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Moyen-Orient - ENTRETIEN

« Sortis de la logique de la guerre froide, les États du Moyen-Orient s’émancipent »

La fondation Friedrich Ebert Stiftung a compilé les résultats d’un sondage sur les perceptions populaires de la région face à la guerre en Ukraine. Marcus Schneider, directeur du programme « Paix et sécurité », fait le point avant une conférence de débats organisée mercredi à KED.

« Sortis de la logique de la guerre froide, les États du Moyen-Orient s’émancipent »

Les délégués des médias regardent sur un écran le discours du président ukrainien Volodymyr Zelensky au sommet de la Ligue arabe à Djeddah, le 19 mai 2023. Fayez Nureldine/AFP

Dans un contexte général de balbutiement d’un monde multipolaire, de l’invasion russe de l’Ukraine, mais aussi de repositionnement d’alliances au Moyen-Orient, la fondation allemande Friedrich Ebert Stiftung, associée aux sociaux-démocrates, a lancé une enquête en Arabie saoudite, en Égypte, aux Émirats arabes unis (EAU), en Irak, en Iran, en Israël, en Jordanie, au Liban, au Maroc, au Qatar, en Tunisie et en Turquie, pour sonder l’opinion publique sur les impacts de ces changements sur les populations locales. Marcus Schneider, directeur du projet « Paix et sécurité dans la région MENA », revient sur les résultats du sondage pour « L’Orient-Le Jour ».

Commentaire

Le Moyen-Orient, laboratoire d’un monde postaméricain ?

Quel est le but de ce sondage réalisé pour la Friedrich Ebert Stiftung ?

Le but de ce sondage est d’essayer de comprendre la différence entre la réponse à la guerre en Ukraine des pays européens et de ceux de la région du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord (MENA). Les gouvernements européens ont appuyé Kiev contre Moscou, tout en bénéficiant d’un large soutien de leur population. La majorité des régimes au Moyen-Orient ont été plus réticents, préférant maintenir un jeu d’équilibre entre les Occidentaux et la Russie. La question était de savoir si les populations suivaient leurs dirigeants ou pas. Le sondage porte sur les populations de douze États de la région, principalement urbaines. Un choix dû principalement à des questions budgétaires, mais aussi de moyens. En Syrie par exemple, il était difficile de déterminer la part de la population répartie entre des régions sous contrôle du régime ou des autres protagonistes. C’est également le cas pour le Yémen, le Soudan ou la Palestine. Au final, sur les populations sondées, les résultats indiquent que la politique d’équilibriste adoptée dans la région est largement soutenue par l’opinion publique locale, sauf en Israël et en Iran.

Comment expliquez-vous la dichotomie entre la position officielle d’Israël et de l’Iran concernant l’invasion de l’Ukraine, et celle des populations de ces deux pays ?

Ce qui est intéressant, c’est la proximité des opinions publiques en Israël et en Iran, toutes deux antirusses, proaméricaines et très critiques envers la politique extérieure de leur gouvernement par rapport à l’Ukraine, alors que les deux États sont à l’opposé l’un de l’autre. C’est moins surprenant pour l’État hébreu que pour la République islamique, très proche de la Russie et qui est pratiquement le seul pays à lui livrer des armes. Depuis la contestation populaire née en septembre 2022, on sait qu’une partie de la population iranienne est très critique envers la politique du régime qui semble donc désormais incapable de vendre sa propagande antiaméricaine vieille de plus de 40 ans à sa population. Pour l’État hébreu, malgré le fait que les Israéliens soient pro-ukrainiens, le gouvernement a choisi le jeu d’équilibriste face à Moscou, probablement pour des enjeux géopolitiques liés à la Syrie, afin d’y avoir la main libre. Pour les Occidentaux cependant, il s’agit d’un combat entre d’une part les autocraties, dont la Russie, qui est l’agresseur, et d’autre part les démocraties, dont Israël prétend faire partie.

Dans les autres cas, comment analysez-vous l’alignement des populations avec leurs dirigeants ? Peut-on réellement parler d’opinion publique ?

Ce sondage montre bien que les opinions publiques au Moyen-Orient ne suivent pas aveuglément leurs dirigeants, considérés comme autoritaires par les Européens. À mon avis, il y a toujours des opinions publiques. La question est d’évaluer le degré de liberté des médias ou des réseaux sociaux où l’on peut exprimer cette opinion. Mais je pense que même dans des pays comme les EAU, où la presse n’est pas libre, il est très probable qu’une bonne partie des Émiratis soient d’accord avec leur gouvernement, qui leur fournit en fin de compte des emplois et des services dont ils sont satisfaits.

Repère

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Dans cette étude, il ressort que les populations locales, aux EAU, en Arabie saoudite, en Jordanie, en Égypte, etc., soutiennent une politique d’équilibriste entre les deux parties au conflit. Il transparaît donc que l’opinion publique n’a pas une vision manichéenne de cette guerre. Dans la région, la perception est plutôt grise. Pour eux, la responsabilité de la guerre est partagée. L’expérience historique et politique de la région joue sûrement un rôle, avec notamment l’invasion américaine de l’Irak, la guerre en Syrie ou la cause palestinienne. Il est clair qu’il y a un vécu différent entre les Occidentaux et les Arabes.

Comment expliquer l’attitude des gens de la région en faveur du désengagement américain ?

Il est vrai qu’une large partie de la population (excepté parmi les Iraniens et les Israéliens) se montre en faveur de ce désengagement, même dans les pays dont les gouvernements sont considérés comme alliés, à l’instar de la Turquie et de l’Arabie saoudite. Jusque dans ces pays, les Américains ont perdu le soutien d’une bonne partie de la population. C’est un problème de soft power. Je crois que l’ouverture des gouvernements vers la Russie et la Chine est ainsi soutenue par la population qui ne veut pas être sous la coupe d’une puissance en particulier. Je crois en outre que les populations locales perçoivent un problème d’hypocrisie de la part des Occidentaux. Les gens ont l’impression que derrière les slogans des droits humains se cachent toujours des intérêts géopolitiques autres. Si l’Occident veut gagner les cœurs et les esprits des populations, il faudra réduire le fossé entre les grands discours et la politique menée. En même temps, il faut comprendre que les préceptes de démocratie et de libertés sont bénéfiques et dans l’intérêt même des peuples de la région.

Focus

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Comment interprétez-vous la perception relativement négative de l’Europe parmi la population sondée ?

En effet, une majorité a indiqué qu’ils ne veulent pas de présence européenne dans la région pour remplacer le désengagement américain. Je crois que la réticence de certaines populations s’explique dans certains cas du fait de l’histoire coloniale (dans le Maghreb notamment, ce qui est moins le cas pour l’Irak). Mais en soi, l’Union européenne (UE) est un acteur assez marginalisé sur le plan de la sécurité, malgré un engagement humanitaire important en Syrie et au Yémen par exemple. Et sur les grandes questions politiques, l’Europe n’est pas prise en compte en tant qu’acteur. D’ailleurs, il n’est pas réaliste de dire que l’UE puisse remplacer les États-Unis.

Quels autres résultats importants ce sondage révèle-t-il ?

On observe une émancipation des États de la région. Qu’il s’agisse de la Turquie, de l’Arabie saoudite, d’Israël… tous sont sortis de la logique de la guerre froide et du choix entre deux camps. On est actuellement dans une autre logique où ce sont les grandes puissances qui sont en concurrence pour attirer des pays devenus plus ambitieux et plus indépendants dans leur politique. Ces pays sont actuellement les vainqueurs de ce nouveau monde multipolaire. De ces résultats ressort aussi l’impression que les populations sont en faveur d’un monde multipolaire, tout en appelant au respect des règles internationales. En effet, pour éviter que le monde tombe dans l’anarchie et le chaos, on ne peut pas accepter qu’une puissance puisse envahir son voisin plus faible sans conséquences.

Dans un contexte général de balbutiement d’un monde multipolaire, de l’invasion russe de l’Ukraine, mais aussi de repositionnement d’alliances au Moyen-Orient, la fondation allemande Friedrich Ebert Stiftung, associée aux sociaux-démocrates, a lancé une enquête en Arabie saoudite, en Égypte, aux Émirats arabes unis (EAU), en Irak, en Iran, en Israël, en Jordanie, au...

commentaires (4)

Certaines affirmations de cet article me choquent et ne m'inspirent pas confiance: 1- La Russie est l'agresseur 2- les pays du Moyen Orient sont dirigés par des dictateurs 3- Israél démocratique Et j'en passe!!! C'est encore une façon de considérer les opinions comme en faveur des Américains et ceux qui les soutiennent comme des bons, et les autres opinions restent équilibristes!!!!Pourtant j' en connais pas mal qui sont carrément pour M. Poutine qui a tout fait pour que les Américains n'installent pas encore leurs bases à la frontière Russe. Toutes ces personnes ont suivi l'évolution de l'attaque systématique américaine contre la Russie, des ententes de paix jamais honorées par l'Ukraine et leurs amis, le tout piloté de loin par les USA! Les peuples n'en veulent plus de ces trahisons américano-européennes!!Avec toutes ces armes sophistiquées envoyées à l'Ukraine, croyez vous bien que nous sommes dupes? Cette guerre en Ukraine orchestrées et manipulée par les Américains, vous devriez en parler de cette manière, et expliquer pourquoi Nous en avons assez de ces soit-disant sondages qui ne vont pas au fond du vrai problème, mais l'utilisent comme moyen d'arriver à leurs fins!!

Hélène SOMMA

20 h 55, le 11 juillet 2023

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Commentaires (4)

  • Certaines affirmations de cet article me choquent et ne m'inspirent pas confiance: 1- La Russie est l'agresseur 2- les pays du Moyen Orient sont dirigés par des dictateurs 3- Israél démocratique Et j'en passe!!! C'est encore une façon de considérer les opinions comme en faveur des Américains et ceux qui les soutiennent comme des bons, et les autres opinions restent équilibristes!!!!Pourtant j' en connais pas mal qui sont carrément pour M. Poutine qui a tout fait pour que les Américains n'installent pas encore leurs bases à la frontière Russe. Toutes ces personnes ont suivi l'évolution de l'attaque systématique américaine contre la Russie, des ententes de paix jamais honorées par l'Ukraine et leurs amis, le tout piloté de loin par les USA! Les peuples n'en veulent plus de ces trahisons américano-européennes!!Avec toutes ces armes sophistiquées envoyées à l'Ukraine, croyez vous bien que nous sommes dupes? Cette guerre en Ukraine orchestrées et manipulée par les Américains, vous devriez en parler de cette manière, et expliquer pourquoi Nous en avons assez de ces soit-disant sondages qui ne vont pas au fond du vrai problème, mais l'utilisent comme moyen d'arriver à leurs fins!!

    Hélène SOMMA

    20 h 55, le 11 juillet 2023

  • Tous les pays avancent et le Liban jadis moderne et émancipé se retrouve le dernier du peloton avec des décennies perdues, le but étant de le ramener au moyen âge grâce aux politichiens de notre pays qui, malgré leur fortune usurpée ne sont toujours pas rassasiés et espèrent engranger encore plus puisque personne ne les arrête dans leur course au pillage et à la destruction. Les pays généreux comme ils ont toujours été avec notre pays nous refileront leurs chameaux pour remplacer nos véhicules bientôt comme signe de reconnaissance aux leçons que leur avons données, pour se rassembler et construire au lieu de se diviser et périr.

    Sissi zayyat

    11 h 05, le 11 juillet 2023

  • "… Comment expliquez-vous la dichotomie …" - lol, je me demande quel pourcentage de la population interrogée comprend même le sens de ce terme…

    Gros Gnon

    06 h 20, le 11 juillet 2023

  • Attendons les résultats pour voir.

    Mohamed Melhem

    05 h 35, le 11 juillet 2023

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