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Culture - Bande dessinée

« Thank You, Dodo », un roman graphique donne voix aux invisibles de la « kafala »

Dans le cadre de ses missions de soutien aux travailleuses migrantes souvent maltraitées, Médecins sans frontières (MSF) a fait appel à l’auteure de BD Raphaëlle Macaron, dont l’histoire personnelle est intimement liée à Dodo, ex-employée de maison.

« Thank You, Dodo », un roman graphique donne voix aux invisibles de la « kafala »

Retranscrire les expériences des travailleuses migrantes par la bande dessinée est pour Raphaëlle Macaron une façon de leur rendre justice et hommage, mais aussi d’exprimer sa révolte. DR

Face à la crise économique qui frappe l’ensemble de la population libanaise, les plus faibles se retrouvent souvent en première ligne. Tel est le cas des travailleurs et travailleuses domestiques arrivés au Liban via le système de la kafala (sponsorat), souvent sans même connaître les conditions de leur contrat rédigé en arabe ni le type de travail qui les attend. Ces dernières années, dans le contexte de la crise économique aggravée par la crise sanitaire, de nombreux Libanais ont été contraints de mettre à la porte leurs employés domestiques, généralement des femmes. Certaines ont tout simplement été abandonnées à leur sort devant leurs ambassades.

Pour donner la parole à ces personnes et sensibiliser à leurs souffrances sans trop de violence et de risques pour elles, l’organisation Médecins sans frontières (MSF) a entrepris de publier un roman graphique dont le lancement est prévu mi-juin, en même temps que la diffusion de petits films d’animation inspirés de la BD via les réseaux sociaux. « Il y a souvent un décalage entre l’intimité des liens tissés avec les membres du foyer d’accueil et le manque de droits fondamentaux des travailleuses domestiques », explique à L’Orient-Le Jour Julien Raickman, chef de la mission Liban pour MSF.

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Touchée par cette question de par son parcours personnel, l’illustratrice libanaise Raphaëlle Macaron a été choisie pour réaliser ce travail. Accompagnée jusqu’à l’adolescence par Dodo, une travailleuse philippine, la jeune bédéiste de renommée internationale raconte à travers ses dessins des histoires réelles d’hommes, mais surtout de femmes qu’elle a observés durant trois mois au centre médico-social ouvert par MSF, en 2020, dans un quartier beyrouthin. Une façon pour elle de remercier Dodo, comme l’indique le titre de l’ouvrage Thank You, Dodo ! .

Raphaëlle Macaron raconte à travers ses dessins, les histoires réelles d’hommes, mais surtout de femmes qu’elle a observés durant trois mois au centre médico-social ouvert par MSF, en 2020, dans un quartier beyrouthin. Photo DR

La BD pour sensibiliser

« J’ai passé mes journées à discuter avec ces femmes, j’ai pris beaucoup de notes, de photos et d’enregistrements audio. Puis j’ai fait le tri de tout le matériel recueilli, se souvient Raphaëlle Macaron avec émotion. Ça a été une période éprouvante, les expériences décrites sont tellement choquantes... J’avais le sentiment d’avoir une lourde responsabilité, celle de transmettre des précieux témoignages par l’écriture et le dessin. »

Ce n’est pas la première fois que MSF a recours à la bande dessinée pour attirer l’attention du public sur les questions sensibles dans lesquelles l’organisation est engagée. À Beyrouth, l’exposition Ink With Hope, fin 2022, avait donné à voir le travail d’illustrateurs du monde entier, plus particulièrement du Moyen-Orient. « La bande dessinée permet une grande identification, car les lecteurs se mettent à la place des protagonistes », poursuit Julien Raickman. C’est ce qui a poussé MSF à utiliser ce format pour décrire les conditions de vie des migrants en Libye ou encore en Afghanistan.

Un hommage en images à Dodo. Photo DR

Un accompagnement spécifique

Engagée auprès des Libanais et des Syriens dans les régions de Ersal, Akkar, et de Hermel, Médecins sans frontières s’est lancée, en 2020, dans la création d’un centre consacré à l’accompagnement médico-social des travailleurs migrants à Beyrouth. « Durant les confinements liés au Covid-19, les travailleuses domestiques se sont souvent retrouvées au milieu de la violence intrafamiliale, remarque-t-il. Les conditions économiques au Liban les rendent encore plus vulnérables. Elles ne peuvent pas retourner dans leur pays d’origine, par manque de moyens ou parce que la situation n’est pas meilleure là-bas. »

Pour mémoire

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Face à l’aggravation de la crise libanaise, les demandes de prise en charge explosent au centre de Ras Beyrouth, si bien que l’organisation prévoit d’ouvrir une branche dans la banlieue nord, à Dora, où logent de nombreux travailleurs migrants livrés à eux-mêmes après avoir quitté leur kafil (tuteur). Car, selon le système de la kafala, les travailleurs basculent dans la clandestinité et l’illégalité une fois qu’ils n’ont plus de kafil. L’accès aux services de base devient encore plus difficile, la plupart vivant dans des logements surpeuplés ou dangereux et beaucoup ayant recours à des comportements nocifs pour s’en sortir. « Le projet de MSF pour les travailleurs migrants au Liban requiert un accompagnement bien spécifique, ajoute Julien Raickman. Ces individus ont souvent du mal à exprimer leurs sentiments en raison de la barrière culturelle et linguistique. »

« Il y a souvent un décalage entre l’intimité des liens tissés avec les membres du foyer d’accueil et le manque de droits fondamentaux des travailleuses domestiques », explique à « L’Orient-Le Jour » Julien Raickman, chef de la mission Liban pour MSF. DR

« Thank You, Dodo »

Certains souffrent de graves troubles mentaux dus à la situation extrêmement précaire dans laquelle ils basculent soudain. Pour ceux qui restent auprès leur kafil, le manque d’autonomie et les restrictions imposées peuvent avoir un impact profond sur leur état mental. Un grand nombre se rendent aussi au centre de MSF pour des problèmes médicaux directement liés aux tâches qu’ils doivent accomplir. « La situation des migrants au Liban est profondément animée par le racisme, dénonce Raphaëlle Macaron. Ces individus ont vécu des discriminations, parfois de l’ordre de la torture psychologique et physique, sans aucune conséquence pour leurs bourreaux. »

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Retranscrire leurs expériences par la bande dessinée constitue pour Raphaëlle Macaron une façon de leur rendre justice et hommage, mais aussi d’exprimer sa révolte. « Que nous le voulions ou pas, nous sommes tous, à des échelles différentes, des facilitateurs de ce système d’oppression, estime-t-elle. J’ai moi-même été élevée par une travailleuse migrante, Dodo, à qui je dédie ce travail. » En janvier 2020, cette femme, que Raphaëlle décrit comme « incroyablement douce, généreuse, aimante et forte », décède d’un cancer. Son départ laisse une blessure inguérissable. « Il était important pour moi de lui donner une place dans la narration, confie-t-elle. C’est pourquoi le récit est entrecoupé de nos souvenirs. Elle me manque tous les jours et je lui dois tellement… Thank You, Dodo. »


Retrouvez la BD « Thank You, Dodo » en ligne ici

Face à la crise économique qui frappe l’ensemble de la population libanaise, les plus faibles se retrouvent souvent en première ligne. Tel est le cas des travailleurs et travailleuses domestiques arrivés au Liban via le système de la kafala (sponsorat), souvent sans même connaître les conditions de leur contrat rédigé en arabe ni le type de travail qui les attend. Ces...

commentaires (1)

Très belle idée et très bonne initiative! Il faut toujours rendre hommage aux personnes de l'ombre, notamment celles qui vous rendent meilleur(e)s

Georges Olivier

23 h 57, le 20 juin 2023

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Commentaires (1)

  • Très belle idée et très bonne initiative! Il faut toujours rendre hommage aux personnes de l'ombre, notamment celles qui vous rendent meilleur(e)s

    Georges Olivier

    23 h 57, le 20 juin 2023

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