« Les gens cherchent la présence de Dieu car la situation actuelle n’est plus entre leurs mains. La pratique religieuse les aide à trouver la force pour affronter les circonstances difficiles et lutter contre le désespoir », observe le prêtre Agapios Naous à la paroisse orthodoxe de Mtayleb, lors d’un entretien avec L’Orient-Le Jour.
En cette année 2023 où les célébrations de Pâques et du Fitr se croisent, le père Naous – tout comme d’autres dignitaires chrétiens ou musulmans – fait le même constat. Beaucoup de Libanais se tournent vers la pratique religieuse pour chercher un remède à leurs problèmes quotidiens, à la peur du lendemain, à l’anxiété ou à la maladie, après des années de crise économique et sanitaire dévastatrices. Pourtant, ces signes extérieurs de croyance, s’ils se sont intensifiés, ne témoignent pas nécessairement d’un engagement religieux renforcé.
« L’engagement religieux reflète la situation dans le pays »
« Pendant la guerre, les croyants fréquentaient davantage les églises. Aujourd’hui, surtout après la pandémie de Covid-19, ils prient plutôt chez eux », remarque Mgr Georges Bacouni, archevêque grec-catholique de Beyrouth et Jbeil. Lui préfère la fréquentation régulière d’une paroisse, estimant que cela montre qu’on est animé par une foi vivante, et « pas simplement par la crainte de Dieu ». « En ces temps de crise, les croyants se tournent vers des rituels individuels et collectifs dans les maisons, ou devant les “mazarat” (petits sanctuaires au coin des rues), constate-t-il. Les malades qui n’ont plus les moyens de se soigner prient pour guérir sans médicaments, et les parents prient pour que leurs enfants partent vivre à l’étranger. »
« L’engagement religieux reflète la situation de crise dans le pays », souligne de son côté le père Claude Nadra, secrétaire général de l’Organisation de la Ligue maronite (OLM). « Certains viennent plus souvent à la messe, mais la plupart des croyants sont trop préoccupés par les problèmes du quotidien pour fréquenter l’église le dimanche », explique-t-il, notant que l’exil des étudiants et des jeunes familles a entraîné, lui aussi, une baisse de la fréquentation.
Mohammad Hussein el-Hajj, cheikh chiite dans la banlieue sud de Beyrouth, estime également que la fréquentation des lieux religieux s’est dégradée en même temps que les conditions de vie dans le pays. « Les dignitaires vivent comme des privilégiés, déconnectés de la population et de ses problèmes, reconnaît-il. Dans le pays, il y a une augmentation des signes apparents de dévotion, comme la prière ou le jeûne, mais l’engagement sincère se fait rare chez les croyants. Les gens ne font pas attention à leurs actions dans une société toujours plus corrompue. »
Ancien directeur général de Dar el-Fatwa et désormais juge dans un tribunal islamique sunnite, cheikh Mohammad Nokkari observe lui aussi une baisse de la fréquentation des mosquées, qu’il explique principalement par une émigration massive des Libanais ces dernières années, surtout chez les 18-35 ans.
« J’ai rencontré Jésus »
Pour Roula Talhouk, docteure en anthropologie religieuse et en théologie pratique, en temps de crise comme en temps de guerre ou de catastrophe, les croyants cherchent un réconfort dans des pratiques populaires. « Pendant le séisme (du 6 février en Turquie, qui a été ressenti au Liban), beaucoup ont invoqué une force extérieure en collant par exemple des prières sur les murs pour qu’ils ne s’effondrent pas, évoque-t-elle. Néanmoins, ces signes extérieurs de croyance ne témoignent pas d’un véritable engagement religieux qui requiert une bonne connaissance des textes. »
Le réconfort dans la prière, beaucoup le recherchent hors des cadres traditionnels de leur communauté. Joëlle, 35 ans, chrétienne pratiquante depuis son plus jeune âge, a délaissé la messe où elle se rendait plusieurs fois par semaine accompagnée de sa mère, devenue très pieuse après le décès de son mari, pour se tourner vers un groupe charismatique de prière. En 2020, en pleine crise, la jeune femme a, comme elle le dit elle-même, « rencontré Jésus » en rejoignant « al-Aansarah al-Jadida » (la Nouvelle Pentecôte). « Tout est corrompu dans le pays, clame-t-elle. Le peuple a perdu sa spiritualité en adorant des saints et des statues. Peu de chrétiens ont vraiment lu l’Évangile et s’inspirent des actions du Seigneur. Le temple du Saint-Esprit ne se trouve nulle part d’autre qu’en nous. »
« Le nombre de prieurs dans notre groupe a augmenté de 70 % depuis la crise », indique Johnny, qui dirige ce groupe de prière composé d’une quarantaine de membres, relié à une confédération d’un millier de disciples. « Parmi eux, seulement un tiers devient adepte. Il y a des chrétiens, des druzes et des musulmans : tous cherchent une réponse à leurs questionnements », affirme-t-il. Tous les vendredis soir, ce cercle se réunit pour s’apporter un soutien mutuel, en parlant des problèmes liés à la situation économique, au couple ou à l’addiction. « Ils prennent de la hauteur en allant vers quelque chose de plus grand », poursuit Johnny. Ce quadragénaire a commencé à prêcher il y a quatre ans. « J’étais dépressif et dépendant aux substances depuis plusieurs années, lorsque, agenouillé au sol, en pleurs, la voix tremblante, j’ai invoqué Jésus et je l’ai rencontré », dévoile-t-il.
commentaires (8)
Même si la Foi ne semble qu'apparente ,il faut s'en féliciter , c'est le "Pari de Pascal": que Dieu existe ou qu'il n'existe pas, autant croire en lui pour être sûr de gagner sa place au paradis, si paradis il y a.
Yves Gautron
20 h 25, le 14 avril 2023