoir atteint leur apogée le 5 octobre dernier. Le coup de grâce : l’annonce de l’OPEP+ de réduire sa production de pétrole de 2 millions de barils par jour dans un contexte d’inflation généralisée, un mois avant les élections américaines de mi-mandat qui se sont tenues mardi. La décision, perçue comme un camouflet à l’administration démocrate, qui aurait demandé de la repousser d’un mois, a donné lieu à des échanges secs. Joe Biden évoquant même une « réévaluation » de l’alliance vieille de près de 80 ans. « Les deux piliers de l’équation “pétrole contre sécurité” qui sous-tend la relation américano-saoudienne sont en train de s’affaiblir au moment où les deux pays sont confrontés à une transition énergétique et un ordre post-unipolaire », constate Kristin Smith Diwan, chercheuse à l’Arab Gulf States Institute à Washington.

Trajectoires divergentes

Déjà, dans les années 1970, les rapports bilatéraux avaient été mis à mal, le lien basé sur la question de l’énergie s’en trouvant distendu. C’est suite à l’embargo imposé par les pays arabes exportateurs de pétrole pour son soutien à Israël au moment de la guerre de 1973 que le président Richard Nixon lance une stratégie nationale pour atteindre une indépendance énergétique. La ruée vers le schiste il y a environ une décennie a accéléré cette transition, Washington devenant entre-temps un exportateur de pétrole. S’ils n’ont pas l’influence de l’Arabie saoudite sur le marché de l’énergie, les États-Unis disposent aujourd’hui du plus important stock de sécurité de brut au monde. Pour contenir la hausse des prix, la Maison-Blanche a ainsi décrété le 18 octobre la vente d’une partie de ses réserves stratégiques de pétrole, jusqu’à 15 millions de barils pour le mois de décembre, venant s’ajouter aux 165 millions de barils mis sur le marché depuis mars dernier suite à l’invasion russe.

Entretien

« Sans demander le divorce, Riyad et Washington renégocient leur contrat de mariage »

En réaction à la décision de l’OPEP+ le mois dernier, un groupe d’élus bipartisans a appelé à faire passer la loi antitrust baptisée NOPEC (No Oil Producing and Exporting Cartels Act), débattue depuis plus de vingt ans et qui permettrait de contourner l’immunité souveraine afin de poursuivre des États pour fixation des prix. Souhaitant atteindre l’organisation pétrolière au cœur, des représentants des deux bords ont par ailleurs réclamé la cessation des livraisons d’armes à Riyad, dont

Washington est le premier fournisseur. Une décision qui viendrait durcir la ligne officielle adoptée par Joe Biden au début de son mandat de ne plus fournir d’armes offensives au royaume wahhabite en raison de son rôle dans la guerre au Yémen. Certains démocrates parmi les plus critiques ont même exigé le retrait des équipements et des quelque 5 000 militaires américains basés aux Émirats arabes unis et en Arabie saoudite.

« Les tensions sont représentatives de la lente érosion de la dynamique traditionnelle de patron-client qui existait entre Washington et Riyad, ainsi que du début d’une nouvelle réalité dans laquelle l’Arabie saoudite affirme de manière plus agressive son indépendance et son leadership sur la scène internationale », analyse Anna Jacobs, chercheuse au International Crisis Group. Sous l’impulsion du jeune prince héritier Mohammad ben Salmane, la tendance est à prioriser les intérêts saoudiens, quitte à entrer en confrontation avec l’allié américain. Le divorce semble inévitable et Riyad semble assumer cette décision.

Analyse

Joe Biden pris au piège de sa politique saoudienne

Selon des sources saoudiennes citées par le Wall Street Journal, le royaume serait prêt à vendre des bons du Trésor américain, dont il détient plus de 119 milliards de dollars, en cas de vote de la loi NOPEC. Bien que Riyad ne soit que le 16e détenteur mondial, cette décision pourrait déstabiliser les marchés et augmenter les taux d’intérêt pour les ménages et les entreprises aux États-Unis. Dans une volonté de signifier le découplement de sa politique par rapport à Washington, le dauphin saoudien, nommé Premier ministre fin septembre, a exprimé l’espoir de voir l’autosuffisance des industries militaires nationales passer de 15 % à 50 % avec le nouveau ministre de la Défense, son frère cadet, Khaled ben Salmane. Avec l’aide de la Chine, le royaume wahhabite cherche ainsi à développer des missiles balistiques de fabrication locale, selon des informations révélées par CNN en décembre dernier.

Alliances de convenance

Devenu le premier importateur de pétrole saoudien, Pékin gère également le déploiement du réseau 5G à travers l’entreprise Huawei, faisant de l’empire du Milieu un partenaire stratégique du royaume wahhabite, au grand dam des États-Unis. Autre partenaire des Saoudiens dans le viseur des Américains : la Russie, à laquelle la récente décision de l’OPEP+ permet de continuer à financer son effort de guerre, à l’heure où les Occidentaux tentent de faire front commun derrière l’Ukraine. « Le prince héritier Mohammad ben Salmane considère que l’ordre géopolitique émergent est malléable, composé d’un ensemble de parties imbriquées et il estime que Riyad a le droit de travailler avec une constellation mouvante de partenaires pour influencer les marchés et façonner des dénouements politiques », suggère dans Foreign Affairs Karen Young, chercheuse au Center on Global Energy Policy à l’Université de Columbia. « Cette vision est un rêve du mouvement des non-alignés des années 1970, sauf que le trait commun n’est plus un sursaut postcolonial mais un opportunisme nationaliste », ajoute-t-elle.

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Cette diversification des alliances de convenance s’est accélérée en réaction aux déconvenues du Golfe liées au désengagement américain de la région entamé sous Barack Obama au profit d’un pivot vers l’Asie. Une politique qui a contribué à la dérive de la relation. L’accord sur le nucléaire iranien signé en 2015, censé apaiser les tensions dans la région, a provoqué la colère des alliés de Washington qui n’avaient pas été consultés au préalable. Donald Trump, pourtant proche des pétromonarchies du Golfe, a quant à lui créé un traumatisme en raison de son absence de réaction aux attaques contre les installations d’Aramco en 2019, attribuées à l’Iran. Le parapluie sécuritaire semblait alors irrémédiablement défaillant, et l’arrivée de Joe Biden à la Maison-Blanche n’a fait qu’accentuer la défiance de Riyad à l’égard de Washington. Le président démocrate avait promis de faire de l’Arabie saoudite un État « paria » après l’affaire Khashoggi, refusant de s’adresser directement au prince héritier jusqu’à son voyage à Djeddah en juillet. Tandis que les attaques répétées des rebelles houthis sur le territoire saoudien, ainsi que sur le sol émirati en janvier dernier, n’ont soulevé que des condamnations, Washington s’est vu reprocher ses doubles standards au début de la guerre en Ukraine.

Coopération nécessaire

Malgré l’antipathie mutuelle qui existe entre les deux dirigeants, les alliés peinent à se quitter. « L’administration Biden est équivoque au sujet de l’Arabie saoudite. Elle n’est pas à la hauteur pour prendre des mesures déterminantes afin de punir Mohammad ben Salmane, qui est irraisonné et dangereux, et préfère l’inaction (en réponse à la décision de l’OPEP+) », juge Bruce Riedel, directeur de l’Intelligence Project à la Brookings Institution. C’est que les enjeux pour les deux partenaires stratégiques sont immenses. La menace d’un Iran nucléaire, la stabilité des marchés énergétiques ou encore la polarisation à marche forcée de la communauté internationale autour de la guerre en Ukraine sont autant de facteurs qui rendent un divorce plus compliqué qu’il n’y paraît. Face au lobby militaire et à la distinction ambiguë entre armes offensives et défensives, le Congrès a ainsi validé un contrat de 650 millions de dollars avec Riyad en décembre dernier, avant que l’administration Biden approuve en août la vente potentielle de missiles Patriot et d’équipements annexes pour plus de 3 milliards de dollars au royaume saoudien. « Mener des représailles contre l’un ou l’autre des axes de l’équation “pétrole contre sécurité” nuit aux deux pays », résume Kristin Smith Diwan.

Dans le but de se prémunir de toutes représailles pouvant déstabiliser les marchés énergétiques, le G7 a fait savoir que sa politique de plafonnement des prix du pétrole dirigée contre Moscou, qui devrait entrer en vigueur le 5 décembre, ne concernerait pas les autres pays membres de l’OPEP+. Riyad a promis de son côté 400 millions de dollars d’aide à l’Ukraine pour signifier que son alignement avec Moscou au sein de l’organisation pétrolière était surtout pragmatique. Autre signe d’apaisement, les États-Unis ont fait décoller vers l’Iran des avions militaires basés dans le golfe Arabique la semaine dernière, selon des révélations du Washington Post, après avoir reçu des renseignements transmis par l’Arabie saoudite sur des attaques iraniennes imminentes contre des cibles dans le royaume et à Erbil, capitale du Kurdistan irakien. « La relation est trop stratégique pour s’effondrer, confirme Anna Jacobs. Au-delà du concept “pétrole contre sécurité”, elle comporte des éléments importants de lutte antiterroriste, de sécurité régionale et de coopération économique, dont bénéficient à la fois les Américains et les Saoudiens. »

Le divorce, qui paraissait inévitable, serait finalement impossible. En toile de fond, au moment où les négociations de Vienne sont de nouveau au point mort, que des drones iraniens sont utilisés par Moscou sur le théâtre ukrainien et que les manifestations se poursuivent près de deux mois après la mort de Mahsa Amini : la menace iranienne. Selon un rapport du International Institute for Strategic Studies publié mercredi, la République islamique serait à moins d’une semaine de produire suffisamment de matière fissile pour produire une arme nucléaire. Au cœur de sa première tournée au Moyen-Orient en tant que président, qui l’a mené cet été de Tel-Aviv à Djeddah, Joe Biden a tenté de poser les bases d’une architecture sécuritaire régionale intégrant Israël. Pour laquelle il a cherché la légitimité et le soutien du poids lourd sunnite de la région. Si le royaume wahhabite s’est entendu cet été avec l’État hébreu, par l’intermédiaire des Américains, pour régler un différend territorial impliquant Le Caire, il résiste encore, sous le règne du roi Salmane, à normaliser ses relations avec Israël, contrairement à Abou Dhabi, fer de lance des accords d’Abraham. Partenaires moins conflictuels, les Émirats arabes unis ont certes, à l’instar d’autres pays du Golfe, soutenu publiquement la décision de l’OPEP+ poussée par les Saoudiens. « Mais à travers des canaux de communication détournés, ils ont fait savoir aux Américains qu’ils auraient préféré une position de marché moins conflictuelle », affirme Kristin Smith Diwan. « Les États-Unis seront enclins à les soutenir pour qu’ils défendent leur cause », conclut-elle.

Ces dernières années, leurs trajectoires se sont éloignées au point de paraître irréconciliables. Exacerbées depuis l’invasion de l’Ukraine, les divergences entre l’Arabie saoudite et les États-Unis semblent avoir atteint leur apogée le 5 octobre dernier. Le coup de grâce : l’annonce de l’OPEP+ de réduire sa production de pétrole de 2 millions de barils par jour dans un...

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Quand l’Iran va envahir l’Arabie saoudite, on va bien rigoler…

Eleni Caridopoulou

18 h 04, le 11 novembre 2022

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Commentaires (1)

  • Quand l’Iran va envahir l’Arabie saoudite, on va bien rigoler…

    Eleni Caridopoulou

    18 h 04, le 11 novembre 2022

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