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Société - Portrait

Hwaida Turk, “Madame la Mohafez”

Originaire de Saïda, la nouvelle mohafez bénéficie d’une expérience reconnue dans les services publics.

Hwaida Turk, “Madame la Mohafez”

Hwaida Turk a été nommée gouverneure de Nabatiyé le 16 juillet. Photo ANI

C’est une première. Alors qu’au Liban, on ne compte qu’une seule ministre et huit députées (sur 128), Hwaida Moustapha Turk est la première femme à avoir été nommée mohafez (gouverneure) par intérim. Le 17 juillet, cette professeure universitaire, née à Saïda en 1971, a officiellement été annoncée comme prenant la tête du mohafazat de Nabatiyé, qui regroupe les quatre cazas de la ville éponyme, Bint Jbeil, Hasbaya et Marjeyoun. Entrée en fonction le 20 juillet, elle prend ce poste administratif après le départ à la retraite de l’ancien gouverneur – occupant lui aussi cette fonction par intérim – Hassan Mahmoud Fakih. Selon la note adressée par le ministre sortant de l’Intérieur et des Municipalités Bassam Maoulaoui, cette nomination a pour objectif « de respecter les exigences et le bon fonctionnement du travail administratif » et de « pourvoir un poste vacant conformément aux règles ».

Si la fonction de mohafez n’est pas éminemment politique, la gouverneure est la représentante des appareils étatiques dans sa région, et particulièrement du ministère de l’Intérieur. Elle veille notamment à la bonne application des lois, au maintien de l’ordre, au respect des libertés individuelles et de la propriété privée. « Forcément, ce poste représente aussi un aspect politique, outre le développement et l’administratif, car le mohafez a un pouvoir de contrôle des municipalités. Il travaille en coordination avec les députés et les organismes sécuritaires », précise Hwaida Turk à L’Orient-Le Jour.

En l’absence d’un gouvernement de pleins pouvoirs, les nominations à des postes sensibles de l’État sont impossibles, d’où la prolifération des affectations par intérim. Ce qui explique que la nouvelle gouverneure soit toujours reléguée à la troisième catégorie pour ce poste de première catégorie. « J’ai pourtant les compétences, l’ancienneté et les diplômes pour être cadrée à ce poste. Mais encore faut-il la volonté politique », déplore-t-elle.

Expérience locale
Avant cette nomination, Hwaida Turk a patiemment construit sa carrière à la force du poignet. Détentrice d’un doctorat en sciences sociales, d’un master 1 en droit de l’Université libanaise et d’un diplôme de l’Institut national de l’administration et du développement, elle fait du développement durable économique et social sa spécialité. Nommée professeure en 2017, elle prend la tête de l’Institut des sciences sociales de l’Université Libanaise (UL), cinquième section (Liban-Sud), en mai 2022. À son actif, plusieurs recherches et publications sur la politique fiscale, le marché du travail, la législation liée au troisième âge, le rôle des autorités locales dans la recherche de solutions aux conséquences des agressions israéliennes.

« La Dr Hwaida est une personne hautement qualifiée, expérimentée et à l’éthique irréprochable. Elle a collaboré avec l’Institut des finances pendant plus de 15 ans en sa qualité d’experte formatrice sur les sujets qui concernent la décentralisation et les municipalités, confie Lamia Moubayed, présidente de l’Institut des finances Basil Fuleihan, ajoutant qu’en 2010, l’institut avait publié son ouvrage sur les dimensions économiques, financières et sociales des conseils municipaux. « Pour avoir travaillé avec elle au sein de commissions éducatives, je peux témoigner de son acharnement au travail, de sa large culture et de son honnêteté irréprochable », renchérit Lama Tawil, habitante de Saïda, présidente de l’Union des parents d’élèves et des comités de parents dans les écoles privées du Liban.

En parallèle, l’universitaire se fait un nom dans la gestion des affaires publiques aux niveaux national et local. « J’aime autant la fonction publique que le travail académique. Mais je suis une fille de l’institution publique. J’ai parfois dû faire des choix entre les deux », dit-elle. Ancienne conseillère du ministre de l’Intérieur et des Municipalités pour les affaires du développement au Liban-Sud, ancienne caïmacam (représentante de l’État dans le caza) de Jezzine (par intérim), elle jouit également d’une expérience de 12 ans au sein d’un exécutif local pour avoir présidé le comité administratif du regroupement des municipalités de Saïda-Zahrani et géré la section municipale du gouvernorat du Liban-Sud.

« La professeure Hwaida Turk présente tous les atouts pour ce poste de haute responsabilité. Non seulement elle jouit d’une excellente réputation, mais elle également est hautement qualifiée de par ses diplômes et son expérience dans la fonction publique. Elle est aussi proche de tous les dignitaires locaux », salue son ancien professeur Mohammed Doughman, directeur de l’Institut de droit et des sciences politiques à l’UL - section 5.

Un début de changement?

La gouverneure est aussi saluée pour son militantisme en faveur de l’éducation pour tous. « Dans les milieux sidoniens, la professeure Turk milite activement pour la survie de l’Université libanaise – seule université publique du pays –,  et du secteur éducatif plus globalement », insiste Mme Tawil.

Les droits des femmes ne sont pas non plus loin des préoccupations de cette mère de quatre jeunes adultes, dont trois filles. « Mariée à 16 ans, car, pour mes parents, une fille unique avais besoin d’être protégée, j’ai poursuivi mes études scolaires tout en élevant ma première fille », raconte-t-elle. Forte du soutien de son époux, elle a enchaîné les diplômes universitaires depuis et réalise son rêve de toujours, poursuivre des études de droit. « Je suis en master 2 de droit à l’UL », révèle-t-elle fièrement. Au passage, elle a dû se résoudre à refuser une bourse universitaire en France pour ne pas contrarier ses parents. « Mais je lance très bientôt, promet-elle, une association pour le développement des jeunes, hommes et femmes. »

Lors de la passation de pouvoirs le 20 juillet, la nouvelle gouverneure de Nabatiyé a déclaré à l’Agence nationale d’information que « la femme n’a rien à envier à l’homme dans la prise de décisions ». « Il m’est clairement apparu, après avoir communiqué avec les notables de la région, qu’ils soutiennent ma présence en tant que femme et qu’ils s’appuient en même temps sur mon expérience », a-t-elle précisé dans ce cadre. Sa nomination est d’ailleurs scrutée par les féministes. « En l’absence d’échéances électorales qui devraient nous permettre de mesurer nos avancées, une telle nomination est importante. Elle pourrait être le signe d’un début de changement, d’autant qu’elle concerne le Sud, une région conservatrice », commente Nada Anid, présidente de l’association féministe Madanyat.


Hwaida Turk présentant son ouvrage au président du Parlement Nabih Berry en 2013.

Dossiers épineux

Les premiers objectifs de la gouverneure ? Faire de du mohafazat de Nabatiyé « un exemple attractif et concurrentiel, malgré  le manque de moyens et d’équipements, et les salaires ridiculement bas ». Celle que son époux surnomme « la femme qui ne dort jamais» va déjà à la rencontre des dignitaires locaux et se concentre, avec son équipe majoritairement féminine, sur les dossiers prioritaires et épineux, comme la bonne gestion des déchets, de l’eau, de la sécurité et des déplacés syriens. « J’aime prendre des risques », résume Hwaida Turk. « Aura-t-elle la latitude nécessaire pour accomplir sa mission? » demande Nada Anid en référence aux interventions politiques qui risquent d’entraver son travail.

L’intéressée semble en tout cas armée pour naviguer dans ces eaux-là : à peine nommée, la gouverneure n’a pas manqué de remercier le ministre sortant de l’intérieur Bassam Maoulaoui et le président du Parlement Nabih Berry. C’est d’ailleurs ce dernier qui a proposé sa nomination à ce poste, traditionnellement réservé à la communauté chiite. « Je n’ai jamais eu recours au piston. Je ne suis pas du genre à louvoyer. Le président Berry a proposé mon nom après consultation de mon dossier », martèle celle qui revendique son engagement ferme contre la corruption. Un engagement salué, même dans les milieux de la contestation populaire. « Je ne suis pas féministe. Mais je suis certaine que la nomination de cette femme compétente et hautement diplômée, familière du droit et de la justice, va se répercuter positivement sur notre région. Et qui plus est, dans un contexte d’exacerbation des mouvements religieux », commente pour sa part Salam Badreddine, enseignante à la retraite de Nabatiyé et proche des milieux de la thaoura. 

C’est une première. Alors qu’au Liban, on ne compte qu’une seule ministre et huit députées (sur 128), Hwaida Moustapha Turk est la première femme à avoir été nommée mohafez (gouverneure) par intérim. Le 17 juillet, cette professeure universitaire, née à Saïda en 1971, a officiellement été annoncée comme prenant la tête du mohafazat de Nabatiyé, qui regroupe les...

commentaires (3)

Je suis sûre que Madame Hwaida Turk fera au minimum aussi bien que ses prédécesseurs et certainement encore davantage. Quand une femme est nommée à une haute fonction, elle s'investit corps et âme pour réussir.

Saliba Patricia

19 h 02, le 28 juillet 2023

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Commentaires (3)

  • Je suis sûre que Madame Hwaida Turk fera au minimum aussi bien que ses prédécesseurs et certainement encore davantage. Quand une femme est nommée à une haute fonction, elle s'investit corps et âme pour réussir.

    Saliba Patricia

    19 h 02, le 28 juillet 2023

  • "Mariée à 16 ans"..., "refuser une bourse universitaire en France pour ne pas contrarier ses parents".... Ça laisse songeur, quand même.

    Chemla Yves

    08 h 19, le 28 juillet 2023

  • La nouvelle gouverneure déclare « la femme n’a rien à envier à l’homme dans la prise de décisions » et elle a raison, le Liban ne serait probablement pas dans cette situation, gouverné par des hommes qui ne peuvent penser plus haut que leur ceinture., On dit généralement que la femme est le poteau mitan....a juste titre

    C…

    14 h 55, le 27 juillet 2023

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