Le passeport libanais, l’un des moins puissants au monde, est devenu paradoxalement l’un des plus chers. Renouveler son passeport à l'emblème du cèdre à l’étranger coûte désormais une petite fortune dans le prolongement de la crise aiguë au Liban depuis 2019 : 600 dollars aux Etats-Unis pour une durée de dix ans, 528 euros en France, 720 dollars canadiens au Canada, 429 livres sterling en Grande-Bretagne, 2210 dirhams aux Emirats arabes unis, 818 dollars australiens en Australie… Des tarifs en devises, affichés sur les sites web des chancelleries libanaises à l’étranger, et qui représentent l’équivalent de 540 à 600 dollars.
Le passeport libanais se classe pourtant à la 99ème place sur 108 de l’Index Henley 2023, puisqu'il permet un accès sans visa à seulement 41 pays. A titre comparatif, le Japon caracole en tête du classement avec un accès libre à 193 pays et 34 visas requis seulement.
A deux mois de la période estivale qui s’annonce prometteuse en termes de tourisme, notamment issus de la diaspora libanaise, la question interpelle. Les Libanais de l’étranger qui ne disposent pas d’une autre nationalité, se retrouvent face à deux alternatives pour l'obtention ou le renouvellement de leur passeport. Payer des droits de chancellerie exorbitants, dans le pays où ils résident, auxquels s’ajoutent les coûts d’une procédure accélérée, facultative. Ou alors engager au Liban une procédure accélérée, nettement moins onéreuse, parce qu’indexée au taux du dollar du marché parallèle qui s’échange actuellement autour de 94 500 LL.
Au pays du cèdre, en effet, selon les prix affichés sur le site internet de la Sûreté générale, l'institution chargée de délivrer les documents de voyage, le passeport normal dit de seconde classe, coûte 12 millions de LL, soit 127 dollars au taux actuel. Pour un passeport de première classe, sans autre avantage que celui de comporter un numéro spécial, il faudra débourser la coquette somme de 22 millions de LL soit 233 dollars. La procédure accélérée sera, elle, facturée 2 800 000 LL supplémentaires, soit environ 30 dollars. Des montants qui restent largement au-dessus des tarifs des passeports les plus puissants au monde, mis à part le renouvellement d'un passeport pour dix ans qui ne coûte que 2 millions de livres.
Quelques comparaisons
Pour des documents de voyage équivalents, de type biométrique, pour adultes, et valables dix ans, voici quelques tarifs pratiqués par des Etats de destination des Libanais, affichés sur les sites web officiels. Un passeport français en métropole coûte 86 euros ; délivré à l’étranger, le tarif grimpe à 96 euros. Aux Etats-Unis, le passeport américain coûte 130 dollars, et varie à l’étranger, entre 110 et 145 dollars, selon qu’il s’agisse d’une première demande ou non. Quant au passeport canadien, délivré sur place, il coûte 160 dollars canadiens, contre 260 dollars canadiens, s'il est délivré depuis un consulat aux Etats-Unis. Enfin, renouveler ou remplacer son passeport britannique coûte en ligne 82,5 livres sterling, et 10 LS de plus pour la procédure papier.
Pourquoi un tel coût ?
Pourquoi le prix du passeport est-il si inabordable pour les Libanais de l’étranger, d’autant que ces derniers, parmi lesquels figure un nombre important d’étudiants, sont également touchés par l’effondrement de la livre libanaise ?
Selon une source diplomatique s’exprimant sous couvert d’anonymat, les autorités ont relevé en septembre 2021 les tarifs des droits de chancellerie et des prestations consulaires à la suite de l’effondrement de la monnaie nationale. « Cela faisait 20 ans que les prestations des documents de voyage et des certifications de documents notamment n’avaient pas été modifiées. Elles ont été relevées par une décision conjointe des ministres sortants des Affaires étrangères, Abdallah Bou Habib, et des Finances, Youssef Khalil, dans le cadre d’un réajustement avec les tarifs des chancelleries étrangères mais aussi pour assurer des rentrées à l’Etat ». Si la question n’a pas fait de remous, sur le moment, c’est parce que « le dollar était encore abordable », alors qu’aujourd’hui, « le coût du passeport peut effectivement être une lourde charge » pour les Libanais de l’étranger.
Pour fixer le coût d’un passeport valide pour dix ans, délivré à l’étranger, « les autorités libanaises prennent comme point de départ le tarif de base de 60 dollars par an ou son équivalent dans la devise du pays », selon la source diplomatique précitée, sachant qu’il était auparavant possible d’obtenir un passeport pour un, trois, cinq ou dix ans. Mais vu les normes internationales imposées par l’Organisation de l’aviation civile internationale (OACI) exigeant des passeports lisibles à la machine, la Sûreté générale libanaise ne peut plus émettre de documents de voyage libellés à la main. D’où sa décision d’émettre des passeports sur cinq ou dix ans seulement, électroniques (avec des codes-barres lisibles par les machines, mis en circulation en 2003) et biométriques (dès 2017), avec pour objectif de généraliser les passeports biométriques. « Tous les passeports sont biométriques désormais. Il ne devrait plus y avoir même de passeports dits électroniques », observe la source diplomatique.
Difficultés liées à la crise
Or le passage généralisé au biométrique est freiné par deux facteurs. D’abord « la crise économique qui a entraîné une grave pénurie de passeports biométriques », et créé des listes d’attente de plusieurs mois. Ensuite, « le manque d’équipements des chancelleries libanaises à l’étranger, qui les empêche de prendre les empreintes digitales des primo-demandeurs de passeports biométriques », selon cette même source. Autrement dit, les consulats libanais ne peuvent délivrer de passeports biométriques qu’aux personnes qui en ont déjà obtenu, car elles n’ont plus besoin de donner leurs empreintes. Jusqu’à nouvel ordre, « seule la SG au Liban est susceptible de délivrer ce premier document de voyage ».
« Face à cette réalité, et pour permettre aux Libanais de l’étranger d’obtenir un passeport même s’ils ne peuvent retourner au Liban, la Sûreté générale a recyclé son ancien stock de vieux passeports dits électroniques », explique la source diplomatique. C’est la raison pour laquelle les chancelleries continuent de renouveler des passeports pour un an ou d’en délivrer d’autres pour cinq ans.
Que font les chancelleries de cet argent ?
Ce sont ces recettes consulaires - frais de passeports et certifications en tête- qui alimentent le fonctionnement du réseau diplomatique libanais à l’étranger, depuis la crise. « Factures d’eau et d’électricité, loyer, assurance, gaz, mais aussi salaires du personnel, tout est assuré grâce à ces recettes, depuis que la Banque du Liban ne transfère plus d’argent aux ambassades et consulats du Liban à l’étranger, il y a un an et huit mois environ. Seuls les salaires des diplomates sont toujours transférés par la BDL », révèle la source. Parallèlement, et dans le cadre de la politique d’austérité menée par les autorités, les représentations diplomatiques libanaises à l’étranger « ont réduit leurs dépenses de plus de 20 millions de dollars durant ce laps de temps. Des réductions qui touchent le personnel (30 à 50%) et les loyers notamment ». A voir si ces économies substantielles permettront de réduire le coût des passeports libanais.
commentaires (15)
Le gouvernement libanais est aussi voleur au pays que outre-mer. .au moins il est un escroc. constant
Robert Moumdjian
05 h 28, le 15 mai 2023