Les faits
• Des documents classifiés signés notamment du sceau du Pentagone ont fuité en ligne ces dernières semaines. Certains ont été diffusés sur une chaîne de la plateforme de discussion Discord, fermée depuis, avant d’atterrir sur Telegram ou Twitter, selon le Washington Post.
• Des informations sensibles ont en outre été divulguées sur l’évaluation tactique du conflit en Ukraine et d’une contre-offensive ukrainienne face aux forces russes, ainsi que sur l’ampleur du soutien militaire de la Maison-Blanche à Kiev.
• D’autres informations ont révélé que Washington surveille ses alliés comme la Corée du Sud ou Israël, risquant de provoquer des tensions diplomatiques.
• Ces documents, qui paraissent être authentiques – à l’exception de quelques-uns qui auraient été manipulés pour amoindrir le nombre de pertes russes en Ukraine –, contiennent des rapports de renseignements humains comme d’autres obtenus via des technologies avancées de surveillance satellite, y compris des retranscriptions de conversations confidentielles au plus haut niveau.
• L’ampleur réelle et l’origine de la fuite ne sont pas encore connues à ce jour, bien que des observateurs affirment que cette dernière ne peut être qu’américaine. Le département de la Justice américain a lancé une enquête. De nombreux pays alliés ont déjà réagi, disant attendre des explications de Washington.
• Le porte-parole du Kremlin Dmitry Peskov a pour sa part affirmé lundi qu’il n’avait pas besoin de commenter les allégations accusant Moscou d’être impliqué, notant une « tendance à tout mettre sur le dos de la Russie ».
Sur les Émirats arabes unis
• Des officiers du FSB, l’agence de renseignement russe, se sont vantés d’avoir convaincu les Émirats arabes unis « de travailler ensemble contre les agences de renseignement américaines et britanniques », selon un document consulté par l’Associated Press.
• Le document évoque une conversation interceptée par des technologies de surveillance (par téléphone ou courriers électroniques), concluant que les EAU voient probablement dans cette collaboration « une opportunité de renforcer les liens croissants entre Abou Dhabi et Moscou et de diversifier les partenariats de renseignements dans un contexte d’inquiétude face au désengagement américain de la région », rapporte l’agence de presse.
• Abou Dhabi a démenti l’information, la qualifiant de « catégoriquement fausse ». Il n’est pas clair si un tel accord entre services de renseignements a été conclu et si la conversation interceptée était intentionnellement ou non trompeuse.
• Les liens entre la Russie et les EAU se sont resserrés ces dernières années, notamment depuis le début de la guerre en Ukraine, et malgré les sanctions occidentales contre Moscou. Le président émirati Mohammad ben Zayed a rencontré son homologue russe Vladimir Poutine à Saint-Pétersbourg en octobre 2022, malgré la désapprobation occidentale.
• En 2022, les échanges commerciaux entre les deux pays ont bondi de 68 %, atteignant le chiffre record de 9 milliards de dollars. La fédération émiratie, qui cherche à attirer les investissements et les travailleurs étrangers qualifiés en vue de sa diversification économique, accueille désormais de nombreux oligarques et entreprises ayant quitté la Russie, Dubaï et Abou Dhabi faisant partie de leurs destinations préférées.
• Le Trésor américain a en outre estimé à plus de 18 millions de dollars les exportations émiraties vers des « entités russes désignées par les États-Unis » entre juillet et novembre 2022, dont 5 millions de dollars de marchandises américaines devant faire l’objet d’un contrôle à l’exportation. Parmi elles, des semi-conducteurs « dont certains peuvent être utilisés sur le champ de bataille », selon Élisabeth Rosenberg, secrétaire adjointe chargée du financement du terrorisme et des crimes financiers.
• En 2020, le renseignement américain soupçonnait la fédération de financer des opérations du groupe Wagner, société paramilitaire russe, notamment en Libye. En mars 2022, le Groupe d’action financière (GAFI), organisme international de surveillance du blanchiment de capitaux et du financement du terrorisme, a placé les Émirats sur sa liste grise.
Sur l’Égypte
• Selon des documents fuités vus par le Washington Post, le président égyptien Abdel Fattah el-Sissi aurait ordonné la fabrication de 40 000 roquettes pour le compte de la Russie, en pleine guerre en Ukraine, malgré le risque de sanctions occidentales.
• Datant du 17 février, un rapport cite des conversations faisant état de livraison d’obus d’artillerie et de poudre à canon, précisant que le chef de l’État aurait expressément demandé que les transactions restent secrètes pour « éviter les problèmes avec les Occidentaux ».
• Selon le document, un certain Salah el-Din, probablement Mohammad Salah el-Din, ministre d’État pour la Production militaire, aurait mentionné un retour d’ascenseur pour une « aide russe préalable non spécifiée », selon le média américain.
• Cité par le Washington Post, le porte-parole du ministère des Affaires étrangères égyptien, Ahmad Abou Zeid, a réitéré la position de « non-implication » de son pays dans le conflit en Ukraine et son engagement à se tenir à « équidistance des deux parties ».• Interrogé par le média américain, un officiel américain a déclaré sous le couvert de l’anonymat que l’administration « n’était pas au courant d’une quelconque exécution de ce plan ».
• Dans le cas contraire, l’Égypte pourrait devenir la cible de sanctions occidentales dans le cadre d’un soutien à la Russie dans la guerre en Ukraine, alors que cet allié sécuritaire régional est un important bénéficiaire de l’aide financière américaine à l’étranger.
• L’arrivée de Joe Biden à la Maison-Blanche en janvier 2021 a néanmoins jeté un froid. Sur l’enveloppe annuelle de 1,3 milliard de dollars d’aide sécuritaire allouée au Caire, 130 millions avaient été bloqués, conditionnés au respect des droits de l’homme dans le pays.
• Depuis le début de la guerre en Ukraine, Le Caire subit en outre la flambée des cours des matières premières, présentant en mars un taux d’inflation annuel de 32,7 %. À un an des élections, la hausse du coût de la vie participe au mécontentement populaire qui fait craindre au régime des manifestations de masse.
• Dans ce contexte, le régime égyptien, premier importateur de blé du monde, a augmenté la part des importations russes de 50 % à 57 % entre 2021 et 2022 en raison du blocage du blé ukrainien lié au conflit.
• Le Caire et Moscou collaborent aussi dans le domaine du ferroviaire et de l’énergie nucléaire, Rosatom ayant entamé l’année dernière la construction de la première centrale en Égypte.
Sur Israël
• Des documents analysés par le Washington Post révèlent également que le Mossad aurait, selon des informations récoltées à travers des technologies de surveillance, « encouragé (ses) responsables et les citoyens israéliens à manifester contre les réformes judiciaires proposées par le nouveau gouvernement israélien, avec plusieurs appels explicites à l’action pour critiquer le gouvernement ».
• Le bureau du Premier ministre israélien a immédiatement répondu au nom du Mossad, en caractérisant les informations ayant fuité de « mensongères et sans aucun fondement ». Benjamin Netanyahu a ajouté que les services de renseignements « n’ont aucunement été impliqués dans la question des manifestations et sont guidés depuis leur création par la valeur du service de l’État ».
• Le mois dernier, le chef du Mossad, David Barnea, avait officiellement donné l’autorisation aux personnels de rang inférieur de l’organisation de participer aux manifestations, sous condition de garder leur anonymat professionnel lors de leur apparition en public.
• Par ailleurs, selon le Haaretz, des centaines d’anciens représentants de l’appareil sécuritaire israélien, dont l’ex-directeur du Mossad Tamir Pardo, ont signé une lettre de contestation fin février dénonçant le « coup d’État » du nouveau gouvernement.
• Israël est agité depuis le début de l’année par des manifestations massives contre la réforme judiciaire souhaitée par le gouvernement le plus à droite de l’histoire du pays. Fin mars, Benjamin Netanyahu a dû suspendre la réforme face à la fronde populaire qui a suivi l’annonce du licenciement – annulé mardi – du ministre de la Défense, Yoav Gallant, qui s’était opposé publiquement au projet de loi.
• Le mois dernier, le fils du Premier ministre, qui assure sa ligne de défense sur les réseaux sociaux, avait mis en cause la responsabilité de certains membres des services de renseignements israéliens hostiles au projet de loi et du département d’État américain dans les manifestations.
• Dans un geste inédit, Joe Biden a récemment exprimé son inquiétude quant à la réforme judiciaire et a appelé le Premier ministre israélien à « ne pas continuer » dans cette direction.
• Si elles se révélaient être vraies, les informations des renseignements américains seraient significatives, alors que le Mossad est officiellement assigné aux opérations spéciales et renseignements extérieurs et qu’il lui est interdit d’intervenir directement dans les affaires domestiques. « Cela signalerait jusqu’où la coalition de Netanyahu a poussé la société israélienne et à quel point les enjeux sont importants », analyse Natan Sachs, chercheur à la Brookings Institution, cité par le Washington Post.
• Dans un contexte de relations bilatérales déjà tendues, les révélations d’un espionnage américain de son allié israélien pourraient accentuer la méfiance entre les deux dirigeants Benjamin Netanyahu et Joe Biden.
Sur la Turquie
• Les documents révèlent aussi, selon le Washington Post, que la Turquie aurait été approchée par des membres du groupe Wagner afin de leur fournir du matériel militaire « pour leurs actions au Mali et en Ukraine ».
• Le rapport des renseignements américains mentionne également que le président malien par intérim, Assimi Goïta, aurait « confirmé que le Mali pourrait acheter des armes de la Turquie au nom de Vagner », employant une autre typographie du groupe paramilitaire russe.
• Le document ne mentionne pas si la signature d’un potentiel contrat a été actée, ou encore si le gouvernement turc avait connaissance de l’identité du bénéficiaire final de la vente.
• Alors que la Turquie, membre de l’OTAN, cherche à jouer un rôle de médiateur dans le conflit ukrainien, en n’imposant par exemple aucune sanction contre la Russie, elle fournit néanmoins des drones à l’Ukraine. Une aide militaire à Moscou pourrait la mettre dans une situation embarrassante, au moment où elle s’oppose notamment à l’entrée de la Suède dans l’Alliance transatlantique dans le contexte de la guerre en Ukraine.
commentaires (7)
Contrairement à ce que vous affirmez, beaucoup de doutes subsistent sur l'authenticité de ces "fuites"...Nonobstant, rien que de très ordinaire, "business as usual" derrière les coulisses...
IBN KHALDOUN
16 h 09, le 12 avril 2023