Critiques littéraires Récit

Daniel Rondeau : le Liban au cœur

Daniel Rondeau : le Liban au cœur

D.R.

Si on est Français et amoureux du Liban, on sait qu’on va aimer ce Beyrouth sentimental de Daniel Rondeau dès qu’on lit la première phrase : « J’ai posé mon front sur le cœur du pays du Cèdre et je vis avec les pulsations de Beyrouth dans la tête. » Mais cette sorte de « carnet de bord » – 1987-2022 – d’un pays d’abord en guerre, puis en proie à tant de désillusions, jusqu’à ce moment où, écrit Rondeau, « pour la première fois je l’ai saisi en flagrant délit de désespérance », peut-il intéresser autant les Libanais, qui connaissent toute l’histoire ? Certainement, s’ils aiment la littérature, car c’est un livre d’écrivain, plein de rencontres improbables, de portraits inattendus. Et même les choses programmées, comme les visites officielles de chefs d’État ou d’hommes politiques sont racontées autrement, avec verve et, quand il le faut, ironie.

On y croise des personnages de la France littéraire de la fin du XXe siècle, comme Roger Stéphane, venu parler de l’amitié entre Malraux et De Gaulle, pionnier d’une série à laquelle des tirs syriens mettront fin au bout de quelques mois. Rondeau découvre ce passé de Beyrouth, qu’il n’a pas eu la chance de connaître, « réduit à des gravats ». Mais dans ce pays qu’il n’a vu « que sur le qui-vive », on va quand même dîner chez Sami à Jounieh, on y retournera longtemps après la guerre, pour les délicieux poissons. On fait la connaissance de l’homme qui « blinde » toutes les voitures, ce qui, avec la violence partout, ne le laisse pas inoccupé. Il a blindé sa première voiture, la sienne, en 1977, et après huit mois de tâtonnements, a mis au point le processus.

Cette fin des années 1980 est celle où « la mort est un personnage de la ville ». Pourtant, « à Bkerké, siège du patriarcat maronite rien n’a changé depuis Barrès ». Mais on peut aussi croiser un taureau en pleine rue qui « charge » des voitures, rouges de préférence. Rondeau n’avait pas lu Khalil Gibran (1883-1931) et ne savait rien de lui puisque la biographie que lui a consacrée Alexandre Najjar est de 2002. C’est Adonis, qui, selon lui « a très bien parlé de son problème, ou plutôt du nôtre, celui qu’il nous pose : “c’est un astre qui tourne seul hors de l’orbite de l’autre soleil qu’est la littérature, dans son acception universelle” ».

Rondeau parle de politique et de littérature, ses deux passions – on a lu Chronique du Liban rebelle 1988-1990 (Grasset 1991) – et tout ce qu’il dit de Michel Aoun, d’hier et d’aujourd’hui, déplaira peut-être à certains. Et on peut préférer l’entendre évoquer Salah Stétié, Gabriel Bounoure, le père Ducruet, le jésuite « qui ne croit pas à la mort ». On voudrait avoir connu Maha Chalabi, la Dame de Tyr. Ou l’émir Maurice Chehab, mort en 1994, qui a assumé la responsabilité du Musée national quand il était situé sur la ligne de front. Ou plus encore Pépé de Byblos. Il avait, un jour, dansé avec Ava Gardner et était, selon Rondeau, une des figures de la mélancolie libanaise : « Il représentait à lui seul l’insouciance perdue. » Et on s’en voudrait de ne pas aller à la Maison Rose car « il arrive que les maisons nous parlent ».

L’insouciance ne reviendra pas, même la guerre finie. Mais il y aura de beaux moments, comme ce voyage de 2009 avec Vénus Khoury-Ghata et quelques autres. Et Rondeau promène son lecteur pendant un moment dans la vie de Vénus, résumée par elle. Dans ces années-là, on pourra se balader avec bonheur dans Achrafieh, passer des nuits blanches, ou un moment assez intime avec Fairuz… En dépit de la présence d’un président de la République.

Les Libanais se souviennent trop bien du 4 août 2020 pour qu’on le leur rappelle. Mais comme pour Rondeau, le Liban, pour les Français qui l’aiment, est synonyme d’énergie – « les Libanais ont cette force singulière de toujours penser à se reconstruire. » Et s’il fallait tout résumer en peu de mots, ce serait « joie, courage, fantaisie, énergie ».

Beyrouth sentimental. 1987-2022 de Daniel Rondeau, Stock, 2023, 224 p.

Si on est Français et amoureux du Liban, on sait qu’on va aimer ce Beyrouth sentimental de Daniel Rondeau dès qu’on lit la première phrase : « J’ai posé mon front sur le cœur du pays du Cèdre et je vis avec les pulsations de Beyrouth dans la tête. » Mais cette sorte de « carnet de bord » – 1987-2022 – d’un pays d’abord en guerre, puis en proie à tant de...

commentaires (0)

Commentaires (0)

Retour en haut