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Nos Lecteurs ont la Parole

Heure Berry-Mikati (BMT), l’heure de la discorde

M. Berry, président de la Chambre : Puisque tu as évoqué le sujet dans les médias, l’Égypte et les autres sont en train de garder le temps tel quel.

M. Mikati, président du Conseil : Allah Akbar.

M. Berry : Faisons une chose, attends, je ne vais trop t’embêter : au lieu qu’il soit 7 heures, que ça reste 6 heures, de là jusqu’à la fin de ramadan, faites marcher ça.

C’est comme ça qu’on a pu voir et entendre nos deux Prix Nobel des entourloupes, lors d’un échange manifestement préparé à l’avance et (mal) joué, retarder jusqu’à la fin de ramadan le passage à l’heure d’été, grâce à une vidéo qui a soi-disant fuité, alors que la rencontre a eu lieu chez M. Berry, d’où personne n’oserait ni ne pourrait faire fuiter quoi que ce soit à son insu et sans son aval.

Le tout, deux ou trois jours avant la date prévue pour le passage à l’heure d’été, au pied levé, en mettant tout le monde au pied du mur, et avec la même légèreté que s’ils avaient décidé de sortir se promener ensemble sur la plage de Ramlet el-Baïda, juste à côté. Une légèreté apparente qui signifie, et c’est voulu, que MM. Berry et Mikati ne tiennent plus compte de personne, et surtout pas des chrétiens, pour prendre leurs décisions.

Si elle est critiquable sur le fond comme sur la forme, c’est donc surtout la forme de cette décision qui dérange.

En plus d’être manifestement illégale, elle pose aussi des problèmes pratiques, mais surtout politiques.

Avant tout, elle est illégale et même anticonstitutionnelle, parce qu’elle viole les article 64 et 65 de la Constitution.

Le premier énumère limitativement les prérogatives qui échoient au seul président du Conseil des ministres, et le second donne au Conseil des ministres, c’est-à-dire au Conseil dans son ensemble, et non au seul président du Conseil, le soin de veiller à l’exécution des lois et des règlements et de superviser les activités de tous les organismes de l’État sans exception (...)

Elle est aussi illégale parce qu’elle contrevient à un principe juridique élémentaire, celui du parallélisme des formes, selon lequel un acte pris selon une certaine procédure ne peut être modifié ou abrogé que suivant une procédure identique. Or c’est en vertu d’une décision du Conseil des ministres, la décision n° 5 du 20 août 1998, que le Liban passe à l’heure d’été chaque année le dernier dimanche de mars, puis à l’heure d’hiver le dernier dimanche d’octobre. Il aurait donc fallu, pour pouvoir légalement modifier ces dispositions, une décision du Conseil des ministres. Il est à noter que cette décision de 1998 instaurant le passage à l’heure d’été était expressément motivée par la « nécessité pour le Liban d’adopter les horaires précités conformément aux systèmes de navigation aérienne (...) ». D’ailleurs, M. Mikati, comme pour s’excuser de n’avoir pas pris sa décision plus tôt, a fait valoir à M. Berry qu’il voulait faire retarder le passage à l’heure d’été mais qu’on lui avait dit que c’était impossible à cause de l’aviation. Et Berry, balayant l’argument d’un revers de la main, de rétorquer « Quelle aviation ? » comme s’il s’agissait d’un détail insignifiant et sans intérêt.

De fait, la dernière trouvaille de MM. Berry et Mikati, inopinée, précipitée et inopportune, prend de court des secteurs entiers de l’économie et des milliers d’entreprises qui n’ont pas eu le temps de s’adapter à cette décision et de prendre les mesures nécessaires pour s’y conformer sans risque. Dans un pays en plein effondrement économique et institutionnel, se conformer à une telle décision pose un casse-tête sans nom aux Libanais – un de plus, un de trop – dont ils se seraient bien passés. D’autant plus que beaucoup de personnes, d’institutions et d’entreprises, surtout dans les milieux chrétiens, ne comptent pas s’y conformer, ce qui fait que dans un petit pays comme le nôtre qui fait à peine 75 kilomètres de large et même pas 200 km de long, il y aura maintenant deux fuseaux horaires, l’EEST (Eastern European Summertime) et le BMT (Berry Mikati Time), avec un décalage d’une heure, écart absurde et aberrant.

Sur le plan politique, cette décision pour le moins irresponsable mais sûrement préméditée fait d’une pierre plusieurs coups. D’abord, elle peut donner une petite poussée de popularité à MM. Berry et Mikati au sein de leurs bases partisanes, à peu de frais.

Ensuite, parce que illégale et prise sans préavis ni concertation, de manière très cavalière, elle provoque et nargue les chrétiens – une fois de plus, une fois de trop –, ce que MM. Berry et Mikati ne manquent pas une occasion de faire, et attise les velléités fédéralistes et séparatistes de plus en plus répandues et audibles dans ces milieux-là, qui n’ont pas tardé à réagir : leurs instances religieuses, notamment le patriarcat maronite, ont déclaré qu’ils passeraient à l’heure d’été comme prévu, de même que certaines de leurs plus éminentes institutions d’envergure nationale : des universités, des écoles et des hôpitaux, dont les portes ont toujours été ouvertes à tous les Libanais, quelle que soit leur appartenance communautaire.

En instrumentalisant le mois sacré de ramadan, elle jette de l’huile sur les braises ardentes d’une discorde confessionnelle toujours latente dans le pays – les réactions fusent de part et d’autre – et porte un coup supplémentaire, presque le coup de grâce, à un vivre-ensemble déjà très fragilisé que beaucoup qualifient d’hypocrisie et de mensonge.

Surtout, cette décision permet à MM. Mikati et Berry, au prix de la paix civile et du vivre-ensemble, de distraire les musulmans et les chrétiens des autres aberrations, magouilles et entourloupes qui se cuisinent et qui leur nuiront à égalité, comme la décision prise par le ministre sortant des Travaux publics de confier à une entreprise irlandaise rien de moins que la construction d’un second terminal à l’aéroport de Beyrouth, sans passer aucun appel d’offres.

Pour rappel, une seule fois, une décision semblable – qui a refait surface après la polémique actuelle – avait été prise par le passé, par M. Sélim Hoss, prédécesseur de M. Mikati. C’était en 1989, à l’époque où après quatorze ans de guerre civile le pays était divisé en deux et avait deux gouvernements : le gouvernement chrétien de Michel Aoun, et le gouvernement musulman de Sélim Hoss.

Heure Berry-Mikati ou heure d’été, il faut prendre acte de la séparation que ce nouveau décalage horaire implique de facto.

S’il a lieu, le divorce, qui n’a jamais semblé aussi proche, sonnera à la même heure pour tout le monde.


Les textes publiés dans le cadre de la rubrique « Courrier » n’engagent que leurs auteurs. Dans cet espace, « L’Orient-Le Jour » offre à ses lecteurs l’opportunité d’exprimer leurs idées, leurs commentaires et leurs réflexions sur divers sujets, à condition que les propos ne soient ni diffamatoires, ni injurieux, ni racistes.

M. Berry, président de la Chambre : Puisque tu as évoqué le sujet dans les médias, l’Égypte et les autres sont en train de garder le temps tel quel.M. Mikati, président du Conseil : Allah Akbar.M. Berry : Faisons une chose, attends, je ne vais trop t’embêter : au lieu qu’il soit 7 heures, que ça reste 6 heures, de là jusqu’à la fin de ramadan, faites marcher...

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Faire un mûr

Eleni Caridopoulou

17 h 37, le 29 mars 2023

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Commentaires (1)

  • Faire un mûr

    Eleni Caridopoulou

    17 h 37, le 29 mars 2023

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