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Moyen-Orient - Témoignages

Ces Syriens naturalisés qui votent Erdogan

Parmi les plus de 100 000 Syriens ayant le droit de vote en Turquie, certains comptent donner leur voix au parti du président Erdogan aux prochaines élections, convaincus qu’il représente pour eux un moindre mal face à ses concurrents.

Ces Syriens naturalisés qui votent Erdogan

Des enseignes en arabe dans le quartier de Fatih, à Istanbul, abritant un grand nombre de réfugiés syriens. Photo d'archives AFP

« Je vous rappelle la réunion sur Zoom à 11 heures avec le chef du Parti de la justice et du développement (AKP, parti du président turc Recep Tayyip Erdogan, NDLR) », lance un des 800 membres du groupe WhatsApp. Tous sont non seulement acquis au reïs mais sont aussi des Syriens ayant obtenu la citoyenneté turque au cours des dernières années et disposant du droit de vote aux prochaines élections présidentielle et législatives prévues le 14 mai. La conversation abonde de notifications renvoyant à des liens vers des discours du président turc ou informant de réunions à venir par des responsables de son parti. L’heure est grave pour ces électeurs alors que le chef de l’État joue sa réélection à la tête du pays dans moins de deux semaines. Et que les derniers sondages publiés au cours du week-end donnent une légère avance au principal candidat de l’opposition, Kemal Kiliçdaroglu (à la tête du Parti républicain du peuple – CHP) dans la course à la présidentielle.


Des Syriens attendent devant un magasin dont l'enseigne est en arabe dans le quartier d'Ondergazi de la capitale turque Ankara. Photo d'archives Adem Altan/AFP

Soutien du président turc, Ahmad*, arrivé d’Alep en 2016 et ayant obtenu la citoyenneté du pays trois ans plus tard, rappelle d’emblée les « positions humanitaires » prises par Recep Tayyip Erdogan envers le peuple syrien depuis le début de la guerre. « J’ai échappé aux bombardements du régime d’Assad, aux avions de guerre russes et aux crimes des milices iraniennes, confie le quinquagénaire habitant entre Istanbul et Hatay. Erdogan a soutenu notre peuple toutes ces années. »

Racisme antisyrien
Depuis le début du soulèvement populaire syrien en 2011, la Turquie a fourni une protection temporaire à au moins 3,6 millions de réfugiés en provenance du pays voisin, soit le plus grand nombre de réfugiés enregistrés dans un pays. Parmi ces Syriens, plus de 220 000 ont obtenu la citoyenneté turque, d’après des chiffres publiés par les autorités en décembre 2022, tandis que plus de la moitié ont l’âge requis pour voter. Pour ceux d’entre eux défendant Recep Tayyip Erdogan bec et ongles, impossible d’ignorer l’hostilité croissante de la société turque à leur égard et le poids central qu’ils occupent dans les discours électoraux. « Ce serait mentir que d’affirmer qu’il n’y a pas de ressentiments contre nous », témoigne Esra*, originaire de Homs et ayant acquis la citoyenneté turque fin 2021. « Au quotidien, on vit le racisme et tout genre d’incident… », renchérit cette habitante d’Istanbul.

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Car des formations d'extrême droite fondées sur le rejet des réfugiés, à l’instar du Zafer Partisi, à l’Alliance nationale (bloc des six partis d’opposition) en passant par l’Alliance du peuple (menée par le chef de l’État), presque tous les partis politiques – à l’exception du HDP (prokurde) – surfent sur le retour de millions de Syriens dans leur pays d’origine. L’AKP n’est pas en reste. Si le président turc s’était au départ clairement prononcé en faveur de l’accueil de « nos frères sunnites », il a cependant opéré un virage à 180 degrés dans sa rhétorique, à mesure que la grogne populaire contre les Syriens s’est intensifiée dans le pays, sur fond de crise économique. Pourtant, parmi les Syriens qui comptent apporter leur voix au président turc sortant, nombreux sont ceux qui voient le reïs comme un moindre mal. « L’AKP est meilleur que les autres partis qui nous haïssent, clame néanmoins Esra. Les autres formations placent les Syriens en première ligne de leur programme pour les renvoyer chez eux. »

« Surenchères électorales »
Certes, le parti au pouvoir tient à soigner les apparences, précisant que les Syriens seront renvoyés sans risques et sur la base du volontariat. Mais, dans les faits, plusieurs organisations de défense des droits de l’homme ont récemment documenté des vagues de déportations forcées de centaines de réfugiés syriens dans le nord du pays voisin. Au printemps 2022, M. Erdogan a en outre annoncé la construction dans le Nord syrien d’une centaine de milliers de préfabriqués à destination des réfugiés syriens de Turquie. Principal parrain des rebelles syriens depuis 2011, le président turc avait en outre jugé possible une rencontre avec Bachar el-Assad en novembre dernier, avant que les ministres de la Défense des deux pays n’échangent le mois suivant aux côtés de leur homologue russe sur « les façons de résoudre la crise syrienne et la question des réfugiés ». Ahmad, lui, est loin de croire à une normalisation entre son pays d’origine et celui d’adoption. « Ce ne sont que des surenchères électorales liées à la situation domestique. Ça se terminera avec la fin des élections. »

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Pour la majorité de ces naturalisés, la question syrienne se révèle déterminante pour orienter leur vote aux prochains scrutins. Architecte d’une vingtaine d’années originaire d’Alep, Aifi confesse, lui, « ne pas du tout aimer la plupart des actions d’Erdogan concernant les affaires syriennes ». C’est pourtant pour lui qu’il compte voter le 14 mai, invoquant d’autres thématiques. « Je vois l’excellent travail qu’a fait l’AKP en Turquie. Il a transformé le pays d’un État refermé sur lui-même à un autre, ouvert aux puissances mondiales, estime-t-il. Économiquement parlant, il n’y a pas de solution tangible si Kemal Kiliçdaroglu arrive au pouvoir mais si Erdogan y reste, il trouvera peut-être une solution à long terme. » Des arguments à rebours des critiques adressées contre la politique économique menée par le reïs turc, accusé d’avoir plongé la Turquie dans une crise sans précédent, causée notamment par des baisses des taux d’intérêt.

* Le prénom a été modifié. 

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