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Moyen-Orient - Éclairage

Soudan : trêve fragile et défis régionaux

Le répit est amer : le cessez-le-feu de 72 heures entré en vigueur le 25 avril a surtout permis aux Soudanais de poursuivre leur exode loin de la guerre entre les deux généraux Burhane et Hemetti, chacun mobilisant ses soutiens régionaux pour tenter de l’emporter.

Soudan : trêve fragile et défis régionaux

Ali Mazloum, un citoyen libanais qui a été évacué du Soudan, est accueilli par ses proches à l’aéroport de Beyrouth le 25 avril 2023. Mohamed Azakir/Reuters

Des carcasses calcinées d’immeubles détruits par les bombardements, un trottoir recouvert de débris en tout genre foulés par des civils hagards, certains portant de rares denrées alimentaires, la plupart n’étant chargés que de stupeur… Tel est le visage macabre du quartier Bahri de Khartoum, autrefois bouillonnant de vie, dans une vidéo tournant en boucle sur les réseaux sociaux le mardi 25 avril, au matin de la trêve de 72 heures consentie par l’armée régulière du général Abdel Fattah al-Burhane et les Forces de soutien rapide de Mohammad Hamdane Dagalo, alias Hemetti.

Pendant dix jours, les affrontements entre les deux camps ont fait plus de 420 morts et 3 700 blessés selon l’ONU. Mais aucun ne semblant sur le point de l’emporter, les deux généraux sont convenus d’une pause dans les combats, précise Hafiz Ismaïl, directeur de Justice Africa Sudan : « Le conflit ne va nulle part. Chaque partie pensait que la guerre serait rapide, ce qui est loin d’être le cas. Les affrontements ont au contraire un coût trop élevé en termes humains, notamment par l’exode qu’ils provoquent. »

« J’entends toujours des tirs »

Le cessez-le-feu, obtenu sous l’égide des États-Unis, doit en effet permettre de poursuivre l’évacuation des civils soudanais et étrangers de Khartoum, déjà vidée de nombreux habitants fuyant depuis le 21 avril les balles perdues, les déflagrations des bombes, mais aussi les pénuries d’eau, d’électricité, d’aliments et de moyens de paiement. Un exode qui ne se limite pas à la capitale, 15 000 personnes ayant déjà fui le Darfour vers le Tchad, selon l’ONG International Rescue Committee, tandis que jusqu’à 270 000 pourraient fuir au Tchad et au Soudan du Sud, d’après l’ONU. La majorité des Soudanais fuient par voie terrestre vers les pays frontaliers, tandis que certains essayent d’embarquer par bateau vers l’Arabie saoudite depuis Port-Soudan, le royaume ayant évacué mardi 356 personnes, dont 101 Saoudiens. Face à la dégradation de la situation, la plupart des ressortissants étrangers ont également été évacués ou sont en train de l’être, à l’exception notable de quelque 16 000 Américains.

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Les civils qui restent s’inquiètent désormais de savoir si le cessez-le-feu sera plus durable que les trois précédents, qui ont tous avorté. « J’entends toujours des bruits de tirs à l’arme lourde », se désole le 25 avril au matin Hamid Khalafallah, chercheur associé au Tahrir Institute for Middle East Policy. Au même moment, les FSR ont déjà accusé l’armée de poursuivre ses attaques aériennes sur la capitale, tandis que cette dernière a dénoncé de nombreuses violations par les FSR, les accusant de profiter de la trêve pour déplacer des troupes vers Khartoum.

Des gens embarquent à bord d’un ferry à Port-Soudan pour être évacués, le 25 avril 2023. Photo AFP

La crainte d’une régionalisation du conflit

Or si la trêve échoue, les violences risquent d’« envahir toute la région et au-delà », avait averti lundi le secrétaire général de l’ONU Antonio Guterres. Il faut dire que les deux généraux, qui ont mené un coup d’État ensemble en octobre 2021 pour mettre un terme au processus de transition vers un régime civil avant de se retourner l’un contre l’autre, se prévalent de soutiens régionaux et internationaux dont l’intervention dans le conflit est surveillée comme le lait sur le feu.

« Nous sommes préoccupés depuis un certain temps par le rôle joué par certains de nos amis au Moyen-Orient, ainsi que par la Russie et d’autres, qui soutiennent l’un ou l’autre camp », a ainsi affirmé Alfred Mutua, le ministre kényan des Affaires étrangères, dans une conférence de presse conjointe avec son homologue américain Antony Blinken le 24 avril. Ce dernier a été plus concret : « Nous avons de très sérieuses préoccupations sur l’engagement du groupe de Prigojine – le groupe Wagner – au Soudan », a-t-il dit. Le groupe paramilitaire russe fondé par Evguéni Prigojine, un proche de Vladimir Poutine, exporte depuis plusieurs années de l’or soudanais au travers de la société Meroe Gold. Mais le 18 avril, M. Prigojine a écrit sur son compte Telegram qu’aucun de ses combattants n’était présent au Soudan depuis deux ans, allant même jusqu’à se proposer trois jours plus tard comme médiateur entre les deux parties en conflit.

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Selon des documents des services de renseignements américains ayant fuité dans la presse le 23 avril, le groupe Wagner cherche cependant à établir « une confédération » d’États anti-occidentaux en Afrique et pourrait ainsi profiter de l’effondrement du Soudan. « Les États-Unis craignent sans aucun doute une expansion de l’influence russe dans ce pays, ce qui pourrait être la principale motivation de leurs efforts de médiation », livre Mohammad Suliman, chercheur à l’Université de Boston. « En particulier après que des rapports ont confirmé que le groupe Wagner, en coordination avec le maréchal libyen Khalifa Haftar, a fourni de l’aide militaire aux FSR », abonde-t-il. Reste que de nombreux observateurs soulignent que Moscou est actuellement trop occupé sur le front ukrainien pour s’investir sérieusement dans ce pays d’Afrique de l’Est.

« Je pense qu’il y a bien un aspect international dans le conflit actuel, admet Hafiz Ismaïl, mais cela ne veut pas dire qu’il s’agit d’une guerre par procuration au nom de l’Égypte, des Émirats ou de la Russie. » « À l’inverse, les deux généraux ont des ambitions personnelles et chacun cherche un soutien régional pour les mener à bien », tient-il à préciser.

Jeune analyste soudanais, Omer Farouk rappelle qu’à l’origine, les Émirats arabes unis, l’Arabie saoudite et l’Égypte ont soutenu le tandem Burhane-Hemetti pour mettre fin au régime dictatorial de Omar al-Bachir en avril 2019, avant de se diviser : « Les monarchies du Golfe ont alors appuyé Hemetti et l’Égypte le général Burhane », dit-il. « Le Caire a trois raisons principales pour être du côté de l’armée, poursuit-il. D’abord, des liens historiques forts entre les deux armées, qui remontent à l’époque coloniale et rendent les relations très fortes entre les généraux des deux pays. Ensuite, l’inquiétude d’une vague de réfugiés à sa frontière en cas de guerre ouverte au Soudan, ce qui mettrait une pression supplémentaire sur une économie égyptienne déjà exsangue. Enfin, l’Égypte a besoin du soutien des militaires soudanais dans son conflit avec l’Éthiopie autour du barrage de la Renaissance. »

Depuis sa participation à l’effort de guerre émirati au Yémen, Hemetti a pour sa part pu compter sur l’appui d’Abou Dhabi. Au début du conflit, quand le maréchal libyen Khalifa Haftar a envoyé au moins un avion rempli d’armes pour les FSR, selon le Wall Street Journal, beaucoup y ont vu un soutien indirect des Émirats, parrains de l’homme fort de l’est de la Libye, ce qu’Abou Dhabi a démenti. « Haftar et les Émiratis ont en commun d’avoir reçu de l’aide militaire d’Hemetti dans leurs guerres respectives. Donc ils lui renvoient l’ascenseur, car ils pourraient avoir besoin de lui dans le futur », estime Hafiz Ismaïl.

Des passagers ayant fui le Soudan débarquent à la station de bus de Wadi Karkar, près de la ville égyptienne d’Assouan, le 25 avril 2023. Photo AFP

Soutien prudent

Il n’empêche que tant l’Égypte que les Émirats ont davantage intérêt à la stabilité du Soudan qu’à voir leur allié local prendre le dessus. D’une part, outre l’exportation d’or soudanais, les Émiratis ont investi dans des projets agricoles d’envergure et des sociétés émiraties ont signé un accord en décembre 2022 pour devenir opérateurs de ports stratégiques au Soudan, rendant peu profitable la descente du pays dans le chaos. D’autre part, Le Caire « se contente d’un soutien prudent à l’armée », selon Omer Farouk, car si « l’Égypte a peur de l’expansion des FSR, elle craint aussi de renforcer les islamistes présents en son sein ». Cela pourrait expliquer la réponse confuse des autorités égyptiennes après que l’armée soudanaise a annoncé la mort d’un attaché militaire égyptien le 24 avril, accusant les FSR. Les autorités égyptiennes ont d’abord démenti, avant de confirmer son décès dans un communiqué ne désignant aucun coupable.

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Une prudence sur laquelle pourraient miser les États-Unis pour rallier à leur tentative de médiation « les pays arabes ayant un accès direct et une influence sur les généraux Burhane et Hemetti » que sont l’Égypte, les Émirats et l’Arabie saoudite, selon Anette Hoffmann, chercheuse au Clingendael Institute. Pour cela, malgré son désengagement du Golfe, « Washington dispose encore d’outils d’influence, étant donné que l’économie égyptienne dépend beaucoup de l’aide financière américaine. Par ailleurs, les États-Unis pourraient brandir la menace de sanctions, notamment sur les entreprises émiraties exportant l’or soudanais », lesquelles portent une responsabilité dans l’essor des paramilitaires de Hemetti.

Washington pourrait aussi s’appuyer sur les efforts d’Israël, qui a proposé aux deux généraux soudanais d’accueillir des pourparlers, selon le média Axios, en coordination avec les États-Unis et les Émirats. Reste que la déclaration d’Antony Blinken le 24 avril, assurant vouloir continuer à travailler à « l’objectif commun d’un retour à un gouvernement civil », ressemble à un vœu pieux à l’heure où la guerre semble avoir porté un coup fatal au processus de transition démocratique. Selon une analyse du chercheur Mahmoud Salem dans al-Monitor, « l’absence d’approche dynamique du gouvernement américain a nourri le conflit », notamment en renonçant à adopter des sanctions ciblées en 2021 contre les généraux putschistes, dont le jusqu’au-boutisme menace désormais toute la région.

Des carcasses calcinées d’immeubles détruits par les bombardements, un trottoir recouvert de débris en tout genre foulés par des civils hagards, certains portant de rares denrées alimentaires, la plupart n’étant chargés que de stupeur… Tel est le visage macabre du quartier Bahri de Khartoum, autrefois bouillonnant de vie, dans une vidéo tournant en boucle sur les réseaux...

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