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Cash et faux jetons

Que peut-il y avoir de pire que de s’enferrer dans l’erreur sans se hâter d’y remédier ? C’est de commettre une erreur plus grosse encore en croyant avoir, serait-ce sur le tard, corrigé le tir. Tel est le sentiment que laisse la décision de la Ligue des États arabes de réintégrer dans ses rangs cette Syrie dont elle suspendait l’adhésion il y a un peu moins de douze ans.


Le fait est que cette vertueuse mise en quarantaine n’avait jamais trop inquiété Bachar el-Assad ; elle n’avait en rien entamé sa détermination à redoubler de barbarie pour réprimer la rébellion ; et elle n’avait fait que le pousser toujours plus loin dans les bras de l’Iran puis ceux, encore plus musclés, de la Russie. Cette tardive réhabilitation, le Raïs s’applique à donner l’impression que ce n’est pas lui qui l’a quémandée mais plutôt ses accusateurs, une fois revenus à de meilleurs sentiments. Assad n’est en aucun cas le fils prodigue de la célèbre parabole revenant, contrit, la queue basse, auprès de sa famille après avoir dilapidé en débauches sa part d’héritage, et pour qui on égorge le veau gras. Il n’est pas question, pour lui, de faire amende honorable, d’exprimer ses regrets pour les centaines de milliers de ses concitoyens qui ont péri bombardés ou gazés, ou pour les millions d’autres qui ont trouvé refuge hors de leur pays. Loin de célébrer l’aubaine des retrouvailles, il se paie même le luxe d’entretenir un flou artistique autour de sa participation au prochain sommet arabe de Djeddah, auquel il est convié. De tous ses pairs de la Ligue, il est visiblement le moins pressé d’aller en besogne.


Tout se passe en somme comme si, d’entrée de jeu, Assad venait de rafler une première et substantielle mise en n’engageant en réalité dans la partie que des jetons bidons, à savoir de vagues promesses. Celle dont la concrétisation semble être attendue avec le plus d’impatience n’est pas, comme on pourrait le supposer, un règlement du conflit syrien et la fin des immenses tragédies humanitaires dont il est la cause. Dans l’immédiat en effet, la priorité semble aller plutôt à la lutte contre le trafic régional d’amphétamines qui trouve sa source en Syrie même, qui est contrôlé par des proches du régime de Damas, et qui fait des ravages parmi la jeunesse d’ Arabie saoudite et d’autres royaumes du Golfe. Cette urgence se trouve d’ailleurs illustrée par le raid aérien opéré dès lundi en territoire syrien par la Jordanie et qui a coûté la vie à un des barons de la contrebande…


Bien davantage cependant que les jeunes émirs en quête de trips dans les nuages, les Libanais sont en droit de s’interroger avec anxiété sur les retombées du come-back syrien. La captagon connection n’est pas seule en cause, comme on s’en doute, même si les alliés locaux de Damas ont fait du Liban une des plaques tournantes de ce trafic, lui attirant de dures représailles économiques. Considérablement plus problématique est la remuante présence, sur notre sol, de près de deux millions de déplacés syriens que le régime n’est pas particulièrement pressé de rapatrier.


Dénoncé avec virulence par l’opposition syrienne en exil qui y voit un feu vert donné aux crimes de Bachar, désavoué par les États-Unis, le retour en grâce du régime reste tout de même la toute première phase d’un processus forcément long et probablement laborieux. On voit déjà pavoiser néanmoins, sur la scène politique locale, ceux qui en escomptent un égoïste, un bassement politicien bénéfice. La palme de la flagornerie revient incontestablement au chef du CPL qui, volant au secours de la victoire, a revendiqué aussitôt une part du mérite. C’était là, bien sûr, passer un coup d’éponge supplémentaire sur toutes les violences baassistes faites au Liban. Emporté par son enthousiasme, l’ingénieur-entrepreneur Gebran Bassil n’a pas manqué toutefois de se pourlécher les babines à la perspective du fabuleux chantier que représentera un jour la reconstruction de la Syrie.


Sacrée bosse des affaires, que nulle parure ne parviendra jamais à camoufler…

Issa GORAIEB
igor@lorientlejour.com

Que peut-il y avoir de pire que de s’enferrer dans l’erreur sans se hâter d’y remédier ? C’est de commettre une erreur plus grosse encore en croyant avoir, serait-ce sur le tard, corrigé le tir. Tel est le sentiment que laisse la décision de la Ligue des États arabes de réintégrer dans ses rangs cette Syrie dont elle suspendait l’adhésion il y a un peu moins de douze ans.Le fait...