Sahara occidental : « reconnaître la souveraineté marocaine serait un moindre effort pour Israël »

« Nous travaillons sur la question. Notre plan est d’apporter notre décision finale au Forum du Néguev », a affirmé lundi le chef de la diplomatie israélienne Eli Cohen à propos de la position de Tel-Aviv sur le Sahara occidental. Trois ans après les accords d’Abraham qui ont normalisé les relations entre les deux pays, il est attendu que l’État hébreu y reconnaisse la souveraineté de Rabat sur le territoire sahraoui, revendiqué par le Front Polisario, soutenu par l’Algérie. Inauguré l’année dernière, le sommet rassemble les ministres des Affaires étrangères des pays arabes ayant normalisé leurs relations avec Israël, ainsi que des représentants américains et israéliens. Organisateur de l’édition de cette année, qui pourrait être rebaptisée « Association of Middle East and North African Countries » (AMENA), Rabat souhaite réunir le sommet dans le territoire disputé.

Initialement prévu en mars 2023, il a néanmoins été plusieurs fois reporté par le royaume chérifien – l’expansion des colonies israéliennes en Cisjordanie occupée et les tensions israélo-palestiniennes seraient à l'origine de ces reports –, mais pourrait avoir lieu en septembre ou en octobre. Le roi du Maroc Mohammed VI avait ainsi réitéré en novembre 2022 son soutien « constant et clair à la cause palestinienne ». Si depuis l’établissement de liens diplomatiques en décembre 2020, Rabat a intensifié sa coopération économique et sécuritaire avec l’État hébreu, le volet diplomatique était en reste, conditionné par le Maroc à la reconnaissance de sa souveraineté sur le territoire sahraoui. Le prochain Forum de Néguev pourrait ainsi voir l’amplification des relations israélo-marocaines, selon Riccardo Fabiani, directeur de la région Afrique du Nord à l’International Crisis Group.

À quel point la reconnaissance israélienne du Sahara occidental et la tenue du Forum du Néguev au Maroc sont respectivement importants pour Rabat et pour Tel-Aviv ?

Pour le Maroc, il s’agirait d’une grande victoire diplomatique. Obtenir la reconnaissance de sa souveraineté sur le territoire sahraoui de la part du plus grand nombre d’États de la communauté internationale est la priorité numéro un de la politique étrangère de Rabat. Le Forum du Néguev est ainsi utilisé comme monnaie d’échange pour pousser Tel-Aviv à reconnaître la souveraineté du royaume chérifien sur le territoire sahraoui.

Pour Israël, il s’agirait en effet de faire en sorte que le Forum du Néguev puisse avoir lieu, puisqu’il représente pour lui une réunion importante pour la sécurité de la région. De plus, la reconnaissance de la souveraineté marocaine sur le Sahara occidental ne requiert pas un grand effort pour Tel-Aviv. Par ailleurs, il s’agit de renforcer sa relation avec le Maroc, un pays arabe signataire des accords d’Abraham, les Marocains ayant déjà laissé entendre qu’une reconnaissance israélienne permettrait une amélioration des relations diplomatiques, avec l’ouverture mutuelle d’une ambassade par exemple.

Dans cette décision, il y a presque un partenariat gagnant-gagnant entre Israël et le Maroc. On est au-delà d’un simple échange qui existait jusqu’à présent, les relations économiques et commerciales étant déjà au beau-fixe entre les deux États. Ce serait désormais de l’ordre du partenariat.

Alors que les incursions israéliennes en Cisjordanie occupée se multiplient sous le gouvernement le plus à droite de l’histoire de l’État hébreu, que pense la population marocaine de ce partenariat renforcé entre les deux pays ?

La population marocaine reste plutôt partagée à propos des relations israélo-marocaines et de la tenue du Forum du Néguev au Maroc. La majorité de la population soutient la population palestinienne, est anti-israélienne et suit ce qu’il se passe en Cisjordanie. Mais il y a aussi les berbères, qui n’éprouvent pas de fort sentiment de rejet envers Israël et sont prêts et ouverts à l’idée de voir leur État approfondir ses relations avec Tel-Aviv, et obtenir en échange la reconnaissance israélienne de la souveraineté marocaine sur le Sahara occidental.

Cela complique les calculs de la part des autorités marocaines. Mais pour le Makhzen, le palais marocain, il s’agit d’un problème de politique à gérer en interne. Rabat tient à séparer les deux questions. S'il reste préoccupé et concerné par la situation en Palestine et s’accorde pour critiquer la politique d’expansion israélienne, il n’en fait pas un frein pour avancer dans son partenariat avec l’État hébreu. Rabat n’est pas prêt de laisser tomber ses relations avec Israël, peu importe les réactions populaires en soutien à la Palestine. D’un côté, les autorités ménagent l’opinion publique et de l’autre, elles renforcent leur partenariat avec Israël. On peut parler d’un double langage.

Quelle est la position de Washington, qui parraine le Forum du Néguev, dans cet échange ?

La position américaine est très compliquée. Les États-Unis se montrent enclins à avancer dans les pas des accords d’Abraham, notamment avec le Forum du Néguev. Mais, dans le même temps, ils ne soutiennent pas la reconnaissance par Tel-Aviv de la souveraineté de Rabat sur le territoire disputé. (Sous l’administration Trump, les États-Unis sont devenus le premier État occidental à reconnaître la souveraineté marocaine sur le Sahara occidental en échange de la normalisation marocaine avec l’État hébreu. Une décision sur laquelle l’administration Biden n’est pas revenue, mais ne soutient pas publiquement, NDLR).

Si les Marocains veulent que le Forum se tienne à Dakhla, les Américains, ou du moins cette administration, n’accepteraient jamais de participer au Forum du Néguev dans le Sahara occidental. L’échange qui pourrait se faire entre Israël et le Maroc pourrait néanmoins forcer Washington à sortir de son ambiguïté sur le dossier.