Critiques littéraires Roman

Mémoire de vies brisées et de violences patriacales

Sa préférée, de Sarah Jollien-Fardel, a obtenu le premier Goncourt des détenus porté par le Centre National du Livre et l’Académie Goncourt. Le roman ausculte la violence familiale à travers le parcours de vie d’une femme. Un récit où se croisent désir de fuite, quête amoureuse et voyage d’un retour impossible.

Mémoire de vies brisées et de violences patriacales

D.R.

Sa préférée de Sarah Jollien-Fardel, Sabine Wespieser éditeur, 2022, 205 p.

Sa préférée raconte l’histoire de Jeanne, née dans une famille des montagnes du Valais, en Suisse. Dès les premières lignes du roman, on entre dans l’histoire familiale par ses scènes de violence. Autour de la table du repas, Jeanne, la narratrice, observe le moment où le père va se mettre en colère et déverser son agressivité sur la mère et les deux filles. Son corps d’enfant sait saisir ce moment de bascule. Tandis que la sœur parle et s’agite, insensible au malheur à venir, Jeanne pressent que la scène se terminera par des coups. « Moi, je vivais sur mes gardes, je n’étais jamais tranquille, j’avais la trouille collée au corps en permanence. Je voyais la faiblesse de ma mère, la stupidité et la cruauté de mon père. »

Peu importe le contexte, le prétexte, « la viande filandreuse du ragoût… la pluie ou la chaleur étouffante… », le père, de jour en jour, déverse ses cris, la vulgarité de ses paroles, « un verre contre un mur, une claque sur le visage de ma sœur ou de ma mère ». Jeanne apprend la détresse de l’enfant qui n’arrive pas à sauver sa mère. Culpabilité de l’enfance meurtrie. Pourtant, la petite Jeanne tente d’alerter les adultes, en particulier le médecin du village qui vient soigner les blessures après les explosions du père, mais, dans ce milieu rural étriqué, chacun reste à sa place et Jeanne ne peut espérer aucun secours. Alors, dès que son âge le permet, Jeanne part. Elle quitte son village des montagnes, met des kilomètres, de la distance géographique avec son père et son passé.

Sa préférée, c’est l’histoire de sa tentative de découvrir une vie après la violence. À Lausanne où Jeanne s’installe, la métamorphose vient d’abord par le lac Léman qui offre la possibilité de saisir le monde autrement que par l’ordre familial qui l’a façonnée jusque-là. Dans l’eau dans laquelle elle plonge, Jeanne cherche à se réparer. La quête de la joie de vivre est laborieuse. Elle passe aussi par la relation amoureuse. C’est dans les corps aimés, féminins ou masculins, que Jeanne fait l’expérience complexe de la confiance en l’autre.

Le chemin de Jeanne dans cette tragédie contemporaine emprunte celui d’une géographie en méandres. Le voyage vers l’apaisement ne se fait pas en ligne directe et n’est jamais achevé car le monstre est là qui veille et s’incruste dans les interstices de sa nouvelle vie. Le courant l’emporte tantôt vers l’avant, tantôt vers l’amont et l’écriture semble agir de même. Le mouvement narratif balance le lecteur entre passé et présent, des temporalités qui fusionnent à certains moments de la vie de Jeanne. Alors, elle n’arrive plus à distinguer le monstre qui a colonisé son corps d’enfant des angoisses de sa vie d’adulte.

L’histoire familiale la rattrape dans sa tentative de se créer une nouvelle vie. La violence imprègne trop sa mémoire et son corps. Où trouver un lieu de paix ? Comment se tenir en équilibre sur cette étroite ligne de crête qu’est sa vie ? Face à ces interrogations, Jeanne prend la décision la plus grave de sa vie.

Le récit nous mène vers un arrière-pays, celui des vies brisées par les violences patriarcales, dans la grande énigme du malheur. Loin des résiliences faciles trop souvent mises en scène par la littérature ou le cinéma, il nous fait éprouver la force de vie qui peut traverser la littérature, même lorsque la résilience ne semble pas possible.


Sa préférée de Sarah Jollien-Fardel, Sabine Wespieser éditeur, 2022, 205 p.Sa préférée raconte l’histoire de Jeanne, née dans une famille des montagnes du Valais, en Suisse. Dès les premières lignes du roman, on entre dans l’histoire familiale par ses scènes de violence. Autour de la table du repas, Jeanne, la narratrice, observe le moment où le père va se mettre en colère et...

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"Mémoire de vies brisées et de violences patriacales". Et si on ajoutait cet "r" qui manque??

Georges MELKI

12 h 01, le 07 mars 2023

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Commentaires (1)

  • "Mémoire de vies brisées et de violences patriacales". Et si on ajoutait cet "r" qui manque??

    Georges MELKI

    12 h 01, le 07 mars 2023

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