Pour sa première rencontre avec un responsable officiel, après sa première apparition publique à partir de Bkerké, le « Rassemblement des indépendants pour le Liban » a fait le bonheur du président de la Chambre, Nabih Berry. Recevant mercredi à Aïn el-Tiné la trentaine de personnalités dans leur majorité chrétiennes qui composent ce groupe, M. Berry leur a dit : « Vous me donnez au moins l’occasion de discuter avec des élites chrétiennes, alors que les partis chrétiens ont refusé à plusieurs reprises toutes mes invitations au dialogue. »
La rencontre a duré près de deux heures et les débats ont porté sur des questions de fond, loin de la présidence. Il a ainsi été question du rôle des chrétiens au Liban, de l’édification d’un État civil, de la modernisation de la loi électorale, autant de thèmes cruciaux qui sont, de l’avis du Rassemblement, de nature à renforcer le partenariat entre les Libanais et la cohésion interne. Mais la question qui se pose est la suivante : le fait pour ces figures d’avoir entamé leurs rencontres politiques par Aïn el-Tiné est-il un indice sur leur identité véritable, un groupe de figures chrétiennes proches du tandem chiite?
L’un des fondateurs du Rassemblement, Rafi Madayan, explique que les rencontres ont commencé à Aïn el-Tiné simplement parce que M. Berry est le président de la Chambre. D’autres rencontres devraient suivre avec le Premier ministre sortant Nagib Mikati ainsi qu’avec d’autres responsables, dont le commandant en chef de l’armée, mais aussi avec les différents groupes parlementaires et partis politiques. Le Rassemblement se défend d’être appuyé par un groupe précis et en particulier par le tandem Hezbollah-Amal. « L’idée de créer ce Rassemblement est née il y a quelques années déjà. Mais à cette époque-là, les circonstances du pays étaient différentes. Les chrétiens notamment semblaient en phase avec leur environnement et se sentaient représentés par des partis, notamment le Courant patriotique libre et les Forces libanaises », explique M. Madayan. Ces partis avaient noué des relations plus ou moins étroites avec les autres composantes du pays, le CPL avec le 8 Mars et les FL avec le 14 Mars. Au point que le Hezbollah refusait d’avoir un autre interlocuteur chrétien que la formation aouniste. Aujourd’hui, cela a bien changé. « Ces partis ne sont plus aussi représentatifs que par le passé (les dernières législatives l’ont montré) et les chrétiens sont en période de doute sur leur rôle au Liban », selon M. Madayan. Les alliances entre les différentes composantes politiques se sont affaiblies, les positions se sont radicalisées et chaque camp se replie sur lui-même. Incapable de trouver des idées nouvelles, chaque camp s’enferme dans l’hostilité envers les autres, alors que le Liban a plus que jamais besoin d’un dialogue de fond entre ses composantes, notamment le Hezbollah, avec lequel les parties chrétiennes refusent pratiquement de parler.
Ces considérations ont poussé M. Madayan et ses compagnons à penser que le timing est idéal pour lancer ce Rassemblement, qui regroupe des figures chrétiennes d’horizons différentes, unies dans la volonté de trouver des réponses aux nombreuses questions que se pose la communauté et de se transformer en une sorte de « lobby influent ». Pour M. Madayan, les chrétiens vivent désormais dans l’obsession de la démographie. « Ce qui faisait la particularité du Liban, grâce à la communauté chrétienne, notamment sur le plan économique, éducatif, médical et autre, se développe désormais dans les États du Golfe. Et les parties chrétiennes traditionnelles sont trop occupées à lutter entre elles alors que les institutions de l’État s’effondrent l’une après l’autre. Tout ce qui avait été forgé pendant des années est en train d’être détruit », déplore-t-il. De plus, le Rassemblement a été encouragé par le Vatican, qui depuis le synode de 1997 pousse les chrétiens à s’intégrer dans leur environnement arabe et musulman. Le pape Jean-Paul II, lors de sa visite historique au Liban en 1997, avait lancé aux jeunes réunis à Harissa : « Exprimez-vous en arabe! » Avant de leur demander de détruire les murs entre eux et construire des ponts à la place. Selon les membres du Rassemblement des indépendants pour le Liban, toute la philosophie de cette initiative repose sur « la recherche d’un nouveau rôle pour le Liban et pour ses chrétiens ». Pour eux, cette question est rendue plus urgente par la présence des déplacés syriens au Liban et par le manque d’empressement de la communauté internationale à les ramener chez eux. Et de révéler que le patriarche Béchara Raï a clairement exprimé devant eux sa crainte que les Syriens remplacent au fur et à mesure les chrétiens au Liban. « Aujourd’hui, dit M. Madayan, le modèle de la Suisse du Moyen-Orient est fini avec Taëf. Celui du Hong Kong du Moyen-Orient aussi, prôné par Rafic Hariri, après l’assassinat d’Yitzhak Rabin en 1995 par les extrémistes israéliens. Seul le projet du Hanoï du Proche-Orient lancé par le Hezbollah est resté. Mais les chrétiens et les sunnites en sont exclus. Il faut donc trouver un rôle qui puisse rassembler tout le monde. Les chrétiens devraient être à la pointe de ce rôle national, mais ils ne peuvent pas le faire seuls. »
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Useful idiots
Guy Nohra
10 h 14, le 15 mai 2023