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Nos Lecteurs ont la Parole

Sayrafa

Il arrive au rendez-vous pile à l’heure dans le hall de sa banque avec un sac poubelle rempli de billets. Poignées de main. Blagues sur le changement d’heure. Il connaît tout le monde et tout le monde le connaît : le général à la retraite, le dentiste qui rêve de partir, le gynécologue, les deux avocats, l’architecte fauché, l’ingénieur à la recherche d’emploi, la veuve reconvertie en agent de change, un petit cercle de milliardaires en monnaie locale qui se prêtent au jeu de Sayrafa et se retrouvent chaque semaine avec des sacs de billets de livres libanaises pour faire des sous.

Les règles du jeu sont fixées par celui qui était jusqu’à hier le GOAT (Greatest of All Time) des gouverneurs de banques centrales et qui a remporté tous les trophées possibles et imaginables.

Pour participer au jeu, il suffit d’avoir des dollars frais et, au minimum, un compte bancaire Sayrafa. Bénéficier d’un passe-droit permet de multiplier les comptes et les perspectives de profits. Bien entendu, les gens de la maison, les banquiers, sont favorisés.

Les règles du jeu sont simples. Le joueur se rend chez le courtier avec des dollars frais, qu’il échange contre des livres libanaises au taux du marché (au jour cité 106 500 livres pour un dollar). Il se rend ensuite à la banque pour reconvertir les livres libanaises en dollars au taux de Sayrafa (au jour cité 90 000 livres pour un dollar). Le joueur empoche la différence après que la banque a prélevé une commission de 3,25 à 5 %.

C’est clair, net et précis : pour un montant d’un milliard de livres libanaises, la limite autorisée pour chaque compte individuel, le joueur réalise un bénéfice de 1 360 dollars. L’idée est d’ouvrir plusieurs comptes pour multiplier les gains. Les commerçants, quant à eux, bénéficient d’un plafond de dix milliards. Les dollars recyclés par Sayrafa sont ensuite retirés par les joueurs via des distributeurs automatiques dans la limite de 5 000 dollars par jour et réinjectés dans le circuit pour un nouveau tour. On fait des sous au Liban, même au milieu des ruines, jusqu’à ce que l’ex-GOAT décide de sonner la fin de la récréation. Alors les banques feront à nouveau la grève, le dollar bondira vers de nouveaux sommets, et les gens s’exclameront, en faisant semblant d’être surpris, « vous vous rendez compte ! » Ça sera le moment idéal pour déclencher une nouvelle comédie burlesque des farfelus au pouvoir afin de détourner l’attention d’une nouvelle prédation des ressources publiques par la mafia d’État. Puis la vie continue, paisible, tranquille, à peu près comme avant, dans ce petit pays divertissant, habité par les gens les plus intelligents du monde.

Les textes publiés dans le cadre de la rubrique « Courrier » n’engagent que leurs auteurs. Dans cet espace, « L’Orient-Le Jour » offre à ses lecteurs l’opportunité d’exprimer leurs idées, leurs commentaires et leurs réflexions sur divers sujets, à condition que les propos ne soient ni diffamatoires, ni injurieux, ni racistes.

Il arrive au rendez-vous pile à l’heure dans le hall de sa banque avec un sac poubelle rempli de billets. Poignées de main. Blagues sur le changement d’heure. Il connaît tout le monde et tout le monde le connaît : le général à la retraite, le dentiste qui rêve de partir, le gynécologue, les deux avocats, l’architecte fauché, l’ingénieur à la recherche d’emploi, la veuve...

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