Critiques littéraires

Ounsi el-Hage, d’amour et de liberté

Ounsi el-Hage, d’amour et de liberté

© Georges Semergian

Al-A‘mal al-chi‘riyya al-kamila (Les Œuvres poétiques complètes) d’Ounsi el-Hage, Éditions Al-Mutawassit, 2023, 344p.

Le premier volume des œuvres complètes du poète Ounsi el-Hage vient de paraître aux éditions Al-Mutawassit, en Italie. Il comprend six recueils de poèmes : Lan (Cela ne sera pas), La Tête coupée, Le Passé des jours à venir, Qu'as-tu fait de l'or, qu'as-tu fais de la rose ?, La Messagère aux cheveux longs jusqu'aux sources et Le Banquet. Les aphorismes d’el-Hage, ses chroniques sur l’actualité littéraire et sociale, ainsi que ses traductions, feront l’objet de publications ultérieures. La poétesse Nada el-Hage, sa fille, supervise l’édition de ses ouvrages, publiés par l’éditeur et poète Khaled Suleiman al-Nasseri.

Avant le début de la guerre civile, Ounsi el-Hage a joué, tant dans sa poésie que dans sa prose, un rôle de pionnier et a été l’un des représentants les plus éminents de la modernité arabe. Témoin de toute une génération, il a accompagné la période la plus riche et la plus brillante de l’histoire moderne du Liban.

Poète, critique littéraire, chroniqueur, traducteur, Ounsi el-Hage reste, en premier lieu, le « voleur de feu », chargé à la fois de la beauté et de l’humanité. Il utilisait les mots pour les dépasser et voir l’autre versant des êtres et des choses, car il était hanté par une obsession fondamentale : rompre avec la rhétorique et l’éloquence, et atteindre l’esprit de la poésie. Ainsi, il n’y avait aucune différence entre le poème écrit par ce poète, ouvert à toutes sortes d’expérimentations, et la vie qu’il envisageait, une vie sans restriction. C’est dans les mots qu’il vivait son « ailleurs » et sa « vraie vie ».

Dans ses écrits, le sort de l’individu est indissociable du sort du monde. Son premier recueil, Lan, commence par le mot « peur ». Il y dit que « la peur est un nombre infini » et il ajoute : « J’ai été envahi par la terreur. » Puis, il se demande « Mais la peur… Qu’est-ce que la peur ? » Ou plus exactement, qu’est-ce qui lui fait peur ? Il répond : « Que le mystérieux se détache de mon âme. Que je cesse de fuir. La fuite est mon recours permanent. Je crois qu’il s’agit d’échapper au gouffre. Car il arrive parfois que l’être humain tombe dans le gouffre qu’il essaie de fuir ! »

À compter de cet instant, Ounsi el-Hage cherche la délivrance. Il la trouve dans l’écriture, mais aussi et surtout dans l’amour, ou plutôt, dans sa propre idée de l’amour. N’a-t-il pas dit que « l’amour préfère les timorés aux téméraires, car les premiers fuient le passé et craignent le futur ; l’amour leur ferme l’accès aux deux temps ! »

Pour lui, l’écriture est l’instant où l’on incarne le plus intensément la vie. Elle est à la fois une libération de l’être intérieur et une tentative de le sauvegarder. Selon lui, nous sommes tous des éclopés de la vie, le poète plus que tout autre, car sa blessure est particulière : il aspire à un monde plus clément.

Lui-même s’est senti quelquefois submergé par un sentiment d’accablement et de désespoir. Cette sensation, il l’a éprouvée lorsqu’il a vu l’inutilité absolue et l’impasse de la guerre civile. Pendant cette guerre, et durant de longues années, il a cessé d’écrire de la poésie. Il a choisi le silence et s’est replié sur lui-même, comme s’il répondait à la question d’Hölderlin : « À quoi bon des poètes en temps de détresse ? » Car c’est bien la question qui se pose en temps de crise, c’est-à-dire, en tout temps, surtout à l’époque que nous vivons, où le danger s’accroît pour l’ensemble de l’humanité.

Face à la haine et à la violence, Ounsi el-Hage revendique l’amour et le situe dans l’humain : « Chaque temps recèle sa propre perle qui lui donne son nom. Mais tous les temps n’ont qu’un seul soleil, sans lequel la vie de l’homme et de toutes les autres créatures ne compte pas. Et ce soleil, c’est l’amour. Si l’air a été créé pour que l’homme respire, l’amour l’a été pour que respire l’univers entier. »

Pour lui, la femme a d’abord été l’intermédiaire qui allège le poids des cauchemars intérieurs et extérieurs. Puis cet intermédiaire l’a envahi comme un objet de lumière venu s’interposer entre lui et la noirceur du monde. Ainsi, au lieu de lancer des anathèmes, il s’est voué à l’incantation. C’est là que réside la différence dans l’écriture et l’expression : « L’amour nous change ! » En fin de compte, Ounsi el-Hage est le poète de l’amour, l’amour au sens le plus vaste. « Il constitue tout mon univers intérieur. C’est là qu’est la vraie révolution dans ma poésie, ce n’est pas la forme ! », disait-il.

Quand je l’ai rencontré au journal An-Nahar arabe et international à Paris, lorsque j’y suis arrivé et où il m’a invité à écrire, il n’était pas loin, par la pensée et l’émotion, du Liban en pleine guerre civile, cette guerre qui l’a profondément bouleversé. C’est pourquoi il n’a cessé d’exprimer sa déception à l’égard du pays et de son système politique.

Lorsque, tard dans la nuit, il terminait son travail, nous allions parfois au bar La Calavados, près du siège du magazine. Nous buvions un verre de vin rouge en écoutant la voix rauque et vieillie du chanteur de jazz noir qui nous aidait à dire adieu au jour qui passe.

Al-A‘mal al-chi‘riyya al-kamila (Les Œuvres poétiques complètes) d’Ounsi el-Hage, Éditions Al-Mutawassit, 2023, 344p. Le premier volume des œuvres complètes du poète Ounsi el-Hage vient de paraître aux éditions Al-Mutawassit, en Italie. Il comprend six recueils de poèmes : Lan (Cela ne sera pas), La Tête coupée, Le Passé des jours à venir, Qu'as-tu fait...

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