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Culture - Entretien

« Les photographes iraniens et iraniennes comptent de plus en plus sur la scène internationale »

Dans le beau livre photo « Espace vital » (éditions Textuel), la galeriste Anahita Ghabaian Etehadieh présente les travaux de vingt-trois photographes femmes iraniennes.

« Les photographes iraniens et iraniennes comptent de plus en plus sur la scène internationale »

La galeriste Anahita Ghabaian Etehadieh invite à regarder l’Iran à travers l’objectif des femmes. Photo DR

Sur la couverture du beau-livre Espace vital (éditions Textuel), on voit une jeune femme habillée d’un tchador noir, avec des gants de boxe aux mains. L’image est signée Newsha Tavakolian. En guise de sous-titre, est inscrit « Femmes photographes iraniennes », et ces quelques mots résonnent comme l’accroche d’un film où des héroïnes libèrent le monde de l’obscurantisme par la force des images.

Sur la couverture de l’ouvrage, une image signée Newsha Tavakolian. Photo DR

En effet, vingt-trois photographes iraniennes, des artistes et des documentaristes, issues de trois générations différentes, sont présentées dans cet ouvrage. À l’initiative de ce projet, on trouve la galeriste Anahita Ghabaian Etehadieh qui porte la photographie iranienne depuis deux décennies. Soutenue par aucune institution dans le pays, cette scène artistique prend malgré tout son envol. Elle s’exporte dans les galeries, les foires d’art et les musées. Espace Vital en est le parfait exemple.

Des photos de la remarquable série documentaire Ouvriers d’usine prises en 1979 par Mahshid Noshirvani, en passant par celles conceptuelles de Shadi Ghadirian qui mettent à mal la société patriarcale, jusqu’au travail de Ghazaleh Rezaei qui explore la mémoire d’une famille et d’un pays en temps de guerre, c’est le visage d’une société iranienne décomplexée, provocatrice et empreinte de poésie qui nous est présenté à voir. Entretien avec la curatrice Anahita Ghabaian Etehadieh pour L’Orient-Le Jour.

Malekeh Nayiny, « Actualisation d’un album de famille », 2004. Photo Malekeh Nayiny

Ce livre « Espace vital » consacre les femmes photographes iraniennes, mais nous aimerions débuter cet entretien par quelques mots sur votre parcours. Vous êtes une femme galeriste iranienne, vous avez fondé en 2001 la galerie Silk Road spécialisée en photographie à Téhéran, pouvez-vous nous raconter la genèse de votre engagement et de cette galerie ?

J’ai créé la galerie Silk Road à Téhéran il y a vingt-deux ans. J’étais intéressée par l’art en général, j’avais remarqué qu’on pouvait y exprimer des idées difficiles à développer avec les mots. La photographie me tenait particulièrement à cœur. J’étais sensible à son immédiateté, sans que ce soit ma spécialité. Lors de mes études à Paris, j’ai beaucoup travaillé sur la méthodologie. J’avais très envie d’approfondir un domaine précis dans l’art qui n’avait pas déjà pris de l’ampleur. Il se trouve que le cinéaste Abbas Kiarostami m’a proposé de me donner ses photographies pour ma première exposition.

Gohar Dashti, série « La vie moderne et la guerre », 2008. Photo Gohar Dashti

Après quelque temps de confusion et de recherches tous azimuts, j’ai pensé à ouvrir une « plateforme » où les photographes pouvaient montrer leurs œuvres à l’intérieur et à l’extérieur du pays. À aucun moment, je n’ai voulu être marchande d’art. C’est créer des échanges qui m’a toujours intéressée. En même temps, il s’agit bien sûr d’une galerie privée qui doit pouvoir vendre et faire fonctionner son espace.

Pourquoi avoir décidé de publier l’ouvrage « Espace vital » maintenant ?

Je dis dans l’introduction du livre que j’ai voulu regarder l’Iran à travers l’objectif des femmes dans un contexte historique où les Iraniennes revendiquent leurs droits avec détermination et courage.

Les séries racontent chacune une histoire sur l’Iran d’aujourd’hui. Parfois, il s’agit d’un récit sur un événement comme la révolution de 1979 qui a beaucoup été photographiée, à chaque fois d’un point de vue différent. Puis les grandes questions de la société iranienne ont été évoquées par la génération suivante : l’impact de la guerre Iran-Irak, la place de la femme entre la tradition et la modernité, les interdictions qui leur avaient été imposées. Enfin, la plus jeune génération a développé des sujets plus intimes comme les interactions sociales ou plus généraux comme l’environnement, le passé et son impact sur le présent.

Une œuvre de la photographe Newsha Tavakolian. Photo DR

Comment avez-vous procédé à la sélection des photographes ?

En réalité, il n’y a pas autant de femmes que d’hommes actifs dans le domaine de la photographie contemporaine. J’ai beaucoup travaillé avec l’équipe de Textuel et celle d’Agnès Dahan, la talentueuse graphiste qui a collaboré avec nous. La sélection s’est faite sur plusieurs critères à la fois. Les photographes les plus connues devaient paraître dans ce livre. J’ai tenu à parler également des trois générations de photographes. Il fallait que ce classement se reflète dans la sélection, que les sujets soient divers et englobent les thématiques les plus importantes. J’ai beaucoup avancé au feeling. Étant donné qu’il n’y avait pas de regroupement par thème, il fallait que les séries dialoguent ensemble. Le design du livre suit un mouvement, comme les vagues sur une mer calme. Nous avons montré des sujets d’actualité pour mieux revenir sur des sujets plus paisibles ou modérés. C’était un vrai travail d’équipe, nous avons beaucoup échangé.

Tahmineh Monzavi, série « Mokhber al-Dowleh » réalisée entre 2007 et 2010 sur les ateliers de confection de robes de mariée. Photo Tahmineh Monzavi

Vous exposez aussi beaucoup d’hommes photographes contemporains comme Morteza Niknahad, Khashayar Javanmardi et bien d’autres… Qu’en est-il de cette scène? Quels sont leurs sujets de prédilection ?

Les thèmes travaillés par les hommes et les femmes sont assez proches mais traités sous des angles différents. Ils ont les mêmes préoccupations quand il s’agit des questions sociales. J’aime aussi beaucoup le travail des photographes hommes avec qui je collabore, mais ce livre a pris forme à un moment où il fallait parler des femmes pour diverses raisons.

Les hommes ont eu plus d’occasions de travailler. Ils ont été mis en avant plus souvent que les femmes. Sur notre site internet et malgré nos efforts, il n’y a toujours pas autant de femmes que d’hommes. Mais il y a des progrès. Paris Photo annonce une progression de 20 % à 32 % concernant la présence des femmes dans leur foire depuis 2018. Puis les femmes revendiquent leurs droits aujourd’hui. Il fallait donc donner la voix à leurs revendications.

Shadi Ghadirian.

Quel avenir pour les photographes iraniens et iraniennes que vous défendez ?

Je ne peux pas le prédire mais c’est en bonne voie. Ils comptent de plus en plus sur la scène internationale. C’est une voix qui se fait de plus en plus entendre. D’autant plus qu’elle n’est jamais neutre. Il y a des expositions dans les lieux les plus prestigieux et la photographie iranienne est de plus en plus présente dans les collections des musées et des institutions.

Nazli Abbaspour, série « Réincarnation » 2017-2019. Photo Nazli Abbaspour

Comment se porte votre galerie à Téhéran aujourd’hui ?

J’ai rénové l’espace de la galerie qui se trouve dans un immeuble vieux de quarante-cinq ans et qui appartient à ma famille. Il est magnifique, dans un rez-de-jardin. C’est ma sœur architecte qui a dirigé les travaux. Tout est moderne avec une touche de tradition ici et là.

Mais la situation économique est très mauvaise, sans parler des autres crises successives qui déteignent sur toutes les activités en Iran. Nous allons bientôt ouvrir ce nouvel espace mais je suis dubitative quant à la possibilité de ventes qui pourraient répondre aux frais. On verra. Il y a toujours la possibilité de chercher des solutions.

« Espace vital : femmes photographes iraniennes », Anahita Ghabaian Etehadieh, éditions Textuel.

Sur la couverture du beau-livre Espace vital (éditions Textuel), on voit une jeune femme habillée d’un tchador noir, avec des gants de boxe aux mains. L’image est signée Newsha Tavakolian. En guise de sous-titre, est inscrit « Femmes photographes iraniennes », et ces quelques mots résonnent comme l’accroche d’un film où des héroïnes libèrent le monde de...

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