
Wassim Mansouri prêtant serment devant le président Michel Aoun, en présence du Premier ministre Hassane Diab et du gouverneur de la BDL Riad Salamé, en 2020. Photo d'archives Dalati et Nohra
Son nom, jusqu’ici vaguement connu des Libanais, est depuis quelques semaines sur toutes les lèvres. Trônant à côté de celle de Riad Salamé, la signature de Wassim Mansouri est apposée sur les billets de livres libanaises imprimés après son accession au poste de premier vice-gouverneur de la Banque du Liban le 10 juin 2020. Un poste auquel il a été nommé par son cousin lointain, le président du Parlement Nabih Berry, pour deux raisons : son appartenance à la communauté chiite, critère obligatoire pour l’accession à cette position, et son profil de technocrate polyglotte. À deux ans de la fin de son mandat, Wassim Mansouri s’est vu projeté sur le devant de la scène depuis que la justice française a émis, il y a une douzaine de jours, un mandat d’arrêt international à l’encontre de Riad Salamé, soupçonné de corruption dans divers dossiers. Ce dernier, à la tête des finances du pays depuis 1993, a toutefois affirmé à plusieurs reprises qu’il resterait à son poste jusqu’à la fin de son mandat le 31 juillet prochain et (fortement) suggéré son vice-premier gouverneur en tant que successeur. « Wassim Mansouri me remplacera à la fin de mon mandat », a-t-il lâché lors d’un entretien télévisé jeudi dernier, dans un contexte de vacance présidentielle.
Wassim Mansouri, vice-gouverneur de la BDL. Photo tirée du site de la banque centrale
Cette sortie venait rejoindre celle du secrétaire général du Hezbollah, Hassan Nasrallah, qui avait récemment ouvert la porte à cette possibilité en se basant sur le précédent d’Élias Baïssari à la Sûreté générale. Il avait succédé, en février dernier, par intérim à Abbas Ibrahim, malgré l’attribution – depuis 1998 – de ce poste à un acteur de confession chiite. Une réalité imposée par le fait qu’un gouvernement sortant ne peut, selon le parti chiite, désigner un nouveau gouverneur, encore moins en l’absence d’un président. D’autant que le code de la monnaie et du crédit prévoit qu’en cas de vacance à la tête de la banque centrale, c’est le premier vice-gouverneur qui prend les rênes.
« Il n’ira pas, sauf si on l’y force »
De quoi déplaire aux partis chrétiens en pleine vacance présidentielle, où ils se sentent déjà marginalisés. Mais aussi, du moins officiellement, au chef du Parlement, Nabih Berry, qui ne souhaite pas faire assumer cette responsabilité à sa communauté dans un contexte financier aussi délicat. S’il est désigné à la tête de la BDL par intérim, Wassim Mansouri deviendrait en effet le premier gouverneur chiite de l’histoire du Liban. « Ce serait un événement inédit », confie une source au sein de la BDL. Dans les milieux de Aïn el-Tiné, on assure à qui veut l’entendre qu’au moindre faux pas, c’est au moins la moitié de la République qui pointera du doigt le gouverneur « chiite ». Un argument qui ne convainc pas les sceptiques. « Ce n’est qu’un jeu de rôles entre Amal et le Hezbollah. Wassim Mansouri est l’homme de Berry. Le chef d’Amal est son parrain politique par excellence », assure un ancien collaborateur du vice-gouverneur, laissant entendre qu’il s’agit d’un « bluff » servant à camoufler une réalité qui risque de susciter le courroux des chrétiens. « Après le ministère des Finances, obtenu à l’arraché par la communauté chiite, c’est aujourd’hui la direction de la banque centrale qui va leur échoir », commente, anonymement, un ancien ministre chrétien.
Tandis que les spéculations vont bon train, la source au sein de la BDL assure à L’Orient-Le Jour que Wassim Mansouri, originaire de Aïtaroun (Nabatiyé), est réticent à l’idée d’accepter ce poste. « Sans les garanties de mise au pas du secteur bancaire et de la mise en place, par la classe politique, des réformes nécessaires à une sortie de crise », qui lui permettraient d’appliquer une nouvelle politique monétaire, « il n’ira pas, sauf si on l’y force ». Auquel cas il ne se « dérobera pas à ses responsabilités ».
De sources concordantes, on apprend que le premier vice-gouverneur s’est déjà attelé à l’étude des dossiers en préparation du jour J.
Certains de ses pourfendeurs vont même jusqu’à dire que Wassim Mansouri ne serait pas mécontent de se voir parachuté à la direction de la BDL. Même si pour cela, il devrait renoncer momentanément à ses anciennes ambitions politiques. « Depuis qu’il était sur les bancs de l’université, il rêvait de devenir ministre », raconte un étudiant qui l’a connu. « Ses rapports avec Ali Hassan Khalil étaient d’ailleurs liés à son souhait de prendre sa place », assure pour sa part un de ses anciens collègues. Pendant plus de sept ans, Wassim Mansouri fut le proche « conseiller » de Ali Hassan Khalil, ministre des Finances en 2014 dans le gouvernement de Tammam Salam jusqu’en décembre 2016, puis jusqu’en janvier 2020 sous Saad Hariri.
« Un homme de l’ombre »
Ancien boursier du programme de mobilité doctorale de l’Agence universitaire de la francophonie au Liban, grâce auquel il a parachevé son doctorat à l’Université de Montpellier en France en droit public avec une spécialisation en droit constitutionnel, ancien directeur de la faculté francophone de droit à l’Université libanaise, où il enseigne toujours « de manière bénévole », et fondateur de son bureau d’études, Mansouri & Associates, spécialisé dans le droit des affaires, où il aurait « hâte » de reprendre ses activités, Wassim Mansouri est « l’un des meilleurs profils que Nabih Berry a réussi à mettre en avant », note sous couvert d’anonymat un avocat fiscaliste. Il incarne la figure du technocrate laïc dont a besoin le chef du Parlement pour redorer son image. « Je n’ai réalisé que j’étais chiite que lorsque j’ai été proposé au poste de vice-gouverneur », se plaît-il à dire à son entourage. Wassim Mansouri est surtout « un passionné de droit constitutionnel », une expertise qui en a fait le conseiller juridique du chef du Parlement dont il fut également l’avocat, ayant représenté à plusieurs occasions le mouvement Amal devant les tribunaux. C’est d’ailleurs ce que lui reprochent certains juristes et économistes qui se demandent comment son parcours de juriste pourrait l’habiliter à tirer les cordons de la bourse et prendre la tête de la BDL.
Pour sa défense, une source proche de la BDL indique qu’en tant que vice-gouverneur, il a principalement rempli un rôle de « régulation et de législation », tout comme les trois autres vice-gouverneurs d’ailleurs qui ne peuvent pas non plus se targuer d’avoir une formation en finance. Wassim Mansouri aurait néanmoins acquis ses connaissances dans ce secteur du temps où il a servi de conseiller à Ali Hassan Khalil. C’est lui qui a conduit tous les pourparlers au Liban avec le Fonds monétaire international et la Banque mondiale. « C’est un expert en terrorisme financier, un homme de l’ombre, discret et très efficace », confie un juriste financier qui l’a côtoyé à quelques occasions.
Rupture ou continuité ?
« Accepter un tel poste dans ces circonstances est loin d’être une aubaine », estime toutefois Karim Daher, avocat fiscaliste. Chargé de la commission formée par le barreau de Beyrouth pour défendre les droits des déposants libanais, celui-ci a récemment eu l’occasion de travailler avec Wassim Mansouri, notamment sur les modalités de la circulaire n° 165 destinée à contrer les excès des charges et commissions arbitraires imposées par les banques à leurs clients. « Il a pris la peine et le temps de clarifier certains points et écouté avec attention nos demandes d’éclaircissement et remarques. Nous n’avons constaté que du positif lors de nos rencontres », assure-t-il.
Mais c’est surtout la question de sa « proximité » avec Riad Salamé qui se pose avec acuité. Wassim Mansouri sera-t-il disposé à rompre avec cet héritage ? « Salamé l’a peut-être proposé pour lui succéder dans l’espoir qu’il sera clément avec lui une fois aux commandes », confie un ancien responsable de la BDL. « Personnellement, j’ai de bonnes relations avec lui. Professionnellement, nous avons beaucoup de désaccords », raconte pour sa part Wassim Mansouri devant ses visiteurs.
Changer la stratégie économico-financière imposée jusqu’à présent par Riad Salamé ne pourra se faire qu’en collaboration avec la classe politique et le secteur bancaire, assure une source de la BDL. « Ce n’est pas à la BDL de fournir des recettes au Trésor mais aux politiques d’impositions. En résumé, la BDL a imposé à la classe politique de ne plus dépenser que ce que le Trésor gagne », nous explique-t-on au sein de la banque centrale, dont les réserves obligatoires se confondent désormais avec celles disponibles, étant légèrement passées sous le seuil des 10 milliards de dollars. Wassim Mansouri et ses collègues seraient en faveur d’un taux de change flottant et de faire de Sayrafa une vraie plateforme de change et non seulement d’enregistrement. « Une politique monétaire qui sera d’abord impopulaire, mais apportera ses fruits sur le court terme », nous assure-t-on.
Rien de nouveau sous le soleil, donc, tandis que les milieux bancaires et la classe politique, au premier rang de laquelle Nabih Berry, n’ont aucun intérêt à ce qu’il y ait une rupture avec la politique économique menée jusqu’à présent par Riad Salamé. Pour autant, si ce dernier l’a nommé en tant que successeur, c’est « parce ce qu’il est convaincu de la capacité de Mansouri à maintenir la stabilité a minima », souligne Karim Daher. « Ensemble, Wassim Mansouri et les trois autres vice-gouverneurs peuvent constituer une garantie dans la mesure où il y aura probablement une prise de décision collégiale », ajoute-t-il. Un mode de gestion qui trancherait avec celui qui avait été instauré depuis des décennies par M. Salamé qui régnait en maître absolu.
Les prémices de changement que ferait miroiter un mandat provisoire de Wassim Mansouri ne seraient cependant pas à même de rassurer les chrétiens. « J’ai bien peur que Mansouri ne soit prédestiné par sa communauté à occuper ce poste pour un mandat complet de six ans, dans le cadre d’un deal quelconque », confie l’ancien ministre chrétien. « Que pourra faire Mansouri s’il n’a pas au moins six ans devant lui et une équipe soudée ? » fait-on déjà valoir dans les milieux de la BDL, comme pour préparer les esprits à cette éventualité. Ces derniers jours, les principaux partis chrétiens semblent avoir lâché du lest et se disent désormais plus enclins à accepter l’accession de Mansouri à la tête de la BDL. Une façon de dire... « deal » ?
commentaires (16)
Ce pays est une arnaque Quand je pense que dans tous les pays du monde on parle en terme de citoyenneté et que dans le Liban de 2023 on parle de citoyenneté liée à la confession j’ai honte même de dire que je suis libanais! Pauvre Liban Misons sur les compétences et non pas sur les confessions parce qu’on en a des Libanais compétents… C’est tellement triste
Chour Hassan
19 h 44, le 06 juillet 2023