Comment avez-vous réagi à la nouvelle de la condamnation ?
Mon avocat m'avait prévenu que le jugement devait sortir lundi. Mais je ne m’attendais pas du tout à ce verdict. Je reçois un coup de fil, mardi matin. « Voilà, donc ce sera un an de prison ferme pour vous. » Ça a été un choc. Déstabilisée, perdue, je ne comprends pas ce qu’il se passe. Je suivais le procès de près. On avait le sentiment que le juge n’était pas tout à fait neutre, son comportement laissait penser que le verdict n'allait pas être en ma faveur. Mais je m’attendais dans le pire des cas à devoir payer une pénalité. Aujourd’hui j’ai évidemment l’intention de faire appel. Mais ce ne sera plus jamais comme avant. Il y a un « avant » et un « après » mardi 11 juillet. Je sais que je ne me sentirai plus en paix et en sécurité. Je suis contrainte de mener cette nouvelle bataille jusqu’à ce qu’un nouveau jugement soit prononcé. Mais j’ai toujours refusé de prendre des mesures de sécurité. Je veux vivre normalement : à mon retour au Liban, je veux que la vie continue comme elle a toujours été.
Comment interprétez-vous ce jugement ?
Je n’arrive pas à l’interpréter autrement que comme un message politique. Nous sommes en 2023, la « manzoumé » se sent mieux, elle s’est décontractée, elle semble plus à l'aise. Elle veut désormais tout faire pour éviter un nouveau 17 octobre, pour décourager une nouvelle vague de mécontentement et un soulèvement comme celui qui a eu lieu en 2019. Pour cela, il faut se protéger, assurer sa sécurité. Le système a besoin de fermer les espaces de liberté, de museler certaines voix critiques. Je ne suis pas la seule cible de ce verdict : c’est un message qui se fait à travers moi. Un avertissement : restez calmes et sages, sans quoi voilà ce que vous risquez.
Peut-on parler librement en 2023 au Liban ?
Le mandat de Michel Aoun a été une période de recul des libertés. Le nombre de journalistes ayant été arrêtés au cours des dernières années a atteint des sommets jusque-là inégalés. Je ne pense pas aujourd’hui qu’un journaliste libanais soit libre de dire ou d’écrire ce qu’il souhaite. Adam Shamseddin, Michel Anbour, Hanin Ghaddar… c’est un record sans précédent pour le Liban.
Quel rôle a joué le fait d’être une femme chiite dans les attaques dont vous êtes la cible ?
Commençons par rappeler que je ne suis pas un cas spécial. La classe politique actuellement au pouvoir vise tout le monde – toutes les communautés et tous types d’opposants. Mais c’est vrai que dans mon cas ma communauté a joué un rôle. C’est indéniable, surtout en ce qui concerne le Hezbollah et une partie de la communauté chiite, qui a malheureusement subi un lavage de cerveau durant plusieurs décennies. Les critiques dont je fais l’objet sur les réseaux sociaux sont courantes jusque dans mon entourage au quotidien. Au sein de ma propre famille, certaines personnes m’accusent d’avoir trahi la communauté. Le processus de changement n’est pas impossible, mais il est très long et il demande beaucoup de travail. Le Hezbollah est encore trop enraciné dans l’infrastructure sociale, économique et religieuse d’une communauté qu’il contrôle. Le 17 octobre n’a malheureusement pas changé grand-chose à tout cela.
On vous reproche parfois de diriger vos attaques contre un camp et d'en épargner un autre...
Je critique tout le monde. Certains de mes programmes ont été entièrement dédiés aux Forces libanaises. J’ai consacré des épisodes entiers aux députés du changement. À l’époque du 17 octobre, j’ai beaucoup critiqué Saad Hariri. Au point que certains membres du parti du Futur ont refusé de me soutenir. Si aujourd’hui mes critiques se concentrent davantage sur le Hezbollah et le Courant patriotique libre, c’est parce qu’ils sont au pouvoir depuis 2016. Prenons l’exemple de la double explosion au port et du blocage de l’enquête menée par le juge Tarek Bitar. Suis-je censée critiquer le Futur et les FL, ou bien le Hezbollah ? Il est normal de se concentrer sur ceux qui contrôlent tout.
commentaires (9)
Chère Madame Sadek, Je vous admire pour votre courage à dénoncer toutes les injustices de notre pays, et ce malgré les pressions que vous subissez. Nous avons besoin de personnes comme vous pour sortir le Liban de ce chaos. Que Dieu vous protège et vous donne la force de continuer.
Saliba Patricia
00 h 16, le 15 juillet 2023