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La diplomatie du chéquier


La religion, soutenait Karl Marx, est l’opium du peuple : par l’espérance qu’elle lui insuffle, par le réconfort qu’elle lui apporte, elle l’aide à endurer passivement les misères de l’existence. Il peut arriver cependant qu’à l’inverse, l’opium devienne culte pour certains États.


Célèbres sont ainsi les guerres de l’opium que la Grande-Bretagne menait au XIXe siècle contre la Chine pour des raisons essentiellement mercantiles ; en stimulant la dépendance des Chinois à ce pourvoyeur de paradis artificiels, Londres espérait en effet miner de l’intérieur l’Empire du Milieu et l’amener à ouvrir son immense marché au commerce extérieur. Depuis– et les exemples sont légion –, le trafic de drogue s’est affirmé comme une des principales sources de financement du terrorisme. Avec le Colombien Escobar et le Mexicain El Chapo, la tentaculaire industrie en venait à disputer sa préséance à l’État; avec le Panaméen Noriega elle se hissait carrément au rang de narco-État.


Mais le plus stupéfiant, c’est bien le cas de le dire, c’est quand pour un tel État, la drogue n’est plus seulement source de richesse mais se transforme en outil de pression, de chantage et d’extorsion : en deux mots, de subversion sociopolitique, méthodiquement exercée contre un autre État en œuvrant à l’abrutissement de sa population. C’est précisément de cette plaie que se plaint l’Arabie saoudite, que balaie en ce moment un vent d’ouverture. Spectaculairement réconciliée avec l’Iran, on la voit cependant conduire tambour battant la réhabilitation arabe de Bachar el-Assad, brûler les étapes et offrir à ce dernier concession sur concession, pourvu seulement que tarissent les flots de captagon en provenance de Syrie. Davantage que tout autre sujet de friction avec Damas, bien plus que le retour des millions de réfugiés à leurs foyers, c’est à la lutte contre ce fléau affectant gravement les générations nouvelles, souvent réduites à l’oisiveté par le chômage, que le prince MBS accorde visiblement la priorité.


Admirable de paternaliste vigilance, n’est-ce pas? Malheureux (et fort hasardeux !) est en revanche le procédé choisi pour régler le problème. Pour le régime syrien dont des proches gèrent notoirement la fabrication et la commercialisation des cachets d’amphétamine, cette activité représente des rentrées annuelles de plusieurs milliards de dollars : soit bien davantage que toutes les exportations légales que peut encore revendiquer un pays ravagé par onze années de guerre civile. Que fait dès lors l’Arabie pour avoir la paix? Ce qu’ elle sait le mieux faire, et cela de longue tradition : dégainer son chéquier. Car c’est en casquant que la monarchie wahhabite avait échappé, au siècle dernier, à la vague d’attentats que lançaient alors les groupes radicaux palestiniens contre les alliés des États-Unis. C’est encore en raquant que le royaume avait cru, par la suite, se prémunir contre le terrorisme d’el-Qaëda. Et c’est en négociant en ce moment le montant de la rançon, car c’en est bien une, que le Trône se montre disposé à cracher une fois de plus au bassinet. Sans la moindre garantie que la partie adverse tiendra ses engagements.


De la pluie de pétrodollars qui s’annonce, notre pays frappé d’une cruelle sécheresse financière ne risque évidemment pas de recevoir (ni même d’apercevoir) une seule goutte. Pourquoi d’ailleurs y aurait-il droit ? Ce n’est pas en effet l’État libanais, mais l’État dans l’État, qui – en dépit de ses dénégations – s’est dévoué pour faire essaimer sur notre territoire, et plus précisément le long de la frontière syrienne, un charmant chapelet de laboratoires chimiques, en renfort au réseau de Damas. Voilà qui nous valait pourtant la mise à l’index, par Riyad, de nos produits agricoles, suite à l’interception de beaux fruits généreusement farcis de cachets de drogue. Dénué de dirigeants responsables et capables de plaider sa cause, le Liban récoltait en prime une réputation de narco-république venant s’ajouter à celle de temple de la corruption.


À croire, face à tant d’absurdité, que le captagon saisi n’était pas perdu pour tout le monde…

Issa GORAIEB

igor@lorientlejour.com

La religion, soutenait Karl Marx, est l’opium du peuple : par l’espérance qu’elle lui insuffle, par le réconfort qu’elle lui apporte, elle l’aide à endurer passivement les misères de l’existence. Il peut arriver cependant qu’à l’inverse, l’opium devienne culte pour certains États. Célèbres sont ainsi les guerres de l’opium que la Grande-Bretagne menait au XIXe...