Le point de vue de...

Territoires communautaires et revendications historiques

Territoires communautaires et revendications historiques

D.R.


Tout pouvoir a besoin d’une assise territoriale. Pour revenir pleinement sur la scène internationale, le Saint-Siège signa avec Mussolini les Accords de Latran en 1929, accords aux termes desquels lui fut accordé un périmètre de souveraineté, la Cité du Vatican.

De même, chaque communauté libanaise a besoin d’un fief qui lui serve de bastion pour affirmer sa présence et gérer ses idiosyncrasies. Que seraient les druzes sans le Chouf de bani Maan, les chiites sans le Jabal Amil ou la région du Hermel et les maronites sans leur « Marounistan », cet espace idéel qui s’étendrait de Tariq as-Sham à la localité de Zgharta ? Et de fait, il y a un climat particulier à Gemmayzé qu’on ne retrouve ni à Dahiya janoubiya, ni dans le Tripoli historique, ni à Baaqline. Ces climats divers sont tout aussi légitimes dans leur spécificité que le paysage qui leur sert de cadre et qui regrouperait clochers ou minarets, night-clubs assourdissants ou cafés-narguilés enfumés. À chaque groupe son lieu de prédilection, et une communauté ne saurait s’en prendre au pré carré de l’autre sans susciter rancœurs et casus belli.

Que ceux qui font profession de s’indigner ne crient pas aussitôt au racisme ! Une constatation empirique de notre diversité n’exclut ni les influences réciproques ni les interpénétrations. Au Liban, le phénomène d’osmose joue tant que faire se peut, et nous ne vivons nullement un régime d’apartheid qui imposerait le développement séparé.

Cela dit, le Hezbollah et ses alliés se livrent à un jeu hasardeux, qui consiste à élargir, mine de rien, la base foncière de leur communauté confessionnelle, en grignotant des étendues comme dans le haut-pays de Jbeil, à Hadath, à Amchit et à Rmeich, pour ne citer que les zones de friction avec les maronites. On n’y verrait que du feu et personne ne s’en soucierait si l’on n’y devinait la mise en application d’un plan concerté. Une manœuvre stratégique menée sur le long terme dans l’idée de reconquérir des biens-fonds qui, depuis la nuit du temps, auraient été arrachés à la communauté chiite.

Cette politique d’implantation de kibboutzim ou de têtes de pont peut mener à la confrontation au même titre qu’un régime d’apartheid.

Révisions historiques

Les chiites ne sont pas de nouveaux venus sur la scène libanaise, même si notre histoire officielle, en adoptant la thèse de l’historien Tannous al-Chidiac, a fait de l’alliance druzo-maronite le fondement exclusif de l’entité libanaise en ses multiples avatars (Stefan Winter). Une telle historiographie est réductrice et injuste, les chiites duodécimains ayant pétri la terre du Mont Liban au même titre que les autres communautés.

Et l’on peut aller jusqu’à dire qu’à un moment donné tous les musulmans du Liban étaient des Alides (duodécimains, ismaélites et autres rafida), à telle enseigne que Dominique Chevallier a pu dire que « l’expansion druze se fit au milieu de zones déjà peuplées de chiites. Mais ceux-ci durent abandonner, dès le début du XIVe siècle, des positions qu’ils occupaient dans la partie médiane du Liban, car les Mamlûks sunnites les accusèrent de pactiser avec les Francs (les Croisés) et les Mongols, et dirigèrent contre eux, avec l’aide des émirs druzes du Gharb des expéditions qui les décimèrent dans le Matn-Kesruwân ». Par ailleurs, il est acquis que les walis de Tripoli avaient concédé aux cheikhs Hamadeh de Wadi Almat l’iltizam (fermage des impôts, sujet à renouvellement annuel) des régions de Jubbeh de Bcharreh et de Muneitra jusqu’au XVIIIe siècle. Et pour ne pas être en reste, ajoutons que la ville de Tripoli avait été gouvernée par les Banu Ammar (1065-1109) et celle d’Alep par les Hamdanides (944-1002), deux dynasties chiites.

À ce stade, nous n’aurions pas tort de méditer la réflexion suivante d’Alexis de Tocqueville : « En politique, on périssait souvent pour avoir eu trop de mémoire. » Cela dit, c’est à se demander si le Hezbollah tient à faire subir à Tripoli, capitale du Nord libanais, du moment qu’il en est l’héritier présomptif, le même sort que celui qu’il a réservé à Alep, quand il s’est employé, entre 2012 et 2016, à la « libérer » avec ses acolytes du régime syrien.

Hubris et Reconquista

Le parti d’Allah s’est mis à dos toutes les parties prenantes aussi bien en Syrie qu’au Liban, que partout ailleurs. Comment voulez-vous qu’il s’intègre dans le monde arabe quand il enseigne dans ses écoles du Mahdi que Mou‘awya et Salah Eddine étaient des personnages maléfiques et des traîtres à la cause de l’islam, et qu’en revanche Qassem Soleimani est à exalter comme héros ?

Et avec ça, il compte récupérer les terres soi-disant usurpées aux siens !

Instiller dans sa communauté ce poison de la revanche et de la reconquête du terrain est périlleux. Entraîner les siens dans des conflits sans fin, les épuiser dans des querelles alors qu’ils peuvent jouir des fruits de la prospérité et de l’aisance qu’elle procure, est suicidaire.

Mais le Hezbollah n’a pas le choix : c’est qu’il ne s’épanouit qu’en mobilisant ses troupes et en les gardant sous tension ; il ne peut embrigader la jeunesse qu’en lui promettant victoire sur victoire. C’est en galvanisant son zèle politico-religieux qu’il la maintient sous sa coupe.

Or tout mouvement messianique ou millénariste connaîtra immanquablement son Crépuscule des dieux, et le Walhalla entraperçu finira par brûler de fond en comble avant de s’effondrer. Apocalypse ou Tchernobyl, la wilayat al-faqih, en sa version armée, va entraîner sa communauté entière dans une catastrophe programmée. 

Tout pouvoir a besoin d’une assise territoriale. Pour revenir pleinement sur la scène internationale, le Saint-Siège signa avec Mussolini les Accords de Latran en 1929, accords aux termes desquels lui fut accordé un périmètre de souveraineté, la Cité du Vatican.

De même, chaque communauté libanaise a besoin d’un fief qui lui serve de bastion pour affirmer sa présence et gérer...

commentaires (0)

Commentaires (0)

Retour en haut