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Lifestyle - Savoir-faire

Blat el-Atiq, ou la renaissance des tuiles traditionnelles au cœur du Chouf

À Maasser el-Chouf, dans les montagnes du Mont-Liban, l’atelier Blat el-Atiq redonne vie à un artisanat local libanais vieux de plus d’un siècle.

Blat el-Atiq, ou la renaissance des tuiles traditionnelles au cœur du Chouf

Les tuiles de Blat el-Atiq s’exportent au-delà des montagnes du Chouf, partout au Liban et à l'étranger. Photo Florient Zwein

Ghassan Fayad n’était encore qu’un petit garçon lorsqu’il venait passer du temps dans la maison de son grand-père, à Maasser el-Chouf. « Je suis né à Beyrouth, mais ma famille est originaire de ce village », raconte le jeune homme assis sur le canapé de son salon, le sol orné de mosaïques faites de tuiles en ciment traditionnelles de sa propre fabrication. « Enfant, j’étais un peu turbulent et je faisais souvent des bêtises pour passer le temps. Un dimanche, alors que nous étions venus visiter les proches, j’ai trouvé de vieilles tuiles entreposées dans une pièce de la maison et je les ai toutes cassées pour m’amuser. » Alors, quand en 2012, pour un projet de fin d’années durant ses études d’architecte d'intérieur, son professeur lui demande de réaliser une galerie vintage, il décide d’utiliser le même style de tuiles traditionnelles que celles de la maison de son grand-père. « En voyant mon projet, ma professeure m’a demandé d’entreprendre des recherches sur la fabrication de ces tuiles en ciment. C’est ce que j’ai fait et c’est ainsi que m’est venue cette idée et que tout a commencé. »



Aujourd’hui, Ghassan Fayad emploie à temps plein cinq personnes qu’il a lui-même formées dans son atelier. Photo Florient Zwein


Du projet à la réalité

Les années passant, l’idée dans la tête du jeune homme devient de plus en plus présente. Les années justement, ce sont elles aussi qui, progressivement, ont laissé la céramique prendre le dessus sur les tuiles traditionnelles libanaises et qui, avec le temps, ont presque fini par éclipser cet artisanat local du pays. En 2017, après deux années de travail à Dubaï en tant qu’architecte d’intérieur, son père achète la maison familiale dans laquelle Ghassan Fayad vit aujourd’hui à Maasser el-Chouf. C’est alors qu’il décide de concrétiser ce projet. « Au cours de mes recherches, je ne trouvais aucune mosaïque en tuiles au Liban qui correspondait à celles que je voulais vraiment, celles de mon grand-père. Il était temps d’aller plus loin dans ce projet un peu fou qui trottait dans ma tête depuis longtemps. »

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Après l’achat de quelques machines usagées provenant de la Békaa, la première tuile made in Blat el-Atiq est sortie en mars 2017. « C’était un peu difficile au début car je n’y connaissais rien, j’ai dû tout apprendre par moi-même. Je fouillais sur internet en quête d’informations. Les 7 premiers mois, j’ai travaillé seul dans l’atelier pour fournir les premiers clients avant de pouvoir embaucher une personne avec moi. C’était dur mais je n’ai pas lâché. » Six ans plus tard, Ghassan Fayad emploie cinq personnes à temps plein qu’il a lui-même formées dans son atelier.


Un artisanat tout en finesse à ne pas perdre. Photo Florient Zwein


Une histoire de savoir-faire

Arrivé d'Europe à la fin du XIXe siècle avant d’être adapté au style oriental au pays du Cèdre, ce savoir-faire qu’il maîtrise parfaitement, Ghassan Fayad est fier de le montrer lui-même et n’a pas peur de se salir les mains de temps en temps pour réaliser quelques tuiles. C’est donc avec grand plaisir qu’il se prête au jeu, saisissant une à une les bouteilles de couleur pour les faire couler délicatement à travers le moule. « La technique est la même pour toutes les tuiles : on mélange du ciment et des pierres concassées avec du sable, on ajoute de l’eau, des pigments naturels, de la peinture et on obtient le précieux mélange », explique-t-il, tout en fabriquant une tuile devant le regard amusé de ses ouvriers. « Ce n’est pas tous les jours que l’on voit le patron à la tâche », lance l’un d’eux en rigolant. L’entreprise est petite et la proximité amicale entre le patron et ses employés se ressent. « Je leur fais confiance, ils connaissent bien leur travail et je sais que je peux compter sur eux sans avoir à les surveiller en permanence », confie-t-il. Une confiance qui se ressent naturellement tant l’atmosphère de travail semble détendue. « Plus que de simples ouvriers, avec le temps ils sont devenus mes copains. »

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« Une fois chaque couleur déposée, vous prenez du ciment que vous venez étaler par-dessus pour absorber le surplus de peinture qui va résulter de la presse.  Puis vous la retirez de son moule et vous obtenez le résultat final », explique-t-il, exhibant fièrement la tuile toute fraîche.

Le charme de l’ancien qui ne se démode jamais. Florient Zwein


Cette dernière est ensuite laissée à sécher pendant 7 jours avant d’être nettoyée et prête à être utilisée dans l’un des différents projets sur lesquels le jeune homme travaille en ce moment. Fort de ses études en architecture d’intérieur, Ghassan Fayad collabore directement avec ses clients. Des plans sur papier au choix des motifs et couleurs en passant par la confection même des moules, il participe à toutes les étapes de la fabrication de ses tuiles traditionnelles. « C’est un travail qui me passionne au quotidien », précise-t-il en partageant des plans qu’il a lui-même dessinés. « En ce moment, nous sommes sur quatre chantiers, dont un grand projet dans le village de Deir el-Qamar dans le Chouf. » Un hôtel dont les presque 1 000 m2 de surface seront entièrement ornés des tuiles en ciment provenant de son atelier, avec un total de 25 000 tuiles de 20 cm par 20 cm. « C’est le plus grand projet que j’ai eu jusqu’à ce jour et je suis vraiment fier. Ce n’est pas un aboutissement, mais c’est une belle récompense du travail entrepris. »

Des montagnes du Chouf aux quatre coins du monde

Les tuiles de Blat el-Atiq (« anciennes tuiles » en français) s’exportent au-delà des montagnes du Chouf et ce à travers tout le Liban, que ce soit dans des maisons, des appartements, mais aussi des hôtels, des restaurants ou encore des magasins. Parmi eux, le Studio Fouad, situé rue Gouraud à Beyrouth. Ouvert en 1955, ce studio de photographie est considéré comme l’un des plus vieux de la capitale libanaise. Alors, lorsque celui-ci fut entièrement détruit par la double explosion du 4 août 2020, Bandali Ghrabi, le fils du propriétaire, qui travaille dans le studio de son père depuis la fin des années 1990, décide de lui insuffler une seconde vie grâce à ces tuiles. « Pour moi, c’était important de redonner un style traditionnel à cet endroit qui avait vieilli avec le temps », raconte le photographe, noyé au milieu de vieilles caméras et portraits en noir et blanc accrochés aux murs. « Après quelques recherches, j’ai trouvé cet atelier dans le Chouf et cela correspondait vraiment à ce que je voulais. Après quelques propositions, j’ai opté pour ces motifs et ces couleurs bleues. » La grande vitrine de son studio donnant sur l'une des artères commerçantes les plus importantes de Beyrouth, Bandali Ghrabi se vante fièrement du rendu de ces mosaïques en tuiles traditionnelles : « Maintenant, les gens, séduits, s’arrêtent devant la vitrine puis entrent. » Les tuiles de Blat el-Atiq s’exportent également au-delà des frontières du Liban, au Canada, en France, à Chypre, en Arménie, au Qatar, en Arabie saoudite ou encore au Koweït. « Avec la crise économique au Liban, les choses étaient assez difficiles au début, mais maintenant, les affaires reprennent et j’espère continuer sur cette lancée. »

Dans un pays en perpétuelle reconstruction depuis la fin de la guerre civile en 1990, et où les plans d’urbanisation et de préservation du riche patrimoine architectural libanais se perdent au profit de projets immobiliers incontrôlés et faramineux, Ghassan Fayad, avec Blat el-Atiq, aux côtés de quelques autres artisans traditionnels spécialisés dans les mosaïques locales, perpétue à son tour un héritage culturel au pays du Cèdre et redonne un second souffle à un artisanat local vieux de plus d’un siècle.

Ghassan Fayad n’était encore qu’un petit garçon lorsqu’il venait passer du temps dans la maison de son grand-père, à Maasser el-Chouf. « Je suis né à Beyrouth, mais ma famille est originaire de ce village », raconte le jeune homme assis sur le canapé de son salon, le sol orné de mosaïques faites de tuiles en ciment traditionnelles de sa propre fabrication....

commentaires (2)

Très bonne idée cette succession d’articles qui participe à faire connaître les nouveaux entrepreneurs, que ce soit dans l’habillement, dans l’alimentaire ou, aujourd’hui, dans le carrelage. Cette exploitation moderne des savoir-faire traditionnels et/ou familiaux peut sauver le Liban en créant un tissu de TPE/PME dynamiques créant des emplois locaux et exportant leur production.

Marionet

09 h 29, le 14 juillet 2023

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Commentaires (2)

  • Très bonne idée cette succession d’articles qui participe à faire connaître les nouveaux entrepreneurs, que ce soit dans l’habillement, dans l’alimentaire ou, aujourd’hui, dans le carrelage. Cette exploitation moderne des savoir-faire traditionnels et/ou familiaux peut sauver le Liban en créant un tissu de TPE/PME dynamiques créant des emplois locaux et exportant leur production.

    Marionet

    09 h 29, le 14 juillet 2023

  • Bravo! Une remarque pour l'article: le terme "tuiles" est impropre, car celles-ci sont nécessairement en terre cuite. Il faudrait parler de "pavés" ou "carreaux".

    Yves Prevost

    07 h 02, le 14 juillet 2023

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