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Économie - Monnaie

Pourquoi la chute de la livre libanaise s’est accélérée

Plusieurs facteurs entrent en jeu dans un marché qui semble principalement animé par les spéculateurs.

Pourquoi la chute de la livre libanaise s’est accélérée

Hier, un groupe de manifestants se revendiquant des déposants en colère ont incendié plusieurs agences bancaires à Badaro (Beyrouth). Photo P.H.B.

Ce jeudi 16 février, le taux de change réel de la monnaie nationale libanaise a dépassé la barre des 80 000 livres pour un dollar dans une ambiance marquée par les incendies de plusieurs agences bancaires par un groupe de manifestants se revendiquant des déposants en colère. Ce pic est d’autant plus vertigineux qu’il a été atteint à une vitesse impressionnante. Ainsi, il aura à peine fallu un mois et demi pour que ce taux enregistre une progression de près de 40 000 livres, alors qu’il avait connu une augmentation équivalente en un peu plus de 3 ans, à savoir entre l’été 2019 et la fin de l’année 2022. En pourcentage, l’évolution est toutefois moins impressionnante par rapport à d’autres épisodes. Le bond enregistré cette fois est « seulement » de 90 %, alors qu’entre début juin et début juillet 2020, cette évolution était par exemple de 145 %, passant de 4 000 à 9 800 livres pour un dollar en l’espace d’à peine un mois.

Ces variations n’en restent pas moins brutales pour le quotidien des Libanais, puisque cette parité reflète la vraie valeur de la monnaie nationale sur un marché réunissant des agents de change légaux et illégaux ainsi que les particuliers traitant directement entre eux. « C’est un marché qui n’est pas transparent, qui n’est pas régulé et que personne ne supervise », rappelle le directeur du département de recherches de Byblos Bank, Nassib Ghobril, que nous avons contacté.

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Et de fait, les plateformes qui relaient le cours de change sont informelles, les acteurs impliqués et les volumes échangés sont inconnus et d’importantes disparités existent entre les taux pratiqués dans certaines régions par rapport à d’autres, pour ne citer que ces caractéristiques. L’influence de la Banque du Liban, qui opère la plateforme Sayrafa dont le taux est bien inférieur, semble tout aussi difficile à appréhender.

Pour toutes ces raisons, il est donc difficile d’identifier avec précision les raisons des fluctuations du cours de change d’une période à l’autre. Mais il demeure cependant possible de lister quelques explications. « Il y a plusieurs facteurs qui peuvent entrer en jeu, mais je pense que le déséquilibre entre la demande et l’offre de dollars et la hausse de la spéculation sont les principaux moteurs de l’évolution du taux de ces derniers temps », a encore estimé Nassib Ghobril. Il faut également tenir compte de la relativité de l’évolution du cours du billet vert par rapport à sa valeur de départ, soit l’ancienne parité officielle de 1 507,5 livres pour un dollar.

Variation et valeur

Si le taux de change a bien progressé de 40 000 livres environ depuis le début de l’année, ce bond quantitatif ne représente en réalité qu’une dépréciation marginale par rapport à ce que valait la livre avant le début de la crise.

Ainsi, quand le taux avoisinait 42 000 livres pour un dollar au début de l’année, la livre avait subi une dépréciation de 96,4 %. À 80 000, ce ratio vaut 98,1 %. Cette même relativité s’applique aux variations : une fluctuation de 100 livres de plus ou de moins par rapport à l’ancien taux officiel se traduit par une variation de 6,6 %. La même fluctuation de 100 livres à 42 000 livres pour un dollar se traduit par une variation de 0,24 %. À 80 000, les mêmes 100 livres ne font plus bouger le taux que de 0,16 %.

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Il n’est donc pas anormal que les variations du taux en valeur soient de plus en plus importantes au fur et à mesure que celui-ci augmente, qui plus est si le marché est principalement influencé par des spéculateurs dont l’objectif principal est de générer des profits en dollars en pariant sur la baisse du taux. En gardant ces paramètres en tête, on peut alors déduire que les fluctuations enregistrées ces dernières semaines sont relativement moins douloureuses que celles qui avaient été par exemple enregistrées en 2020.

Moins de Sayrafa

Mais la relativité de l’évolution du cours de change ne suffit pas à elle seule à expliquer le récent dévissage. Une autre cause pourrait être liée à la baisse du nombre d’acteurs formels impliqués dans les opérations de change. D’un côté, la BDL et les banques ont cessé progressivement de convertir des dollars au taux bonifié de la plateforme Sayrafa (44 100 livres pour un dollar hier) pour le compte de leurs clients issus du secteur privé, ce qui a limité la quantité de dollars injectés sur le marché.

Les volumes exacts ne sont pas connus, mais l’on peut supposer que la baisse a été drastique, compte tenu des différences de ceux communiqués par la BDL pour les opérations liées à Sayrafa. Entre le 27 décembre et le 5 janvier derniers, période à laquelle les plafonds de conversion ont été temporairement levés, 233,4 millions de dollars ont été en moyenne échangés quotidiennement pour cinq jours de traitement effectif. Ces volumes sont repassés en dessous de 100 millions de dollars dès le 10 janvier suivant et de 50 millions de dollars depuis une dizaine de jours.

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À noter que la BDL ne fournit pas la décomposition de ces chiffres ; il est donc compliqué de tirer une conclusion définitive. D’autant plus que la masse de livres en circulation a globalement baissé depuis le début de l’année, passant de 80 171 mille milliards de livres à 75 379 mille milliards entre le début de l’année et le 15 février, selon les données de la BDL. De plus, cette enveloppe est restée stable sur les 15 derniers jours pendant lesquels le taux a fait un bond de 20 000 livres environ.

Sanctions, arrestations et sociétés de transfert

Depuis le début de l’année, le marché du change au Liban a été aussi marqué par d’autres bouleversements qui ont pu avoir leur importance.

L’administration américaine a ainsi mis hors jeu un important acteur agréé, CTEX, en sanctionnant fin janvier la société, son propriétaire, Hassan Moukalled, et des membres de sa famille pour avoir « facilité les activités financières du Hezbollah ».

En parallèle, dans le cadre d’une campagne pilotée par les autorités libanaises, les services de renseignements libanais ont arrêté plusieurs agents de change, notamment dans le sud du Liban et dans la Békaa, ces derniers étant accusés de spéculer contre la livre. Il n’est pas risqué d’affirmer que cette initiative semble surtout avoir réduit le nombre d’acteurs vendant des dollars sur le marché.

De leur côté, OMT et BOB Finance, deux sociétés de transfert d’argent que la BDL avait autorisées il y a plus d’un an à changer des dollars en livres, ont arrêté de le faire depuis le mois de janvier.

Conjoncture et demande

Enfin, si la livre s’effondre encore, c’est surtout et avant tout qu’elle n’inspire plus confiance, tant les perspectives de redressement du pays sont quasi inexistantes. La classe dirigeante n’a toujours pas élu de président ni remplacé son gouvernement sortant, et peu de progrès ont été réalisés sur la mise en œuvre des réformes demandées par le Fonds monétaire international en avril dernier. De plus, le pays n’a toujours pas entamé son virage vers une économie plus productive et vit essentiellement des transferts de la diaspora.

Pour ne rien arranger, les banques sont en grève depuis une dizaine de jours suite à une décision rendue contre l’une d’entre elles par la Cour de cassation en faveur d’un déposant réclamant le décaissement de la totalité de ses dépôts en « vrais dollars » et non en livres avec une décote. Cette dernière pratique a été imposée par les restrictions illégalement mises en place par le secteur et qui n’ont toujours pas été réglementées. Pour l’heure, seuls leurs distributeurs automatiques de billets sont ouverts au grand public, tandis que les effectifs des banques se chargent de traiter les demandes des sociétés.

Nassib Ghobril signale enfin l’impact inconnu de la variable syrienne sur le marché. Une référence à la demande de dollars venant d’agents de change situés à la frontière et qui alimentent la Syrie, dont le régime est sanctionné par les États-Unis et l’Union européenne et qui connaît elle aussi une pénurie de devises. Il y a une grosse semaine, les autorités syriennes se sont résolues à fixer le taux de change officiel de la livre syrienne à un niveau presque égal à celui du marché, soit 6 900 livres pour un dollar hier pour le premier, contre 7 400 livres pour le second.

Ce jeudi 16 février, le taux de change réel de la monnaie nationale libanaise a dépassé la barre des 80 000 livres pour un dollar dans une ambiance marquée par les incendies de plusieurs agences bancaires par un groupe de manifestants se revendiquant des déposants en colère. Ce pic est d’autant plus vertigineux qu’il a été atteint à une vitesse impressionnante....

commentaires (7)

A noter que la quantite de livres libanaisesque que represente la majoration des salaires du secteur publique est un facteur essentiel dans la recente hausse vertigineuse du dollar

Samir El Khoury

18 h 27, le 17 février 2023

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Commentaires (7)

  • A noter que la quantite de livres libanaisesque que represente la majoration des salaires du secteur publique est un facteur essentiel dans la recente hausse vertigineuse du dollar

    Samir El Khoury

    18 h 27, le 17 février 2023

  • - AUX, DE LONGUE PERIODE, ASSERVIS QUADRUPEDES ; - EXCUSEZ-MOI VOUS QUI NE L,ETES PAS ; - LES ETABLES QUITTEZ, REDEVENEZ BIPEDES, - VOTRE DEVENIR EST A PORTEE DE VOS BRAS. - CHASSEZ L,INIQUITE, PUNISSEZ LES INIQUES, - QU,ILS SOIENT DES LOCAUX OU BIEN DES SUPPOTS PERSIQUES.

    LA LIBRE EXPRESSION

    12 h 30, le 17 février 2023

  • En attendant que le dollar atteigne une somme improbable, les mafieux sont toujours en place et font fructifier leur argent volé du peuple. A commencer par le gouverneur de la banque nationale qui se comporte en roi absolu et instauré des règles et des décrets qui ne sont suivis par personne, mais qu’importe tant que ça arrange les affaires de tous les mafieux ses amis de toujours. Pauvre peuple et pauvre pays.

    Sissi zayyat

    12 h 02, le 17 février 2023

  • Si on se posait tout simplement la question suivante : qu’est-ce qui fait la valeur d’une monnaie sur le marché de change ? La réponse est très simple : c’est son niveau de confiance. Or ce maître mot manque hélas à tous les niveaux des institutions libanaises. Oui c’est le fruit de plusieurs décennies où les dirigeants politiques ont, dans leur grande majorité, œuvré à dévaliser l’état et ont contribué à généraliser la corruption ! Pourquoi le Liban doit faire exception à ces pays dans lesquels la corruption finit par appauvrir la population ? L’équation est simple : corruption = appauvrissement de la population et dévaluation de la monnaie. Pour faire surface, une seule chose pourrait changer la donne : une justice indépendante et une réforme en profondeur ! Or ces deux choses manquent malheureusement et en prime la majorité des libanais continuent à soutenir leurs zaïym !

    Olivier DAHER

    11 h 34, le 17 février 2023

  • JE SENS LE CYCLONE QUI SE FORME. ET UNE ODEUR DE POUDRE DANS LES AIRS.

    LA LIBRE EXPRESSION

    11 h 29, le 17 février 2023

  • Au moins l’auteur de cet article a bien retenu les cours d’arithmétique de la classe de huitième concernant les fractions et ceux de la sixième concernant les pourcentages. Le reste de l’article n’est que du bla bla à deux sous. La réalité est beaucoup plus simple: les dirigeants politiques et les hauts fonctionnaires des 30 dernières années ont volé la moitié de la dette de l’Etat libanais à leur profit avec la complicité volontaire ou pas des banques, ensuite on a eu la malchance d’avoir le PM le plus incompétent de l’univers qui a décrété la cessation des paiements des intérêts de la dette sans consulter les banquiers. La pyramide s’est ainsi effondrée et toutes les mesures ne serviront à rien. Au Venezuela, la monnaie nationale a chuté à cent mille milliards. La livre libanaise est en état de coma artificielle et elle va bientôt disparaître

    Lecteur excédé par la censure

    10 h 40, le 17 février 2023

  • Vous continuez a consulter de soi-disant experts lies au secteur bancaire. Or, ce secteur est justement lui aussi suspect des variations erratiques du taux de change dont il profite largement pour "lirifier" les depots en dollars a des taux tout a fait honteux. Choisissez plutot des experts independants qui ne soient pas des valets de la crapule.

    Michel Trad

    08 h 55, le 17 février 2023

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