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Lifestyle - Histoires de thérapie

Tuer le père ? Une pensée impossible

Le moment est sacré, intime, personnel. Un face-à-face entre le psychanalyste et son patient, qui se fait dans la colère, les larmes, les fous rires et les silences. Un passage obligé qui rassemble les confidences, comme les pièces d’un puzzle qui constituent une vie. Dans cette rubrique bimensuelle, le Dr Chawki Azouri partage des histoires et des cas qu’il a vécus tout au long de sa carrière, avec des interlocuteurs qui resteront anonymes.

Tuer le père ? 
Une pensée impossible

Illustration Noémie Honein

J’étais alors encore en France et à part mon activité analytique privée, je consultais dans un centre médico-psychologique à Créteil, dans la proche banlieue parisienne. Je suivais un patient de 60 ans, Michel*, fils unique, célibataire et vivant chez son frère. Il était obsessionnel (aujourd’hui, on dirait qu’il souffre de troubles obsessionnels compulsifs – TOC). Ses rendez-vous, toujours aux mêmes horaires, étaient répartis en deux séances par semaine, à 10h00. Or, il arrivait toujours à 9h00, sortait de l’ascenseur qui donnait dans la salle d’attente et, chaque pas qu’il faisait était suivi d’un pas en arrière. De fait, à chaque pas, il avançait à peine de quelques centimètres. En psychanalyse, on appelle cela « l’annulation rétroactive ». Dans nos entretiens, il n’était jamais question de cela, comme si c’était tout à fait normal de mettre une heure pour parcourir quelques mètres. De même, il mettait beaucoup de temps pour faire n’importe quel geste. Ainsi, le matin, avant de se lever du lit, il passait un temps fou à se demander s’il allait poser d’abord le pied gauche ou le pied droit avant. Toutes ses autres activités étaient ralenties de la même manière.

Il consulta beaucoup de médecins, consomma beaucoup de médicaments psychotropes, mais sans résultat. Ce qui lui a coûté beaucoup d’argent… Et s’il a fini par demander une consultation au centre médico-psychologique, c’est bien parce que les consultations étaient prises en charge par la Sécurité sociale. Son enfance et son adolescence se passèrent sans problèmes particuliers, mais elles étaient marquées par un accident de voiture grave subi par son père. Ce dernier devait garder le lit, ne pouvant pas bouger. Sa mère s’était consacrée à son mari et de fait l’avait négligé.

Au bout d’un certain temps, relativement long, il fit un rêve qu’il avait hâte de me raconter. Son père et lui se promenaient en montagne, au bord d’un précipice dangereux. S’approchant imprudemment du bord, son père se mettait en danger. Malgré ses supplications, le père continuait ainsi. Finalement, il tombe, mais le fils réussit à le tenir par un bras. Faisant des efforts surhumains, il n’arrivera pas à le remonter et le père finit par tomber dans le précipice. Il se réveille en hurlant : « Je ne l’ai pas tué, je ne l’ai pas tué. » Complètement ébranlé, il voulait absolument me convaincre qu’il n’avait pas tué son père. « Si je pouvais faire un pas en arrière, tout cela ne serait pas arrivé, on n’aurait pas fait cette promenade inutile, idiote et dangereuse. »

En disant « si je pouvais faire un pas en arrière », il réalise que c’était précisément son symptôme : chaque pas en avant était suivi d’un pas en arrière. Le pas en avant voulait donc dire : j’ai tué mon père, et le pas en arrière annulait le pas en avant : non je n’ai pas tué mon père. Chez les patients obsessionnels, ce genre de symptômes n’est pas si fréquent. Car il s’agit d’un mouvement (et non d’une idée) et de l’annulation de ce mouvement par un mouvement inverse.

Habitué au monde des idées et à leur prépondérance, c’est sur le plan intellectuel surtout que l’obsessionnel se débat pour éviter l’angoisse. Ainsi, par exemple, la « formation réactionnelle » qui aide l’obsessionnel à lutter contre ses pulsions sadiques remplace le sadisme par une bonté excessive. Ce qui convient parfaitement à notre culture et à ses exigences sociales et lui permet d’y trouver une place de choix.

*Le prénom a été modifié par souci de confidentialité.

J’étais alors encore en France et à part mon activité analytique privée, je consultais dans un centre médico-psychologique à Créteil, dans la proche banlieue parisienne. Je suivais un patient de 60 ans, Michel*, fils unique, célibataire et vivant chez son frère. Il était obsessionnel (aujourd’hui, on dirait qu’il souffre de troubles obsessionnels compulsifs – TOC)....
commentaires (1)

Comment un fils unique vivrait chez son frère?

Naji KM

11 h 09, le 09 avril 2023

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Commentaires (1)

  • Comment un fils unique vivrait chez son frère?

    Naji KM

    11 h 09, le 09 avril 2023

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