Lors de la signature de l’accord sur la délimitation de la frontière maritime en octobre dernier, tous les avis étaient unanimes : le deal devait réduire la possibilité d’une nouvelle confrontation entre le Hezbollah et Israël, contribuer à geler un peu plus le front du Liban-Sud, et pouvait même être interprété comme le premier jalon d’un futur accord de paix. Cette analyse doit être en partie révisée à l’aune de l’escalade en cours à la frontière libano-israélienne. Une trentaine de roquettes ont été tirées jeudi à partir du Liban-Sud. Israël a répondu vendredi à l’aube en frappant des cibles du Hamas au Liban et à Gaza. Six mois après l’accord maritime, la frontière connaît donc son pic de tensions le plus important depuis la guerre de 2006. De ce point de vue, cette séquence est révélatrice de deux choses. La première, c’est que cette zone n’est pas totalement gelée et peut encore être utilisée comme une carte dans le cadre d’une confrontation dont les enjeux n’ont rien à voir avec le Liban. La seconde, c’est que le Hezbollah, même s’il est probablement impliqué de près dans les événements, est complètement en retrait.
Le parti de Hassan Nasrallah ne veut pas d’une nouvelle guerre qui serait catastrophique pour lui, pour la communauté chiite et pour le Liban. Mais il ne peut pas non plus perdre totalement sa “carte palestinienne”.
On pourrait en rester là
Israël ne veut pas non plus d’une nouvelle guerre. Sa réponse a été “mesurée” et l'escalade n’a fait aucun mort des deux côtés. On pourrait donc en rester là. Tout dépend désormais de la réponse du Hezbollah et du Hamas. Les deux mouvements pourraient être tentés de continuer de “tester” la dissuasion israélienne, profitant du fait que l’Etat hébreu apparaît plus “fragile” qu’à l’accoutumée. Confronté à une crise interne sans précédent, contraint de donner des gages aux franges les plus extrémistes de son gouvernement, et à un moment où sa relation avec son allié américain est au plus bas, le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu est sur la corde raide. La situation peut vite devenir incontrôlable, y compris pour lui, si elle s’embrase simultanément à Gaza, à Jérusalem et à la frontière avec le Liban.
Pour le moment, le Hezbollah et le Hamas semblent avoir réussi leur coup. Si les tirs sont “d’origine palestinienne”, il paraît impossible que le Hezbollah ne soit pas, au moins indirectement, impliqué dans l’opération compte tenu de son poids dans la région. Le fait que celle-ci se déroule lors de la visite du chef du bureau politique du Hamas, Ismaël Haniyé, à Beyrouth n’a d’ailleurs sans doute rien d’une coïncidence. Les deux partis semblent vouloir montrer qu’ils peuvent coordonner leurs efforts et attaquer Israël simultanément depuis Gaza et le Liban-Sud : c’est la stratégie de “l’unité des fronts”, évoquée par Hassan Nasrallah dans ses derniers discours.
Le Hamas était contraint de répondre à l'irruption violente des policiers israéliens dans la mosquée al-Aqsa en plein ramadan. Le fait qu’il puisse le faire à partir du Liban lui offre une nouvelle marge de manœuvre dans sa confrontation avec Israël.
Mais c’est surtout le Hezbollah - et probablement son parrain iranien - qui semble jouer les mastermind dans la séquence. A ce niveau là, l’objectif est simple : il s’agit de changer les règles du jeu sans risquer la confrontation directe. L’Iran et le Hezbollah sont régulièrement ciblés depuis des années par des frappes israéliennes en Syrie. Rien que cette semaine, ils l’ont été à quatre reprises. Jusqu’ici, l’équation est la suivante : en Syrie, le Hezbollah et l’Iran n’ont pas les moyens de répondre à Israël et ils ne peuvent pas non plus le faire depuis le Liban sans risquer une nouvelle guerre. En utilisant la “carte palestinienne” depuis le Liban, ils s’offrent la possibilité de répondre, au moins de façon symbolique, sans être en première ligne. “L’axe de la résistance” peut ainsi montrer qu’il est encore le fer de lance de la lutte contre Israël, malgré l’accord sur la frontière maritime et malgré la détente irano-saoudienne qui, au contraire, semble lui permettre de se concentrer davantage sur ce front sans risquer d’être totalement isolé dans la région. Les relations entre le Hamas et cet “axe de la résistance” sont revenues au beau fixe après des secousses liées à la guerre en Syrie. Téhéran cherche clairement à unifier les actions de tous ces mouvements afin de diversifier ses options contre Israël et de tenter de changer l’équation. Autrement dit, de prouver qu’il est lui aussi capable de frapper sur plusieurs fronts.
Compte tenu de la réponse israélienne, l’Iran et le Hezbollah peuvent être amenés à considérer qu’ils ont marqué des points durant cette séquence. Ce constat est toutefois à nuancer pour deux raisons. D’abord, les tirs de roquettes, malgré leur force symbolique, sont loin de compenser les dégâts qu'inflige régulièrement Israël à l’Iran sur tous les fronts. Ensuite, les deux protagonistes, en particulier le Hezbollah, jouent clairement avec le feu et risquent de renforcer l’animosité à leur égard sur la scène libanaise. Cette fois-ci, l’escalade était contrôlée et contrôlable. Mais elle ne le sera peut-être pas toujours si ces événements sont désormais appelés à se répéter.
Palestiniens et Libanais ont mille raisons d'en vouloir à Israël, mais le Liban, ou du moins une partie de ce Liban, a assez donné, assez combattu Israël, et ne doit plus porter à elle seule et indéfiniment le poids du combat contre un tel adversaire.
14 h 51, le 14 avril 2023