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Politique - Justice

Pourquoi l’État libanais porte plainte contre Riad Salamé

La chef du service contentieux, la juge Hélène Iskandar, compte se porter également partie civile à l’étranger. Le gouverneur de la BDL ne s’est pas présenté hier à son audience.

Pourquoi l’État libanais porte plainte contre Riad Salamé

Le gouverneur de la banque centrale Riad Salamé. Photo AFP

Les déboires judiciaires du gouverneur de la Banque centrale ont franchi une nouvelle étape hier. À un moment où des enquêteurs européens sont au Liban dans le cadre d’affaires impliquant Riad Salamé et son entourage dans leurs pays respectifs, c’est désormais l’État libanais qui se porte partie civile, pour préserver ses droits en cas d’inculpation. Ainsi, le service du contentieux de l’État, en la personne de sa chef, la juge Hélène Iskandar, a porté plainte hier contre le gouverneur de la Banque du Liban Riad Salamé, son frère Raja Salamé, et son ancienne assistante Marianne Hoyek, pour « pots-de-vin, faux et usage de faux, blanchiment d’argent, enrichissement illicite et évasion fiscale ».

Le service du contentieux de l’État, qui relève du ministère de la Justice, réclame l’arrestation des frères Salamé et de Mme Hoyek, la confiscation de leurs biens immobiliers, le gel de leurs comptes bancaires et de ceux de leurs conjoints et de leurs enfants mineurs, « afin de préserver les droits de l’État libanais ». L’instance a par ailleurs demandé d’émettre un acte d’accusation à l’encontre des frères Salamé et de Mme Hoyek, en vue d’être jugés par la cour criminelle de Beyrouth.

Ce nouveau développement n’est pas vraiment une surprise, des sources judiciaires avaient déjà fait part à L’Orient-Le Jour de la volonté du service du contentieux d’entreprendre une telle démarche. Celle-ci vient s’ajouter aux poursuites engagées par l’avocat général près la cour d’appel, Raja Hamouche, le 23 février dernier, contre les frères Salamé et Marianne Hoyek pour blanchiment d’argent, détournement de fonds et enrichissement illicite, devant le premier juge d’instruction de Beyrouth, Charbel Abou Samra. Mais la plainte du service du contentieux représente un enjeu différent, explique une source judiciaire. En effet, lorsque l’État se porte partie civile, comme c’est le cas cette fois-ci, il pourra, s’il y a inculpation, obtenir des dommages et intérêts pour les préjudices subis du fait des actes délictueux. Alors que lorsqu’il s’agit de poursuites du parquet, le but principal est d’appliquer des sanctions.

Partie civile à l’étranger

La juge Iskandar veut se battre pour sauvegarder les intérêts de l’État. Elle compte en outre porter plainte à l’étranger, assure une source judiciaire haut placée. L’enjeu d’une telle plainte est le suivant : en cas de condamnation, les biens confisqués à l’étranger pourront alors bénéficier à l’État. Selon la même source, la juge d'instruction française Aude Buresi a envoyé récemment un message écrit à Mme Iskandar dans lequel elle lui a posé la question de savoir si l’État libanais veut se porter partie civile à l’étranger. La magistrate française a précisé que si le gouvernement n’a pas de quoi payer un avocat pour le défendre en France, le droit français a prévu une aide judiciaire : le bâtonnier français peut designer pour l’État libanais un avocat sans contrepartie financière. Mme Buresi a en outre fait remarquer que si l’État ne porte pas plainte à l’étranger, ce sont les deux parties plaignantes, en l’occurrence les associations « Sherpa » et le « Collectif des victimes des pratiques frauduleuses et criminelles au Liban », qui profiteraient des biens confisqués en cas de condamnation.


Toujours selon la même source, Mme Iskandar a fait part au ministre des Finances, Youssef Khalil, de la note de Mme Buresi, et a insisté sur la nécessité de porter plainte, mais ce dernier ne lui a pas répondu. On croit savoir que le courrier de la juge a été envoyé à M. Khalil après la fin de l’horaire de travail au ministère des Finances. Sa réponse est donc attendue jeudi. S’il ne répond pas, il semble que Mme Iskandar va le mettre « devant le fait accompli » et accepter l’aide du bâtonnier français et se porter partie civile en France. Elle demandera au préalable au ministre de la Justice Henri Khoury de conclure un contrat avec l’avocat désigné, ce qui nécessitera un décret.

Ce n’est pas la première fois que le ministre Khalil, qui était auparavant un cadre de la BDL, fait la sourde oreille dans cette affaire. Selon la source précitée, Mme Iskandar a déjà demandé l’autorisation légale de Youssef Khalil le mois dernier pour entamer une action dans les pays européens où M. Salamé est poursuivi, sans jamais avoir reçu de réponse de sa part. Plus précisément, elle lui avait fait savoir que s’il ne lui répond pas avant le 15 mars, elle considérera que son silence vaut un consentement tacite, selon la source précitée.

Audience reportée

Riad Salamé devait être entendu au Palais de justice hier en présence d’enquêteurs français, suisses et luxembourgeois, arrivés lundi soir au Liban. Mais le gouverneur de la BDL ne s’est pas présenté. Selon une source proche du dossier contactée par L’OLJ, l’avocat de Riad Salamé a présenté une demande pour empêcher la délégation européenne d’assister à l’audience. Le juge Abou Samra a déféré la demande au parquet de cassation, qui lui a laissé la prérogative de trancher cette question. Le juge a alors décidé d’autoriser la présence des juges européens et repoussé l’interrogatoire au lendemain. Encore un signe que l’enquête européenne sur le sol libanais ne serait pas entravée par l’enquête libanaise.

Les frères Salamé sont accusés d’avoir transféré 330 millions de dollars sur des comptes suisses via la société offshore Forry Associates Ltd, enregistrée dans les îles Vierges britanniques, selon le journal suisse SonntagsZeitung. Des sommes substantielles ont été utilisées pour acheter des biens immobiliers dans plusieurs pays de l’Union européenne, précise le journal. Quelque 250 millions de dollars ont été versés sur le compte personnel de Raja Salamé à la succursale HSBC de Genève, toujours selon le journal. D’autres sommes ont été déposées à l’UBS, au Crédit Suisse, à Julius Baer, à l’EFG et à Pictet.

Les frères Salamé ont nié toute malversation depuis l’ouverture de multiples enquêtes contre eux, au Liban et dans plusieurs pays européens. Interrogé par l’agence Reuters le 23 février dernier, le gouverneur avait une nouvelle fois clamé son innocence, déclarant que les accusations ne constituaient « pas une mise en accusation » et s’engageant à respecter les procédures judiciaires.

Perte de légitimité

Cette multiplication des procédures judiciaires à l’encontre du gouverneur de la BDL et de son entourage, à un moment où le pays s’enfonce de plus en plus dans la crise (le dollar a dépassé le seuil des 100 000 LL) et que la vacance présidentielle se prolonge, pose de nombreuses questions. Des experts interrogés tendent à penser que les pressions internationales sont de toute évidence devenues trop importantes pour permettre à la classe politique et au gouverneur, qui demeure à son poste, de jouir des atermoiements et du statu quo.

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Comment Riad Salamé pourrait survivre à 2023

Selon Sami Nader, expert économique et politique, « à travers les enquêtes européennes, il y a une responsabilisation émanant de la communauté internationale, qui a pour effet de délégitimer le rôle de Salamé en tant que gouverneur, contrairement au passé où il était considéré comme un intouchable ». Pour sa part, Karim Daher, avocat fiscaliste et président de la commission des droits des déposants au sein du barreau de Beyrouth, estime que « le fait que les exceptions de procédure présentées mercredi par l’avocat de Salamé ont été rejetées, veut vraisemblablement dire que la pression internationale est désormais assez forte pour empêcher l’entrave de l’enquête européenne ».

Se basant sur le code de la monnaie et du crédit, selon lequel le gouverneur doit être démis de ses fonctions s’il est coupable d’actes de corruption, M. Daher se demande par ailleurs si la plainte de l’État libanais ne nécessite pas « la suspension du gouverneur de la BDL, le temps qu’un jugement soit émis ».

Les déboires judiciaires du gouverneur de la Banque centrale ont franchi une nouvelle étape hier. À un moment où des enquêteurs européens sont au Liban dans le cadre d’affaires impliquant Riad Salamé et son entourage dans leurs pays respectifs, c’est désormais l’État libanais qui se porte partie civile, pour préserver ses droits en cas d’inculpation. Ainsi, le service...

commentaires (4)

C'est vraiment stupide cette recrudescence des efforts contre Salameh maimtenant alors quil controle encore la banque centrale. Attendez quil finisse sont regne. Aujordhui a chaque convocation, la livre perd 10% de sa valeur. Apres Juin, le Berri ne le couvrira plus et il ne controllera pas la lovre libanaisem

..... No comment

11 h 31, le 16 mars 2023

Tous les commentaires

Commentaires (4)

  • C'est vraiment stupide cette recrudescence des efforts contre Salameh maimtenant alors quil controle encore la banque centrale. Attendez quil finisse sont regne. Aujordhui a chaque convocation, la livre perd 10% de sa valeur. Apres Juin, le Berri ne le couvrira plus et il ne controllera pas la lovre libanaisem

    ..... No comment

    11 h 31, le 16 mars 2023

  • On ne voit pas le rapport. Un haut fonctionnaire de l état (en l occurrence Salame ) ne peut prévaloir des détournements de fonds par le fait qu il existe des politiciens encore plus véreux.

    Maurice Yared

    10 h 48, le 16 mars 2023

  • Il peut continuer à dormir tranquille. S'il devait décider de l'ouvrir, une mauvaise chute ou les freins de la Mercedes qui lâchent en descendant de Rabieh, sont des choses qui adviennent à la figure du "comptable de la mafia/oligarchie" qui se laisse aller aux confidences...

    IBN KHALDOUN

    10 h 18, le 16 mars 2023

  • Riad Salamé n'est pas innocent mais l'Etat qui porte plainte contre lui, plus précisément les politiciens libanais le sont encore moins

    Tabet Ibrahim

    08 h 17, le 16 mars 2023

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