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Société - Repère

Des terres qui appartiennent à tout le monde : ces litiges fonciers au Liban

Depuis l’indépendance en 1943, l’État libanais n’a pas enregistré l’ensemble des terrains du pays dans le cadastre, ce qui a donné lieu à un nombre de conflits.

Des terres qui appartiennent à tout le monde : ces litiges fonciers au Liban

Vue de Kornet el-Saouda, une des régions disputées au Liban. Photo Claire Srour

Ils sont régulièrement source de tensions et dégénèrent parfois en affrontements armés qui font des victimes. Au Liban, les litiges fonciers, du nord au sud en passant par la Békaa, se poursuivent depuis des années. Au cœur de ces disputes qui dérapent, des terrains n’ayant jamais été définis par l’État libanais depuis l’indépendance en 1943 et qui ne figurent donc pas dans les registres fonciers.

À l’époque du mandat français (1920-1943), environ 50 % du cadastre a été effectué par la France, explique à L’Orient-Le Jour l’ancien député Farès Souhaid. « Les autorités libanaises ont ensuite procédé à l’enregistrement au cadastre d’environ 20 % du reste des terrains, mais leur travail est resté inachevé avec la guerre civile (1975-1990). Le cadastre n’a pas repris avec la fin du conflit, un nouvel équilibre des forces politiques ayant été instauré », ajoute M. Souhaid.

En attendant d’être inclus dans les registres fonciers, certains lots continuent de suivre une classification héritée de l’Empire ottoman, qui a occupé le Liban pendant 400 ans. On retrouve ainsi, parmi les régions disputées, des terrains « amiris », qui appartenaient aux gouverneurs locaux de l’époque, ainsi que des terrains indivis des collectivités locales.

Des villages entiers, eux, continuent parfois de suivre la mesure ottomane dite du « qirat », ce qui n’est pas sans compliquer la vente, l’achat ou la succession. L’universitaire Issam Khalifé explique que dans ce genre de situation, les délimitations de chaque terrain sont transmises de père en fils, et la présence du mokhtar du village est nécessaire pour chaque transaction.

L’Orient-Le Jour revient sur quatre grands litiges fonciers qui font souvent l’actualité :

1. Fneideq vs Akkar el-Atika : à la conquête de la Qammouaa

Le site naturel de Qammouaa au Liban-Nord. Photo Kassem Hamadé

Au Liban-Nord, un conflit oppose depuis des décennies deux villages voisins, Fneideq et Akkar el-Atika, tous deux à majorité sunnite. Chacun revendique la propriété du site naturel de la Qammouaa, documents à l’appui.

La Qammouaa, qui s’étend sur 17 millions de mètres carrés, abrite de nombreuses espèces d’arbres, de plantes ainsi que des terrains agricoles. Elle constitue également une attraction touristique en été. Plusieurs tentatives d’en faire une réserve naturelle se sont soldées par un échec.

De nombreuses victimes ont fait les frais de ce conflit. Fin juin 2023, un garde forestier de Akkar el-Atika a été retrouvé mort dans des circonstances obscures. En août 2021, un jeune homme originaire de Fneideq est mort lors de heurts survenus dans la Qammouaa dans une affaire d’abattage illégal d’arbres dans le secteur.

Le journaliste Moustapha el-Bachir, qui connaît bien ce dossier, rappelle que l’ancien Premier ministre Saad Hariri avait tenté de compléter les travaux du cadastre à la Qammouaa afin de mettre fin au conflit. Mais ce chantier n’a jamais vu le jour, « en l’absence de volonté de la part de certains habitants », explique-t-il à L’OLJ.

2. Bécharré vs Denniyé : à qui appartient Kornet el-Saouda ?

Une vue des hauteurs de Kornet el-Saouda. Photo Samih Zaatar

La magnifique Kornet el-Saouda, qui culmine à plus de 3 000 mètres d’altitude, est le plus haut sommet du Liban. Situé entre la bourgade chrétienne de Bécharré (caza de Bécharré) et le village sunnite de Bkaasafrine (Denniyé), ce sommet est disputé par les deux municipalités, mais aussi par les deux cazas, Bécharré et Denniyé.

Kornet el-Saouda est un terrain indivis qui est censé être géré par les municipalités de la région, mais l’absence de délimitation précise ravive les conflits chaque été autour des réserves en eau de la région.

Les incidents se sont multiplités à Kornet el-Saouda. Le dernier en date s’est produit le 1er juillet 2023 et a coûté la vie à deux hommes de Bécharré après un échange de coups de feu avec des habitants de Bkaasafrine ainsi que de l’armée libanaise qui a une base dans la région.

En 2021, la municipalité de Bkaasafrine avait accusé Bécharré d’avoir tué du bétail à Kornet el-Saouda.

En juin 2020, des personnes originaires de Denniyé puis d’autres de Miriata (Zghorta) ont été la cible de coups de feu dans le secteur, à quelques jours d’intervalle. Durant la même période, des inconnus ont saboté des canalisations servant à irriguer des terres agricoles à Denniyé.


3. Akoura vs Yammouné : le jurd de la discorde

Des randonneurs sur le sentier de Akoura-Afqa, dans le jurd de Akoura. Photo Christian Akhrass

Le jurd (haute montagne) de Akoura, un magnifique site naturel qui abrite arbres et bassins d’eau, est disputé par le village chrétien de Akoura (caza de Jbeil) et son voisin chiite Yammouné (caza de Baalbeck). Chacun des villages estime que le jurd lui appartient et présente des documents à l’appui.

Pour comprendre les origines de ce litige, il faut remonter au temps du Grand Liban. À cette époque-là, la frontière a été dessinée entre le Mont-Liban et la Békaa, et la partie du jurd objet du conflit a été officiellement octroyée à Akoura en 1936, dans le cadre d’une décision de justice qui sera reconfirmée en 1967 lors d’un recensement des cadastres à Yammouné. Une décision contestée depuis par les habitants de Yammouné.

Selon le site d’information al-Modon, le premier incident enregistré entre ces deux localités remonte à 1934 et a fait 20 morts à cause d’une dispute sur le foin servant à nourrir le bétail.

L’historien Alexandre Abi Younès raconte à L’OLJ que l’armée libanaise a tenté, à l’époque du mandat du président Fouad Chéhab (1958-1964), de mettre un terme au conflit en délimitant la frontière entre les deux villages selon les dessins adoptés pour séparer la moutassarrifiya du Mont-Liban du vilayet de Damas sous l’Empire ottoman. Ce processus avait abouti à une réconciliation entre les familles Chreif (de Yammouné) et Abi Younès (de Akoura), qui avaient alors entrepris de se raser mutuellement dans un geste symbolique de réconciliation. Mais cette entente a fait long feu.

En 2018, des membres armés de la famille Chreif ont tiré sur deux agents municipaux de Akoura qui patrouillaient dans des terrains revendiqués par Yammouné. Cet incident avait poussé plusieurs responsables, dont le chef du Hezbollah Hassan Nasrallah et le patriarche maronite Béchara Raï, à appeler au calme.


4. Lassa : des habitants chiites face à l’Église maronite

Vue du village de Lassa, dans le caza de Jbeil. Photo Béchara Maroun

À la différence des autres litiges, qui concernent principalement des terrains « amiris » ou indivis, à Lassa (caza de Jbeil) le conflit tourne autour de propriétés privées, prenant, encore une fois, une tournure confessionnelle.

Le village de Lassa, qui comprend une population à majorité chiite et à minorité chrétienne, est régulièrement le théâtre de litiges autour de constructions illégales. Ces différends ont longtemps opposé l’archevêché de Jounieh, qui possède des terrains à Lassa, à des habitants chiites de la région.

L’archevêché revendique à Lassa la propriété de biens-fonds totalisant plus de trois millions de mètres carrés acquis dans les années 1930. Les cartes de délimitation de ces biens-fonds datent de 1939. Au début des années 2000, plus d’un million de mètres avaient fait l’objet d’une vaste opération de cadastrage officiel, et des titres de propriété foncière avaient été délivrés à l’archevêché sur un grand nombre de parcelles.

Toutefois, plus de 70 plaintes ont été déposées, depuis, par l’archevêché contre des empiètements sur ces parcelles, notamment la construction illégale de maisons. Certains litiges ont impliqué, par moments, des membres du Hezbollah installés à Lassa.

L’ancien député Farès Souhaid explique à L’OLJ que le litige à Lassa « n’est pas un problème confessionnel à la base, mais un problème administratif qui a pris des allures de conflit communautaire ». « Les chiites considèrent que les cadastres effectués à l’époque du mandat français ont consacré l’hégémonie des chrétiens. Ils pensent que la corruption politique du mandat a donné des terrains à ceux qui ne le méritaient pas », souligne-t-il.

Ils sont régulièrement source de tensions et dégénèrent parfois en affrontements armés qui font des victimes. Au Liban, les litiges fonciers, du nord au sud en passant par la Békaa, se poursuivent depuis des années. Au cœur de ces disputes qui dérapent, des terrains n’ayant jamais été définis par l’État libanais depuis l’indépendance en 1943 et qui ne figurent donc pas dans...
commentaires (4)

Ils n’ont pas le temps de vaquer à leurs responsabilités, ils ont mieux à faire, assécher les biens publiques et les détourner pour faire fructifier leurs fortunes mal acquises.

Sissi zayyat

10 h 40, le 02 août 2023

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Commentaires (4)

  • Ils n’ont pas le temps de vaquer à leurs responsabilités, ils ont mieux à faire, assécher les biens publiques et les détourner pour faire fructifier leurs fortunes mal acquises.

    Sissi zayyat

    10 h 40, le 02 août 2023

  • Que chaque municipalité présente comment elle projette d’exploiter (ou pas) les terrains litigieux. Le meilleur projet pour le tourisme au Liban l’emportera. Yalla, faites vibrer votre créativité et vos fibres patriotiques pour une fois!…

    Gros Gnon

    06 h 06, le 02 août 2023

  • On en revient toujours à la lenteur (ou à l'absence) de l'Etat de Droit...meme la justice administrative. En plus les tribunaux sont à peine informatisés!!!! Je comprends mieux depuis un certain temps pourquoi il ya autant d'avocats au Liban.

    Moi

    13 h 56, le 01 août 2023

  • A quoi ca sert de delimiter les terrains prives quand le moindre petit sous-traitant d'EDL peut envahir impunement avec ses poteaux electriques les terrains de ses voisins avec la bendiction de la canaille qui dirige EDL et la passivite de la justice qui, comme d'habitude, protege les puissants. Ca sent de plus en plus mauvais dans les couloirs de la republique.

    Michel Trad

    12 h 43, le 01 août 2023

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