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Culture - Entretien / Danse

L’appel à l’aide de Nada Kano : « Je ne sais pas combien de temps je vais tenir »

Après un retour sur la scène libanaise cette année, la chorégraphe et professeure de danse libanaise s’inquiète du futur de son école et de sa compagnie.

L’appel à l’aide de Nada Kano : « Je ne sais pas combien de temps je vais tenir »

La chorégraphe et professeure de danse libanaise Nada Kano dans son studio. Photo DR

Qui est Nada Kano, en tant que personne et en tant qu'artiste ?

Je suis professeure de danse et chorégraphe. Je suis ce que je fais. La danse me définit intégralement, j’ai tout donné pour elle, elle est le centre de ma vie.

Parlez-nous de votre spectacle, « L’Étreinte ». Il a été composé il y a maintenant quelques années, pourquoi choisir de le présenter cette année à Beyrouth ?

Oui, c'est un spectacle qui a été créé en 2011. Il a été présenté à plusieurs reprises en 2011, en 2016 et en 2021 à Dubaï. Je fais cette année, depuis janvier 2023, mon grand retour au Liban depuis 2018. Je n’ai plus que deux danseurs dans ma troupe cette année, je suis donc obligée de faire des duos.

Qu'est-ce que vous avez voulu créer avec ce spectacle ?

En fait L'Étreinte, c’est une histoire d’amour narrée du début à la fin. La rencontre représentée au début avec une table représentant la distance, une barrière entre eux. Au fil de la pièce, ils se rapprochent jusqu'à la fusion. C’est une création très simple qui décrit l’évolution d'une relation. Je l’ai composée très spontanément en m’inspirant par des textes de Spinoza.

Vous avez dansé au théâtre Monnot dans les années 90, puis en janvier et en juin 2023 vous y présentiez de nouveau vos créations. Un retour, trente ans plus tard,  qu’est-ce que ça vous fait ?

C’est très sentimental bien sûr. C'est comme ma maison, parce que j'étais là dès le début, même si je suis plus attachée au théâtre al-Madina qui est plus adapté pour la danse. Mais il faut dire qu'on a très peu de salles de théâtre à Beyrouth, et celui du Monnot est le seul d’Achrafieh. On est émotionnellement attachés à tous les théâtres de Beyrouth (rires).

Vous venez d’une formation classique, mais vous vous réclamez d’influence contemporaine. Dans vos créations pourtant, le classique est partout, dans les pas, la structure et la musique, comment vous positionnez-vous ?

J'ai toujours eu du mal à définir mon travail et je n’y réfléchis pas trop à vrai dire. Je me permets une liberté totale dans mon processus créatif. C’est sûr que les musiques jouent beaucoup, donnent une couleur, mais parfois j'utilise des musiques très classiques, avec des mouvements très contemporains, et vice versa. Mais je trouve que les limites entre les deux genres s'estompent de plus en plus.

Comment gérez-vous votre double appartenance française et libanaise dans votre art ? Pourquoi avoir choisi de revenir au Liban aujourd’hui ?

J’ai effectivement fait 15 ans de formation en danse en France, ce qui explique mes influences occidentales aujourd’hui dans la technique. J’admire la technique française qui est très raffinée. Je crois que mes œuvres aujourd’hui ont une forme occidentale sur la technique et un fond méditerranéen, un excès émotionnel bouillonnant.

Après ma formation, je suis rentrée au Liban, difficilement, mais dans un objectif de créer quelque chose qui n’existait pas dans ce pays. J’avais souffert, plus jeune, de ne pas pouvoir trouver une formation complète de danse au Liban. J’ai alors créé cette école, l'une des premières du pays, qui a beaucoup grandi jusqu’à devenir une compagnie de danse. Je n’ai jamais arrêté d’avoir des liens avec la France, j’ai toujours collaboré avec des chorégraphes et des danseurs français comme Marie-Agnès Gillot, mais toujours dans un esprit de liaison avec le Liban. Ma vie artistique en France existe grâce au Liban, sans création au Liban, ma visibilité en France disparaît.

Comment vivez-vous votre retour sur la scène beyrouthine après plusieurs années d’absence ?

C’est très dur. À cause de la crise, à cause du manque de financements, à cause des danseurs libanais qui sont tous partis. Actuellement, il n'y a plus que ces deux danseurs dans la compagnie. Tout le monde est parti. Avant, c'était autre chose.

Quel regard portez-vous sur ce nouvel élan artistique postcrise qui se déroule en ce moment dans le pays ?

D'après ce que j'observe, c'est que ça revient encore plus grand qu'avant la crise. Je pense qu'il y a un acharnement à ce niveau-là. Je ne sais pas si c'est un besoin de s'exprimer, si c'est un acte de résistance. Maintenant, la culture reste très limitée au niveau des moyens, surtout en danse. C’est plus complexe, parce que la formation en danse est très longue. Pour avoir un danseur, c'est 10 ans de formation. Et il y a ce problème du pays qui s'est vidé, des jeunes qui sont partis. Déjà avant la crise, faire de la danse était un peu difficile. Il ne faut pas oublier que l'on n'a pas de conservatoire de danse,  pas de subvention, que l'on n'a rien. La bataille pour la danse, je la mène depuis 2003.

Ma référence était avant 2018, il y avait alors un grand public pour la danse. Et aujourd’hui, je n’ai jamais vu ça, j'ai l'impression de tout recommencer à zéro. J'ai l'impression de redécouvrir, de chercher, de revoir tout. Tout est nouveau. Le public est nouveau. La façon dont les choses fonctionnent est nouvelle. Je suis en état d'observation et de réflexion pour le moment. Je ne crois pas être la seule, tout le monde tâtonne.

Trouvez-vous, comme beaucoup, une beauté dans la résilience libanaise, de toujours vouloir avancer et se reconstruire après une crise, en particulier artistiquement ?

C'est sûr que le peuple libanais a cette faculté de résilience, et tout le monde le dit. Et moi, je trouve qu'il en a peut-être un peu trop. Cette résilience est extraordinaire, mais en même temps on ne peut pas ne pas résoudre nos problèmes. Il faut faire face aux choses pour pouvoir les dépasser. C’est bien de se relever mais, en même temps, il ne faut pas que cette résilience soit un semblant de « tout va bien ». C’est pour moi seulement un instinct de survie. On est un peuple traumatisé, cassé, on doit se soigner.



Avec cette crise pour la danse au Liban, comment envisagez-vous le futur de votre école ?

Je n’ai plus que 15 élèves contre 150 l’année passée et seulement deux danseurs dans ma compagnie. Ils sont brillants, je les avait recrutés en 2009 lors de mon projet pour apprendre la danse aux enfants issus de milieux défavorisés. Je les ai formés depuis 2009 avec une vingtaine d’autres enfants. En 2018, tous ont quitté le parcours, sauf ces deux-là. Aujourd’hui, je n’ai plus les moyens de continuer, je me suis laissée cette année pour prendre une décision. Mais le chemin a été tellement long et difficile pour en arriver là… C’est très dur pour moi de prendre une décision, mais je ne sais pas combien de temps je vais pouvoir tenir. Cette année a été dramatique pour moi. Je cherche actuellement des solutions. Aller à Dubaï, revenir en France… mais ça ne me plairait pas.

Qui est Nada Kano, en tant que personne et en tant qu'artiste ?Je suis professeure de danse et chorégraphe. Je suis ce que je fais. La danse me définit intégralement, j’ai tout donné pour elle, elle est le centre de ma vie.
Parlez-nous de votre spectacle, « L’Étreinte ». Il a été composé il y a maintenant quelques années, pourquoi choisir de le présenter cette année à Beyrouth...

commentaires (1)

Contraints à l’exil. La tragédie des libanais. Le Liban n’existe plus.

Tabet

22 h 48, le 12 juillet 2023

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Commentaires (1)

  • Contraints à l’exil. La tragédie des libanais. Le Liban n’existe plus.

    Tabet

    22 h 48, le 12 juillet 2023

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