Rechercher
Rechercher

Moyen-Orient - TEMOIGNAGES

Après le séisme, l’aide humanitaire cristallise la méfiance de la diaspora turque

Les critiques se multiplient quant à la gestion gouvernementale de la catastrophe. Pour contribuer à l’aide humanitaire, certains Turcs à l’étranger préfèrent donc contourner les organisations officielles.

Après le séisme, l’aide humanitaire cristallise la méfiance de la diaspora turque

Des bénévoles organisant l’aide reçue pour les sinistrés à Antioche. Photo Mohammad Yassine

À l’heure où les chances de retrouver des survivants sous les décombres sont quasiment vaines, la colère gronde à l’encontre des autorités turques. Manque de rapidité des secours, prise en charge inégale selon les régions touchées, aide humanitaire insuffisamment distribuée… Le séisme de magnitude 7,8 qui a touché le sud-est du pays ainsi que la Syrie lundi dernier, faisant 33 000 victimes selon un dernier bilan, a laissé une grande partie de la population affectée, livrée à elle-même. Malgré le vaste déploiement de forces de secours nationales et internationales, beaucoup dénoncent l’absence de coordination des équipes sur le terrain et se résignent au système de débrouille, quitte à contourner volontairement les organisations liées à l’État.

« Aucune zone n’a reçu de l’aide suffisante de la part des structures officielles, condamne Murad Akincilar, responsable d’une coordination citoyenne dans la région kurde de Diyarbakir sévèrement endommagée par le tremblement de terre. Il existe à peu près 200 000 personnes dont nous n’avons pas de nouvelles. Le déblaiement n’atteint pas 10 %. Les autorités canalisent les aides officielles vers le directorat des affaires religieuses et bloquent celles qui viennent de la société civile », énumère désespérément Murad Akincilar. Face à l’incurie de la réponse de l’État, la solidarité citoyenne redouble d’efforts sur place mais aussi à l’étranger. Les images du drame ont en effet mobilisé en masse la diaspora turque, qui représente 20 millions de personnes réparties à l’étranger. En Australie, en Allemagne, au Canada ou aux États-Unis, les collectes de dons, les levées de fonds se multiplient, teintées par la méfiance d’une aide humanitaire dévoyée par les autorités.

Cagnotte informelle

Originaire d’Ankara mais résidente à New York depuis treize ans, Ayse Baltacioglu-Brammer, enseignante en histoire des cultures islamiques à l’Université de New York, s’est d’abord dit « dévastée » par les images de la catastrophe. Mais sa tristesse s’est vite transformée en colère : « J’ai pensé à mes amis américains, à mes collègues. S’ils veulent faire des dons, où vont-ils aller, comment vont-ils aider les gens s’ils n’ont pas de relations dans la région ? Probablement au Croissant-Rouge, à des organisations dirigées ou créées par le gouvernement… Je ne pourrais pas le supporter parce que je ne fais aucune confiance au gouvernement ou aux institutions qu’il dirige. »

Lire aussi

Aya, travailleuse humanitaire : « Mes enfants me demandent : maman, pourquoi les gens pleurent et meurent ? »

Alors pour aider ses proches, Ayse Baltacioglu-Brammer a opté pour un système informel. Quelques heures après les premières secousses, la jeune femme lance sur son compte Twitter une collecte de fonds qu’elle assure distribuer ensuite « directement aux familles touchées ». La cagnotte atteignait dimanche plus de 26 000 dollars, bien davantage que ce qu’elle avait espéré. « Cet argent sera nécessaire lorsque les décombres seront déblayés et que les gens commenceront à reconstruire leur vie. Nous allons avoir un besoin croissant d’argent liquide. » Par l’intermédiaire de gens de confiance qui se trouvent sur place, l’enseignante affirme avoir déjà pu aider une vingtaine de familles victimes de la catastrophe, en leur versant directement de l’argent liquide. « Nous ne faisons aucune distinction quant à l’origine ethnique, la langue, les affiliations politiques ou toute autre question liée à l’identité des victimes », précise-t-elle alors que les zones détruites se distinguent par la pauvreté de leurs habitants, majoritairement kurdes, alévis et où vivent de nombreux réfugiés syriens. Autant de minorités laissées-pour-compte depuis de nombreuses années par le pouvoir central.

Impunité

Comme Ayse Baltacioglu-Brammer, beaucoup ont préféré contourner les organisations officielles, révélant ainsi une méfiance de plus en plus assumée de la part de la population. À l’origine, selon elle, le niveau de corruption des autorités, rendue d’autant plus visible par son incapacité à anticiper un tel événement, qui avait pourtant frappé le pays en 1999 pendant le tremblement de terre à Izmit qui avait provoqué 18 000 morts. Après le drame, le secteur de la construction avait été contraint d’adopter de nouvelles normes pour adapter les bâtiments au risque sismique. « J’étais furieuse quand j’ai vu que beaucoup d’immeubles qui se sont effondrés dans le sud-est de la Turquie étaient des bâtiments neufs. Beaucoup portaient des noms tendance comme « Plaza » ou « Residence » pour faire chic mais au fond, ce n’était que des maisons en papier », dénonce la chercheuse dont certains membres de la famille, vivant dans les zones touchées, n’ont pu regagner leur appartement détruit.

Lire aussi

Le bilan libanais risque de s’alourdir

« Le secteur de la construction est composé exclusivement de patrons finançant les deux partis au pouvoir (la coalition de droite et d’extrême droite, soutien du président Recep Tayyip Erdogan). Ils bénéficient d’énormes avantages et d’une impunité presque totale », assure Murad Akincilar qui y voit la raison d’une telle négligence. Des accusations qu’a tenté de contrer samedi le ministère turc de la Justice en ordonnant des enquêtes sur les crimes sismiques afin d’engager des poursuites pénales contre tous les « constructeurs et responsables » de l’effondrement des bâtiments qui ne respectaient pas les codes en vigueur depuis 1999. Mais le mal est fait. À cela s’ajoute la réponse répressive du gouvernement, accusé mardi, face à la prolifération des critiques sur les réseaux sociaux, de restreindre provisoirement la connexion à internet dans les zones touchées, alors que les plateformes numériques se sont avérées d’une aide précieuse pour orienter les secours.

Dans ce contexte, la confiance de la population se tourne vers des figures bien éloignées des sphères du pouvoir. En témoigne la percée de la popularité d’un homme, Haluk Levent, star de la chanson dans les années quatre-vingt dix en Turquie et fondateur d’Ahbap (« Amis»), une organisation humanitaire créée en 2017, opérant dans 68 villes du pays, et vers laquelle les dons du monde entier affluent, tant l’homme et ses équipes se montrent dévoués sur le terrain. Si bien que de nombreux Turcs mettent en comparaison Ahbap et Afad, l’organisation publique de gestion des catastrophes, pour bien souligner l’incompétence de cette dernière.

De quoi faire sortir de ses gonds le président turc, qui joue sa réélection lors de la présidentielle prévue le 14 mai. Bien qu’il ait reconnu quelques « lacunes » dans la gestion de la crise, le reïs fait la sourde oreille aux critiques. En déplacement dans la province de Kahramanmaras mercredi dernier, il avait ainsi déclaré : « Quelques personnes malhonnêtes et déshonorantes ont publié de fausses déclarations dans lesquelles elles affirment : “Nous n’avons pas vu de soldats ni de policiers.” Nos soldats et nos policiers sont des gens honorables, nous n’allons pas laisser des gens peu recommandables parler d’eux ainsi. »

À l’heure où les chances de retrouver des survivants sous les décombres sont quasiment vaines, la colère gronde à l’encontre des autorités turques. Manque de rapidité des secours, prise en charge inégale selon les régions touchées, aide humanitaire insuffisamment distribuée… Le séisme de magnitude 7,8 qui a touché le sud-est du pays ainsi que la Syrie lundi dernier,...

commentaires (1)

C’est comme chez nous quoi…

Gros Gnon

14 h 58, le 13 février 2023

Tous les commentaires

Commentaires (1)

  • C’est comme chez nous quoi…

    Gros Gnon

    14 h 58, le 13 février 2023

Retour en haut