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Retour aux fourneaux !


Quand le diable fait la cuisine le bon dieu se met à table, et le pauvre monde nettoie les fourneaux.
(Jacques Prévert )

Significative et prometteuse est, à divers titres, la décision du président français de faire de son ancien ministre des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, son envoyé personnel pour le Liban. Cette décision réaffirme spectaculairement, en premier lieu, le constant et particulier intérêt politique, mais aussi moral, que la France a toujours porté à notre pays ; mais elle augure surtout d’une approche nouvelle, et fort bienvenue, de ce rébus à répétition, invariablement objet d’interférences étrangères, qu’est devenue toute élection présidentielle au Liban.


Le statut. Il n’est pas rare qu’un président ait recours à un représentant ou émissaire personnel en lui assignant une vocation précise. Ce personnage n’est pas pour autant, bien sûr, un quelconque double du chef de l’État, même s’il en reflète symboliquement la présence en certaines occasions. Après un quart de siècle de fidèles services rendus dans les cuisines de l’Élysée, le chef Guillaume Gomez est ainsi aujourd’hui le représentant personnel d’Emmanuel Macron en matière de gastronomie et d’alimentation. Or, comme on le lira plus loin, c’est la recette d’une acrobatique tambouille libanaise – sans le moindre additif, sans potion magique – que doit maintenant concocter Le Drian en se mettant aux fourneaux.


Il serait sans doute excessif de croire que l’ancien ministre des AE est bien parti pour court-circuiter allègrement ces deux centres de pouvoir en matière de politique étrangère que l’on dit souvent rivaux : la cellule diplomatique de l’Élysée et le Quai d’Orsay. Il n’en reste pas moins que la France vient indiscutablement de donner un coup de barre, de changer son fusil d’épaule. C’est au nom du pragmatisme que l’Hexagone favorisait, tout en s’en défendant, l’élection du candidat du Hezbollah, l’ancien député du Nord Sleiman Frangié ; or voici que face à l’impasse actuelle, c’est désormais le même motif de réalisme qui, à rebours, lui commande impérieusement de déployer ses bons offices sur un tout autre terrain.


La mission. Selon les termes du palais de l’Élysée, il est demandé à Jean-Yves Le Drian de se rendre au plus tôt sur place, d’y être à l’écoute de tous et de faire rapport en assortissant celui-ci de propositions d’action : l’objectif étant désormais de faciliter une solution à la fois consensuelle et efficace entraînant l’élection d’un président et la mise en œuvre des réformes susceptibles de sortir le Liban de la crise.


Consensus, le grand mot est lâché. À première vue, le terme menace de renvoyer dos à dos les deux candidats actuellement en lice. Il est vrai qu’en aucun cas le champion du tandem Amal-Hezbollah ne peut prétendre à une aussi miraculeuse entente sur sa personne, récusé qu’il est notamment par la quasi-totalité de la chrétienté politique. C’est à un ostracisme tout aussi virulent d’ailleurs qu’est en butte son adversaire, l’ancien ministre Jihad Azour : l’ironie voulant que c’est précisément l’argument de campagne dont peut se prévaloir ce dernier (à savoir ses entrées au Fonds monétaire international dont il est en effet un des hauts responsables) qui lui vaut la méfiance et les critiques acerbes de ses détracteurs.


L’atout maître de Jihad Azour, qui bénéficiait jeudi du soutien déclaré du leader druze Walid Joumblatt, demeure cependant la nette avance numérique qu’il a sur son rival. Cruciale pourrait être à cet égard la douzième édition du scrutin présidentiel, programmée pour mercredi prochain. Que les candidats s’avèrent, l’un et l’autre, irrémédiablement impuissants à trancher la question, et il faudra tôt ou tard se mettre à la recherche d’un président de compromis, de ce brumeux Troisième homme dont l’accès au palais de Baabda permettrait à tout un chacun de sauver la face. Mais qu’à la faveur de ralliements de dernière heure Azour vienne à réaliser le score fatidique de 65 votes, tout juste suffisant pour une victoire au deuxième tour, et il y aurait peut-être lieu de redouter un torpillage de la séance par les bons soins du président de l’Assemblée, ou alors quelque initiative sécuritaire d’un Hezbollah soudain aux abois. Ce sont ces écueils que doit contourner la laborieuse gestation d’un nouveau sexennat dans un pays en profonde crise politico-économique.


L’homme. Pourquoi enfin Jean-Yves Le Drian pour ce job confinant à la mission impossible ? Parce qu’il connaît bien le Liban et qu’il s’est engagé à fond dans le dossier libanais du temps où il était le chef de la diplomatie française, rivalisant d’ardeur avec Macron pour fustiger l’incompétence et la corruption de nos dirigeants. Parce que ancien ministre de la Défense il jouit, de même, de l’estime des Saoudiens et des Américains, ces deux membres influents du club des Cinq qui planche depuis des mois sur l’épineux cas libanais. On se plaira quand même à croire que si le choix du président s’est porté sur le vétéran breton, c’est surtout parce que celui-ci est bien armé pour offrir à nouveau au regard des Libanais, un moment déroutés, un visage aussi avenant que familier : celui d’une France toujours proche, qu’elle soit gaulliste, socialiste ou centriste.

Issa GORAIEB
igor@lorientlejour.com

Quand le diable fait la cuisine le bon dieu se met à table, et le pauvre monde nettoie les fourneaux. (Jacques Prévert )Significative et prometteuse est, à divers titres, la décision du président français de faire de son ancien ministre des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, son envoyé personnel pour le Liban. Cette décision réaffirme spectaculairement, en premier lieu, le...