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Moyen-Orient - ENTRETIEN EXPRESS

L’accord sur les migrants entre l’UE et la Tunisie « renforcera Saïed »

Alors que le président tunisien continue de mener une politique répressive contre les immigrés d’Afrique subsaharienne présents dans le pays, l’Union européenne a conclu dimanche un protocole d’entente avec Tunis, luttant notamment contre « la migration irrégulière ». Une experte, Sarah Yerkes, répond aux questions de « L’Orient-Le Jour » sur ce thème.

L’accord sur les migrants entre l’UE et la Tunisie « renforcera Saïed »

Ursula Von der Leyen, chef de la Commission européenne, serre la main du président tunisien Kaïs Saïed après l’annonce d’un accord stratégique avec Tunis, le 16 juillet 2023. Photo FP

Leur poignée de main en a surpris plus d’un. Hier, la présidente de la Commission européenne, accompagnée de Giorgia Meloni, la présidente du Conseil italien, et du Premier ministre néerlandais, Mark Rutte, a rencontré le président tunisien Kaïs Saïed pour conclure un protocole d’entente avec Tunis. « Une nouvelle étape importante pour traiter la crise migratoire de façon intégrée », selon Giorgia Meloni. Alors que la Tunisie est touchée par une grave crise économique, et que sa dette s’élève à 80 % de son produit intérieur brut (PIB), cet accord vise à renforcer les investissements de l’Europe vers la Tunisie à hauteur d’une aide budgétaire de 150 millions d’euros. Mais l’accord prévoit aussi une aide pour lutter contre « la migration irrégulière ». Dénoncé par des ONG et les défenseurs des droits humains, ce protocole fait craindre une aggravation des conditions de vie des migrants sur le sol tunisien. Sarah Yerkes, maître de recherche sur la politique, l’économie et la sécurité en Tunisie à Carnegie Endowment for International Peace, fait le point.

Comment expliquer le moment choisi pour conclure ce protocole d’entente ?

Ce protocole d’entente s’inscrit dans le cadre d’un partenariat global annoncé en juin, qui couvre divers domaines mais qui est, en réalité, destiné à stopper le flux de migrants quittant le sol tunisien à destination de l’Europe. Au cours des derniers mois, la pression s’est accrue sur l’UE, notamment de la part de l’Italie, pour qu’elle s’attaque à la crise migratoire qui s’aggrave rapidement. Cette année, l’Italie a vu deux fois et demie plus de migrants arriver sur ses côtes par bateau que l’année dernière à la même époque, et la Tunisie est l’un des principaux points de départ de ces migrants. Le gouvernement italien a fait pression sur les États-Unis et les pays membres de l’UE pour que les principaux donateurs de la Tunisie injectent de l’argent dans ce pays afin d’essayer d’endiguer le flux de migrants. Mais il existe un débat réel et sérieux au sein de la communauté des donateurs sur la question de savoir s’il faut obliger la Tunisie à respecter les conditions économiques négociées entre le gouvernement tunisien et le FMI, qui aideraient le pays à relever ses défis économiques à long terme. L’Italie, en particulier, a atteint un point de rupture en ce qui concerne la migration et n’est pas disposée à attendre (c’est-à-dire indéfiniment) que la Tunisie signe les conditions. De plus en plus de migrants d’Afrique subsaharienne tentent de quitter la Tunisie pour l’Europe afin d’échapper au climat hostile et parfois violent que le président tunisien Kaïs Saïed a instauré à l’encontre des migrants. Et de plus en plus de Tunisiens tentent de quitter leur pays alors que la crise économique s’aggrave de jour en jour et que le président continue de fermer l’espace à toute opposition ou liberté d’expression.

Quels sont les enjeux de cet accord tant pour l’Union européenne que pour la Tunisie ?

Cet accord n’est pas susceptible de réaliser ce que l’Union européenne souhaite, à savoir une stabilité politique et économique qui empêche la poursuite de l’immigration depuis et à travers la Tunisie. Malheureusement, l’accord se plie au faux récit de Kaïs Saïed selon lequel la crise migratoire est causée par les trafiquants d’êtres humains et qui ne reconnaît pas la myriade d’échecs de son gouvernement, qui ont créé cette crise en premier lieu. Il n’aborde pas non plus les défis auxquels sont confrontés les pays d’origine des migrants non tunisiens, notamment les conflits, le changement climatique et les difficultés économiques. Cet accord n’aborde pas non plus les lacunes du gouvernement tunisien en matière d’accueil des migrants et d’octroi du statut de réfugié. Au contraire, il renforcera le gouvernement Saïed, en pleine déliquescence, tout en permettant à l’Europe de renvoyer les migrants en Tunisie.

Toutefois, l’accord contient quelques dispositions positives qui pourraient aider les Tunisiens à avoir un avenir meilleur, notamment 10 millions d’euros pour les programmes d’échange d’étudiants et 65 millions d’euros pour aider à moderniser les écoles tunisiennes. Le système éducatif tunisien a besoin depuis longtemps d’une refonte pour mieux préparer les étudiants au marché du travail et remédier à la montée en flèche du chômage dans le pays. L’accord prévoit également 300 millions d’euros pour contribuer au développement des énergies renouvelables, dont le pays a grandement besoin pour faire face aux menaces sérieuses et croissantes du changement climatique.

L’entente soulève des inquiétudes à l’égard des migrants présents en Tunisie. Quelles seraient les conséquences humanitaires d’un tel accord ?

Le président Kaïs Saïed a continué à inciter à la violence contre les migrants d’Afrique subsaharienne et les Noirs tunisiens et à les accuser, sans aucun fondement, d’être responsables des difficultés économiques du pays. Saïed et son gouvernement ont commis de graves violations des droits de l’homme à l’encontre des migrants, notamment en les déplaçant de force vers les régions frontalières avec la Libye et l’Algérie, deux zones inhospitalières sans accès à la nourriture, à l’eau et à un abri, et qui ont entraîné la mort de migrants. Cet accord a des conséquences humanitaires pour les migrants et pour les Tunisiens, dont le gouvernement a une fois de plus botté en touche et refusé de s’attaquer aux réformes économiques nécessaires pour apporter des changements réels et durables dans la vie de la population. Il accorde également une grande victoire à Kaïs Saïed, un homme qui, depuis deux ans, agit en toute impunité alors qu’il démantèle une décennie de progrès démocratiques, ne s’attaque pas à la corruption endémique, accentue la polarisation du pays et entraîne le peuple tunisien sur une voie économique terrible, laissant les gens dans l’incapacité de se nourrir et de nourrir leurs familles et sans réelles perspectives économiques dans un avenir proche.

Leur poignée de main en a surpris plus d’un. Hier, la présidente de la Commission européenne, accompagnée de Giorgia Meloni, la présidente du Conseil italien, et du Premier ministre néerlandais, Mark Rutte, a rencontré le président tunisien Kaïs Saïed pour conclure un protocole d’entente avec Tunis. « Une nouvelle étape importante pour traiter la crise migratoire de...

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