Dossiers

La dame au palais royal

La dame au palais royal

D.R.

15 mars 1953. Il est midi au 9 rue de Beaujolais à Paris. De sa fenêtre, Gabrielle Sidonie Colette guette l’arrivée de la volaille truffée que son ami Raymond Oliver, chef triplement étoilé du Grand Vefour, lui fait porter une fois par semaine.

La « Dame du Palais Royal », clouée au lit par une arthrite, calme son impatience par une mise en bouche à laquelle s’adonne sa plume avec bonheur à travers de voluptueuses descriptions qui « économisent le sel et usent avec intelligence du poivre… » dixit Jean Cocteau, son voisin et ami. Un exercice de style devenu sa signature sensuelle.

Relire Colette en ces temps de morosité pour célébrer le 150e anniversaire de sa naissance est un véritable hymne à la vie, un reconstituant à mettre d’urgence sur ordonnance.

Née à Saint Sauveur en Puisaye, Colette est élevée dans un terroir riche empruntant à la Bourgogne toute proche nourritures et traditions.

« On naît gourmet… », aimait à dire cette Épicurienne. Le vrai gourmet est celui qui se délecte d’une tartine de beurre comme d’un homard grillé, si le beurre est fin et le pain bien pétri.

À la question « plats préférés », elle répondait invariablement : « Je préfère tout ce qui est bon, tout ce qui fait, de l’heure du repas, une petite fête des papilles, et de l’esprit. »

« Je suis née dans une province où l’on mangeait bien sans même se douter que l’on était gourmand, écrit Colette dans Gastronomie. Chaque foyer, aisé ou pauvre, pratiquait dans mon village natal une gastronomie qui s’ignorait, celle qui sait tirer, de tout produit modeste, le meilleur parti. »

Pionnière du locavore, parfaite « slowfoodista », elle n’a cessé de célébrer les produits frais et de dire son aversion pour les préparations techniques compliquées et les mélanges excentriques. La gourmandise est à table dans tous ses écrits magnifiant les produits les plus simples et l’art de ceux qui les mettent en scène.

De son goût passionné pour le parfum des herbes et des épices, nous retiendrons un engouement particulier pour l’ail dont elle prenait jusqu’à quarante gousses par jour, les croquant comme des noisettes et leur attribuant (à raison !) mille et une vertus.

Malgré une nette prédilection pour les plats en sauce, elle préconisait de manger des fruits et légumes crus pour maintenir le bien-être de l’organisme avec le fenouil en tête de liste et une ordonnance gourmande pour chaque torpeur.

 

Rien de meilleur pour elle qu’une bonne tasse de chocolat chaud pour se remettre d’aplomb avec une petite semoule à la vanille.

Elle ne boudait pas non plus un petit vin d’orange qui la remettait sur pied au moindre coup de mou ou une coupe de champagne dont elle raffolait pour célébrer le bien vivre.

Pour Colette, modération et classicisme priment sur tout le reste et en « arrière les épices coup-de-cymbales, l’alcool grosse-caisse, la sauce-jazz ! » Toute vraie cuisine est une affaire d’équilibre sensoriel dans lequel chaque épice, chaque ingrédient est à sa place et dans son ordre. 

Aussi gourmande des mots qu’elle maniait que des mets qu’elle décrivait, Colette tournait, retournait, mijotait ses phrases jusqu’à trouver la description parfaite pour habiller une page blanche de saveurs. C’est sans doute dans cette rencontre sensuelle des mots et du monde que réside l’un des secrets de son art.

Sa mise en avant de l’art des cuisinières et cuisiniers est particulièrement remarquable. Tout en rendant hommage aux grands talents du métier parmi ses contemporains, elle parle avec amour de ces anonymes « qui tournèrent et tournent encore la mouvette de bois dans une casserole, goûtent, savourent, rêvent un moment, ajoutent une goutte d’huile, un grain de sel, une petite feuille de ‘‘farigoulette”. Celles qui sont encore habituées à peser sans balances, mesurer le temps sans horloge, surveiller le rôti avec les seuls yeux de l’âme. »

L’équivalent en sorte de ce nafass libanais si cher à nos cœurs en cuisine. Parce qu’au final, « si vous n’êtes pas capables d’un peu de sorcellerie, ce n’est pas la peine de vous mêler de cuisine ».

Colette avait tout compris...


15 mars 1953. Il est midi au 9 rue de Beaujolais à Paris. De sa fenêtre, Gabrielle Sidonie Colette guette l’arrivée de la volaille truffée que son ami Raymond Oliver, chef triplement étoilé du Grand Vefour, lui fait porter une fois par semaine.La « Dame du Palais Royal », clouée au lit par une arthrite, calme son impatience par une mise en bouche à laquelle s’adonne sa...

commentaires (0)

Commentaires (0)

Retour en haut