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Entre religion et laïcité : l’histoire complexe des valeurs européennes

Les valeurs religieuses ont dominé en Europe jusqu’à la première moitié du XXe siècle, mais les valeurs laïques ont progressivement pris le dessus depuis le haut Moyen Âge et sont maintenant majoritairement adoptées par la société européenne. Elles résultent d’un long processus social, politique et philosophique qui s’est développé depuis le Moyen Âge jusqu’à nos jours. Cependant, un noyau conservateur reste attaché aux valeurs chrétiennes traditionnelles, la crise économique, sociale et sécuritaire causée par le terrorisme en Europe ayant nourri cette tendance.

L’Europe est un continent d’une grande richesse culturelle et historique, façonné depuis des siècles par diverses influences, tant chrétiennes que laïques, qui ont eu un impact significatif sur la société, la politique et la culture. Les valeurs du christianisme, telles que l’amour, la compassion, la justice, le pardon, la foi, l’humilité et la paix, ont également largement influencé la culture européenne.

Cependant, les valeurs chrétiennes n’ont pas toujours été respectées en Europe, pour diverses raisons. Parmi celles-ci, le fait que la propagation du christianisme dans le continent ait souvent été marquée par la force et la coercition, plutôt que par des conversions volontaires et éclairées. De plus, l’intervention de la politique dans la religion a également joué un rôle important dans la manière avec laquelle ces valeurs ont été appliquées dans la société, la politique et la culture européennes au fil du temps.

En effet, si la propagation du christianisme en Europe a souvent été marquée par la force et la coercition, c’était pour des raisons politiques, même si certaines personnes se sont converties volontairement grâce aux missionnaires. Parmi les facteurs qui ont contribué à la propagation du christianisme en Europe, on peut citer les décrets de l’empereur Constantin, célèbre pour avoir émis l’édit de Milan en 313 qui a accordé la liberté de religion aux chrétiens dans l’Empire romain, et cela pour des raisons politiques, afin de renforcer l’unité de l’Empire romain sous son autorité. Plus tard, en 380, l’empereur Théodose a émis l’édit de Thessalonique qui a élevé le christianisme au statut de religion d’État dans l’Empire romain, renforçant ainsi l’autorité de l’empire sur l’Église et renforçant la position du christianisme dans l’empire. Toutefois, ces décisions ont également entraîné une répression violente contre les adeptes des religions locales, contraints de se convertir au christianisme par la force plutôt que par conviction, renforçant ainsi l’autorité de l’empire sur l’Église.

Charlemagne a lancé plusieurs campagnes militaires contre les Saxons, dont certaines ont été marquées par des actes de violence et de cruauté. Il a également imposé des lois et des peines sévères, comme la peine de mort, à ceux qui refusaient de se convertir.

L’Église catholique d’Europe a souvent remplacé, au Moyen Âge, les symboles du pardon et de l’amour par ceux de l’enfer et du diable, avec la présence d’images de démons et d’enfer dans les églises médiévales, afin de maintenir vivace la foi des fidèles et d’attirer de nouveaux adeptes par la peur. Ces pratiques contrastaient avec celles des Églises d’Orient, lieux de rassemblement des croyants au nom de Dieu, de l’amour et du pardon. En Orient, la conversion au christianisme se faisait majoritairement par conviction, les fidèles ayant souvent résisté aux persécutions.

L’intervention de la politique dans la religion a commencé par l’alliance des pouvoirs religieux et politique à l’époque carolingienne visant à créer un État fort, comme ce fut le cas avec Charlemagne et le pape Léon III. L’alliance entre le pape et Charlemagne a eu un impact considérable sur la conversion au catholicisme. La combinaison des pouvoirs de l’Église et du roi a marqué l’Europe jusqu’au XIXe siècle.

Il est vrai que le pape jouissait, à l’époque, d’un pouvoir politique en sus de son pouvoir sacré, tandis que les rois, de leur côté, avaient une dimension divine remontant au roi Clovis. Ainsi, la bulle du pape Boniface VIII en 1302 mentionnait « les deux pouvoirs de l’Église, le spirituel et le temporel... L’un par la main du prêtre, l’autre par celle des rois »... Cependant, les paroles du Christ recommandant de « rendre à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu » n’ont pas toujours été respectées. L’intervention de la politique dans la religion a souvent conduit à des abus de pouvoir et à une instrumentalisation de la religion à des fins politiques. Cela a souvent eu des conséquences néfastes sur la liberté religieuse et sur les droits de l’homme en général.

Au Moyen Âge, l’Église est devenue une institution très puissante en Europe. Elle a fondé des écoles, des hôpitaux et des monastères et a joué un rôle important dans la vie politique et culturelle de la société médiévale. Mais pour des raisons telles que la manière dont a été menée la propagation du christianisme et l’intervention de la politique dans la religion, l’histoire de l’Europe a été marquée par des périodes d’obscurantisme religieux qui ont influé sur le déroulement des événements, et cela depuis le bas Moyen Âge et jusqu’à la première moitié du XXe siècle.

Les événements marquants qui illustrent un dérapage de la part de l’Église et du pouvoir politique en Europe sont :

- Les huit croisades – dont la première, dirigée par le pape Urbain II en 1095, était destinée à récupérer le Saint-Sépulcre des mains des musulmans – ont plutôt été des campagnes d’expansion, pillant et saccageant les territoires et les biens.

- Les juifs, considérés comme responsables de la mort du Christ, ont subi de nombreuses persécutions en Europe depuis le Moyen Âge. Plusieurs papes ont encouragé la discrimination contre les juifs en imposant des restrictions et en les confinant dans des ghettos.

- La discrimination religieuse a engendré des guerres de religion entre les protestants et les catholiques en Europe entre le XVIe et le XVIIe siècle. Des milliers de morts ont été causées par ces conflits.

- L’Église, comme tout pouvoir totalitaire, n’a pas hésité à contrôler la justice et à installer des forces oppressives afin de pérenniser son pouvoir. Elle a également créé un instrument de terreur, les tribunaux de l’Inquisition qui ont sévi du XIIIe au XVIIIe siècles. Plusieurs scientifiques ont été persécutés et tués parce que leurs découvertes scientifiques entraient en conflit avec les enseignements de l’Église.

- L’Église a béni la colonisation européenne qui a esclavagé l’Afrique et causé de nombreux décès et destructions. En 1454, la bulle du pape Nicolas V a autorisé la conquête de l’Afrique. Elle stipulait : « La faculté pleine et entière d’attaquer, de conquérir, de vaincre, de réduire et de soumettre tous les Africains païens... De réduire leurs personnes en servitude perpétuelle… »

En parallèle à l’obscurantisme religieux qui a marqué l’histoire de l’Europe, une autre perspective s’est ouverte au XIIe siècle. En effet, cette période a été marquée par un développement démographique, économique et politique important. Les croisades ont permis aux Européens de découvrir la civilisation orientale plus développée que la leur par certains aspects, ce qui les a poussés à un renouveau culturel et artistique, notamment au sein de l’Église catholique qui a joué un rôle-clé dans le développement de l’art et de l’architecture. Cette période a également vu les Européens s’intéresser à la philosophie grecque conservée chez les Arabes, contribuant ainsi à l’émergence d’un mouvement de traduction de textes de philosophie, de médecine et d’anatomie de l’arabe au latin, en Espagne et en Italie.

- Entre le XIIe et le XVe siècle, l’Église a patronné la création de plusieurs universités en Europe, dirigées par des laïcs. Au XIIIe siècle, le syllabus de l’évêque de Paris, Étienne Tempier, s’est opposé à l’enseignement de maîtres arabes tels qu’Averroès. Ce syllabus a marqué le début d’une confrontation entre les valeurs religieuses et les valeurs laïques en Europe. Malgré cela, l’enseignement universitaire conservait une certaine liberté. Les universités ont créé une nouvelle classe sociale dotée d’un savoir scientifique et d’un esprit critique. De même, des ecclésiastiques diplômés ont cherché à renouveler l’Église de l’intérieur.

- Au XVIIIe siècle, le siècle des Lumières est le mouvement culturel et littéraire qui a marqué l’Europe en promouvant la connaissance et en s’opposant à l’obscurantisme, à l’intolérance et aux abus de l’Église et de l’État. Des philosophes et des intellectuels ont soulevé la question cruciale de la séparation de l’Église et de l’État, jetant ainsi les bases d’une nouvelle approche de la religion et de la politique. Cette séparation a conduit à la laïcité et à la démocratie moderne en Europe.

- La Révolution française a puisé dans le siècle des Lumières l’esprit critique, la quête de justice sociale et celle de la liberté qui constituent la devise de la République française « Liberté, égalité, fraternité ». En 1794, la Convention nationale a supprimé le budget de l’Église constitutionnelle, autorisé la liberté de culte et stipulé que « la République ne salarie aucun culte en France ». Cette première séparation a pris fin avec Napoléon, qui a signé le concordat en 1801.

Au XIXe siècle, l’Europe était divisée entre les conservateurs, qui utilisaient les valeurs chrétiennes à des fins politiques, et les réformateurs constitués de civils, d’hommes d’Église et d’ordres religieux éclairés. Au XXe siècle, le Vatican les a rejoints avec des papes réformateurs – dont le dernier en date est le pape François – qui souhaitaient une société plus juste et plus équitable. La laïcité a pris de plus en plus d’importance au fil du temps, conduisant ainsi à l’adoption, en France, de la loi de séparation de l’Église et de l’État en 1905.

- Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, les États d’Europe occidentale ont évolué vers l’Union grâce à la démocratie. Les baby-

boomers nés après la guerre ont adopté les valeurs laïques de l’Europe et ont milité dans des mouvements contre le capitalisme, le consumérisme, l’impérialisme américain et les guerres. Cela a ouvert la voie à de nouvelles formes de contestation, telles que l’écologie politique, les mouvements féministes, le retour à la nature, l’acceptation de la diversité et la liberté sexuelle.

Bien que l’Union européenne soit confrontée à des défis internes et externes, la majorité des Européens souhaitent vivre ensemble en paix et séparer la société civile de la société religieuse. L’hymne à la joie de Beethoven est devenu l’hymne européen symbolisant cet esprit. En contraste, La Marseillaise, l’hymne de la France, comporte des paroles évoquant la violence et la guerre.

Actuellement, les valeurs laïques universelles fondées sur la raison et sur les droits de l’homme dominent la scène européenne. Voici, à ce propos, le récit de la protection des valeurs consacrées par le traité sur l’Union européenne (TUE) signé à Maastricht en 1992 : « Les lois de l’Union sont fondées sur les valeurs de respect de la dignité humaine, de la liberté, de la démocratie, de la légalité, de l’État de droit, ainsi que de respect des droits de l’homme, y compris des droits des personnes appartenant à des minorités. »

Les paroles du Christ « Il faut rendre à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu » triomphent. Cependant, certaines périodes de l’histoire de l’Église ont vu cette dernière s’écarter de ce principe pour des raisons temporelles.

Architecte D.P.L.G.

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Les valeurs religieuses ont dominé en Europe jusqu’à la première moitié du XXe siècle, mais les valeurs laïques ont progressivement pris le dessus depuis le haut Moyen Âge et sont maintenant majoritairement adoptées par la société européenne. Elles résultent d’un long processus social, politique et philosophique qui s’est développé depuis le Moyen Âge jusqu’à nos jours....

commentaires (2)

Votre article est très intéressant, il faut pas oublier le schisme de 1054 entre Rome et Constantinople qui a duré jusqu’à 1964 grâce à Paul VI nous avons retrouvé la paix entre l’église catholique et orthodoxe

Eleni Caridopoulou

19 h 04, le 17 mai 2023

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Commentaires (2)

  • Votre article est très intéressant, il faut pas oublier le schisme de 1054 entre Rome et Constantinople qui a duré jusqu’à 1964 grâce à Paul VI nous avons retrouvé la paix entre l’église catholique et orthodoxe

    Eleni Caridopoulou

    19 h 04, le 17 mai 2023

  • "L’intervention de la politique dans la religion a commencé" par l'adoption du Christianisme par Constantin, suivi par l'Islam Omayyade. . Les divinites paienness ont toujours fait parti du Pantheon du pouvoir.

    M.J. Kojack

    16 h 37, le 17 mai 2023

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