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Politique - REPORTAGE

Kahalé, le jour d’après

Endeuillés après avoir perdu un des leurs, les habitants du village ont eu peur « pour leurs enfants », mais se disent aussi « habitués » aux drames.

Kahalé, le jour d’après

L'église Saint-Antoine, sur la route principale de Kahalé, le jeudi 10 août 2023. Photo João Sousa

Kahalé, au petit matin. Le calme est revenu. Peut-être un peu trop. « Ils ont tout effacé », dit Johnny, propriétaire d’une épicerie. Des morceaux de verre brisé et des douilles, il ne reste plus rien. Une équipe de la Défense civile est arrivée à l’aube. Elle a pris soin de tout nettoyer. Seuls quelques balles, un bout de pare-choc avant et une flaque de sang – celui de Fady Bejjani, « martyr » local – évoquent le dérapage de la veille. Le « reste », le camion ainsi que sa mystérieuse cargaison ont été évacués pendant la nuit.

Au lendemain de l'accident ayant provoqué un affrontement armé entre des partisans du Hezbollah et des hommes du village, rares sont les habitants à s'aventurer en dehors de chez eux. La nuit a été longue. Ils ont eu peur « pour leurs enfants ». Mais ils sont aussi « habitués », dit Élie Abou Khalil, un commerçant. À quoi ? « À tout, aux accidents, aux problèmes, à porter la misère du monde. » À mi-chemin entre Baabda et Aley, Kahalé gravite autour de son artère principale. L’église, l’épicier, plusieurs boucheries, et le furn du coin s’y côtoient à quelques mètres de distance. Ici, la route est réputée dangereuse. En épingle à cheveux, on la surnomme kou’ el khatar. L’autostrade est aussi un axe commercial important et un point de passage incontournable en direction de la montagne, la Békaa et la Syrie. « Il n’y a pas un village dans tout le Liban qui est autant traversé que le nôtre », souffle Élie Abou Khalil.

Repère

Tout ce que l’on sait sur ce qui s’est passé à Kahalé

Ici, il ne se passe pas plus d’une poignée de secondes sans qu’un fourgon n’emprunte l’artère. Les accidents comme celui de mercredi sont quasi quotidiens. Alors personne n’était vraiment surpris quand un camion a dévié de sa trajectoire, se renversant sur le flanc et glissant de plusieurs mètres au milieu de la route. « Je l’ai entendu faire un bruit bizarre au loin, j’ai senti que ses freins avaient lâché, qu’il allait se renverser », dit Johnny. Mohammad, employé dans une échoppe, fait partie de ceux qui se sont précipités sur le lieu de l’accident afin de s’enquérir de l’état de santé du chauffeur et d’apporter les premiers soins. « Il était en sang, disait qu’il avait mal à la poitrine, ne voulait pas sortir du véhicule. Il avait l’air effrayé », se souvient le jeune homme. Quelques minutes plus tard, cinq, peut-être plus, des hommes en civil débarquent sur la scène. « Ils ont encerclé le camion, nous ont demandé en criant de nous éloigner », se souvient ce dernier. En réaction, les habitants bloquent la circulation. Ce qui était jusque-là un banal accident de la route ne l’est déjà plus. La suite, les Libanais la suivront en direct à la télévision ou sur les réseaux sociaux. Les échanges de tirs entre le Hezbollah et les habitants feront deux morts. Un de chaque côté.

Johnny est propriétaire d'une épicerie sur la route principale de Kahalé. Photo João Sousa

De l'autobus au camion

Le lendemain, la circulation a repris et la plupart des commerces ont rouvert leurs portes. Mais la présence en nombre des forces de l'ordre rappelle que ce n'est pas un matin ordinaire. Trois jeeps et une petite vingtaine de soldats campent en bord de route. Certains discutent, d’autres observent le va-et-vient de journalistes matinaux venus recoller les morceaux d’une étrange affaire. Engoncés dans des uniformes trop lourds, les militaires n’ont plus rien à faire mais occupent sagement le terrain. Comme pour se faire pardonner quelque chose. La veille, malgré les nombreux appels des villageois, l’armée avait mis plusieurs heures avant d’intervenir sur les lieux de l'incident. Une fois sur place, elle s'en prend aux habitants, « en frappe plusieurs, certains à l’épaule, d’autres à la tête », témoigne une jeune fille.

Les équipes de la police judiciaire et des Forces de sécurité enquêtent sur les lieux de l'incident, à Kahalé, jeudi 10 août 2023. Photo João Sousa

Un peu plus bas, au pied de l’église Saint-Antoine, la voiture de « Aamo Fady » est restée là où il l’avait garée. Les vitres brisées et la carrosserie perforée, la Toyota Yaris est l’un des rares objets dont disposent les équipes d’enquêteurs fraîchement débarquées. Avec des gants en latex et tout le sérieux du monde, la police judiciaire et les Forces de sécurité balisent les lieux. Ils inspectent la scène à l’affut d’« indices ». Face aux caméras des médias, ils s’affairent, prennent la pose. Leur zèle ferait presque oublier l’absurdité de la situation : les principales preuves recherchées se sont « évaporées » un peu plus tôt.

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Le calme est revenu mais en apparence seulement. Le reste du pays tremble encore à l’idée d’avoir évité le pire. Le petit village de la montagne libanaise s’est invité dans l’actualité. Bientôt, on évoquera « Kahalé » comme on parle de « Tayouné » : un instant où tout aurait pu basculer. En glissant dans le rouge, la bourgade suspend le refrain de l’été. La crise, la chaleur, la vacance présidentielle – tout est devenu secondaire. L’assassinat quelques jours plus tôt à Aïn Ebel, dans le Sud, d’un ancien cadre des Forces libanaises avait déjà contribué à tendre l’atmosphère. Moins d’une semaine après son troisième anniversaire, le 4- Août est présent dans tous les esprits. Et puis il y a les fantômes du 13-Avril, ceux qui n’ont jamais vraiment quitté les lieux. « De l’autobus au camion, de Aïn el-Remmané à Kahalé, il n’y a qu’un pas », murmurent certains. Le temps d’une nuit, le bourg est devenu l’épicentre d’un pays qui a fait du précaire une religion. « Priez-pour nous », lâche au téléphone une employée de la municipalité.

Kahalé, au petit matin. Le calme est revenu. Peut-être un peu trop. « Ils ont tout effacé », dit Johnny, propriétaire d’une épicerie. Des morceaux de verre brisé et des douilles, il ne reste plus rien. Une équipe de la Défense civile est arrivée à l’aube. Elle a pris soin de tout nettoyer. Seuls quelques balles, un bout de pare-choc avant et une flaque de sang – celui de Fady...

commentaires (3)

Espérons que notre chère armée sera assez intelligente pour ne pas tomber dans le piège de HN qui veut absolument la montrer du doigt en suggérant son parti pris pour que les libanais se désolidarisent d’elle et qu’elle devienne le bouc émissaire et la responsable des actes de ce parti maudit en la transformant en allié au lieu d’être l’arbitre et le seul refuge des libanais qui croient encore en elle. D’après les témoignages, elle n’a pas montré son impartialité et ça, ça n’est pas bon signe pour les jours à venir. Tout se prépare en amont chez ces démons de fossoyeurs et il est impératif d’être prêts pour ne pas tomber dans les pièges mille fois répétés afin d’arriver au but. Si le dernier rempart se brise alors les fossoyeurs gagneront le doigt dans le nez. Joseph Aoun n’a pas à amadouer ou à prouver sa sollicitude à HN pour obtenir son accord quant à sa candidature à la présidentielle, il risque de perdre l’appui de tous les autres et se retrouvera seul comme tous les autres alliés contre nature avant lui. C’est gros comme une maison, alors Monsieur restez droit dans vos bottes si vous voulez vraiment que le Liban s’en sorte et qu’un président digne de ce nom soit élu et non imposé par la force des armes. Vous n’avez pas le choix c’est un devoir.

Sissi zayyat

10 h 02, le 11 août 2023

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Commentaires (3)

  • Espérons que notre chère armée sera assez intelligente pour ne pas tomber dans le piège de HN qui veut absolument la montrer du doigt en suggérant son parti pris pour que les libanais se désolidarisent d’elle et qu’elle devienne le bouc émissaire et la responsable des actes de ce parti maudit en la transformant en allié au lieu d’être l’arbitre et le seul refuge des libanais qui croient encore en elle. D’après les témoignages, elle n’a pas montré son impartialité et ça, ça n’est pas bon signe pour les jours à venir. Tout se prépare en amont chez ces démons de fossoyeurs et il est impératif d’être prêts pour ne pas tomber dans les pièges mille fois répétés afin d’arriver au but. Si le dernier rempart se brise alors les fossoyeurs gagneront le doigt dans le nez. Joseph Aoun n’a pas à amadouer ou à prouver sa sollicitude à HN pour obtenir son accord quant à sa candidature à la présidentielle, il risque de perdre l’appui de tous les autres et se retrouvera seul comme tous les autres alliés contre nature avant lui. C’est gros comme une maison, alors Monsieur restez droit dans vos bottes si vous voulez vraiment que le Liban s’en sorte et qu’un président digne de ce nom soit élu et non imposé par la force des armes. Vous n’avez pas le choix c’est un devoir.

    Sissi zayyat

    10 h 02, le 11 août 2023

  • Depuis la tragedie due au stockage du nitrate au port, les Libanais se mefient de tous les "transports" que peut operer le Hezb. Les habitants de Kahale ont peut-etre surreagi a la vue des malabars du Hezb qui leur intimaient brutalement l'ordre de s'eloigner du lieu de l'accident. Mais leur inquietude face a un chargement suspect est legitime. Une explosion mortelle est si vite arrivee. Non ?

    Michel Trad

    20 h 23, le 10 août 2023

  • Il y a manifestement un problème de maintenance des camions et de formation des chauffeurs au sein du hezb...pour le reste, tout va pour le mieux dans le pays. N'est-ce pas ?

    IBN KHALDOUN

    20 h 09, le 10 août 2023

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