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Nos Lecteurs ont la Parole

Merci mon Dieu ?

Beaucoup de « merci mon Dieu! » ont fusé sur les réseaux sociaux à la vue des rescapés miraculeux, notamment des bébés, que l’ogre tellurique a bien voulu régurgiter après avoir dévoré leurs parents et leur fratrie dans un ébrouement dévastateur en Turquie et en Syrie. On s’est attendri sur le poupon empoussiéré et meurtri extrait au forceps des entrailles fumantes de la terre et on a levé des yeux de reconnaissance au ciel alors que moult autres bébés sont restés enfouis dans les bas-fonds ou y ont été broyés. Merci, mon Dieu, pour tous les survivants, mais qu’en est-il des dizaines de milliers qui ont péri ? Qu’en est-il de ce père retrouvé enseveli avec sa femme et ses enfants dans les bras ?

Faut-il remercier Dieu pour cette étreinte funèbre ? Bien entendu, nous avons besoin d’être optimistes, de voir le bon côté des choses, même lorsque tout est mauvais, et de remercier Dieu pour tenir le coup et accepter notre condition humaine sujette à la colère des éléments et à la folie d’un monde à maints égards inhumain.

J’ai envie, quant à moi, de remercier Dieu pour les secouristes et les chiens sauveteurs qui sont ses créatures, même si l’envie me prend, cette fois-ci, de L’interroger plus que Le remercier.

En effet, je me demande s’il est nécessaire à Dieu de nous faire subir – et si cruellement – cette « loi de la nécessité », de nature géologique, qui fait que la terre éprouve le besoin, de temps en temps, de « bouger » et de « respirer » pour sa survie et la nôtre, dussions-nous être des dizaines de milliers à en pâtir et en « expirer » à chaque secousse. Dans ses deux Poèmes sur le désastre de Lisbonne et sur la loi naturelle, Voltaire s’était insurgé contre l’existence d’une telle loi – perçue comme un bienfait universel – et contre la croyance en son bien-fondé, mais à tort, puisque la science est venue le contredire. Cette loi est bel et bien nécessaire aux yeux de la nature ou de Dieu. En revanche, la charge de Voltaire contre la philosophie optimiste de Leibniz, selon laquelle nous sommes dans « le meilleur des mondes possibles », un monde où « tout est bien », est juste et pleinement justifiée. Il serait vraiment trop « candide » de considérer que tout est bien. Tout n’est pas bien, loin de là, ni dans la nature ni dans la société, n’en déplaise à Rousseau, pour qui « tout est bien sortant des mains de l’Auteur des choses, tout dégénère entre les mains de l’homme ». L’homme est certes responsable ; loin de moi l’intention de le disculper, mais c’est bien la nature ou Dieu qui a mis entre ses mains des pulsions et des passions intrinsèques, faisant de l’homme un loup pour l’homme, selon Hobbes. Et c’est bien de la nature – avec ou sans le consentement de Dieu – que proviennent les tremblements de terre, les ouragans, les éruptions volcaniques et les raz-de-marée.

Parlant de pulsions et de passions, le dernier séisme (en attendant fatalement le suivant) a soulevé les passions pulsionnelles, religieuses et intellectuelles, sur le rôle positif ou négatif de Dieu au regard du cataclysme, les uns voulant rendre Dieu responsable de la tragédie et en faire un Dieu vengeur, et les autres, surtout les tenants de la théologie subjective ingénue, voulant le dédouaner. Il convient de renvoyer les deux parties dos à dos, car le Dieu du Déluge, des dix plaies d’Égypte, de Sodome et Gomorrhe et de l’Apocalypse est effectivement un Dieu vengeur et ordonnateur des catastrophes et de l’extermination, tandis que le Dieu de l’Évangile est un Père miséricordieux. Les « deux Dieu » sont théologiquement vrais. Les deux sont bibliques et point du tout antagoniques, mais complémentaires. Ils s’inscrivent dans cette « nécessité ». Ils sont les deux faces de la même médaille. Ils sont, en quelque sorte, à notre image, car « si Dieu nous a faits à son image, nous le lui avons bien rendu » (Voltaire).

Étant ce que nous sommes, nous avons besoin de craindre l’un et d’aimer l’autre, d’interroger l’un et de remercier l’autre... en attendant de « changer de corps » et de rencontrer l’Un, le véritablement Vrai, sans que Celui que l’on a connu et adoré sur terre, malgré tout, malgré toutes sortes de contradictions et de séismes, malgré son absence, sa non-ingérence, ses « immuables lois de la nécessité » et sa logique doloriste, ne soit nécessairement faux, mais peut-être différent à cause de nos différends.

C’est ce Dieu au-delà ou au-dessus de Dieu qui a conduit Voltaire à conclure sur une note d’espérance son poème – si actuel – sur le désastre de Lisbonne.

Les textes publiés dans le cadre de la rubrique « Courrier » n’engagent que leurs auteurs. Dans cet espace, « L’Orient-Le Jour » offre à ses lecteurs l’opportunité d’exprimer leurs idées, leurs commentaires et leurs réflexions sur divers sujets, à condition que les propos ne soient ni diffamatoires, ni injurieux, ni racistes.

Beaucoup de « merci mon Dieu! » ont fusé sur les réseaux sociaux à la vue des rescapés miraculeux, notamment des bébés, que l’ogre tellurique a bien voulu régurgiter après avoir dévoré leurs parents et leur fratrie dans un ébrouement dévastateur en Turquie et en Syrie. On s’est attendri sur le poupon empoussiéré et meurtri extrait au forceps des entrailles fumantes...

commentaires (1)

Le tremblement de terre de Lisbonne de 1755 n’eut pas que des conséquences physiques ou économiques : il eut également des répercussions sur les systèmes de pensées et les croyances de la population, qui remit en question sa foi et sa façon de voir le monde. Malgre la ferveur catholique de la population, le doute s'etait installe. On ne pouvait pas comprendre comment Dieu avait pu condamner des milliers d’innocents à la mort. Si Dieu était bon, pourquoi aurait-il infligé ce châtiment divin à des milliers d’innocents ? Beaucoup de personnes ont donc tourné le dos à l’Église. Ce qui favorisa le développement des idées des Lumières.Est-ce que le Levant sera-t-il Lisbonne?

M.J. Kojack

15 h 22, le 21 février 2023

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Commentaires (1)

  • Le tremblement de terre de Lisbonne de 1755 n’eut pas que des conséquences physiques ou économiques : il eut également des répercussions sur les systèmes de pensées et les croyances de la population, qui remit en question sa foi et sa façon de voir le monde. Malgre la ferveur catholique de la population, le doute s'etait installe. On ne pouvait pas comprendre comment Dieu avait pu condamner des milliers d’innocents à la mort. Si Dieu était bon, pourquoi aurait-il infligé ce châtiment divin à des milliers d’innocents ? Beaucoup de personnes ont donc tourné le dos à l’Église. Ce qui favorisa le développement des idées des Lumières.Est-ce que le Levant sera-t-il Lisbonne?

    M.J. Kojack

    15 h 22, le 21 février 2023

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