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Culture - Quoi qu’on en lise

« Mon seul souhait serait de voir la terre, pour toujours »

Quelques jours avant sa mort en 2017, Sam Shepard achevait l’écriture de « L’Espion qui est en moi ».

« Mon seul souhait serait de voir la terre, pour toujours »

Sam Shepard au festival de Sundance le 18 janvier 2014 à Park City, Utah. Larry Busacca/Getty Images

Je connaissais l’acteur Sam Shepard, le scénariste, le dramaturge, mais pas l’écrivain avant de recevoir d’un ami son dernier livre, L’Espion qui est en moi, achevé quelques jours avant sa mort. Pour revenir un peu sur sa carrière, il faudrait rappeler qu’il a été acteur dans les films Les moissons de la colère, de Richard Pearce, ou encore L’étoffe des héros, de Philip Kaufman (Oscar du meilleur second rôle en 1984). Il a été l’auteur de plus de quarante pièces de théâtre et couronné par le Prix Pulitzer de l’œuvre théâtrale. Il a été le scénariste des fameux : Zabriskie Point, de Michelangelo Antonioni, et Paris Texas, de Wim Wenders. Ça donne le ton. Absurdité, décalage, à la marge seraient des qualificatifs assez justes pour décrire son travail. Au milieu de toutes ces activités, il était aussi écrivain. Dans L’Espion qui est en moi, un homme regarde un homme qui remarque que l’autre homme le regarde. Voilà le pitch. C’est sobre. Ils dialoguent d’un chapitre à l’autre : « Je ne suis pas sûr de ce qu’il voit à cet instant, l’air est tellement opaque, je ne suis pas plus sûr de ce que je vois moi-même. Est-ce qu’il parle tout seul, ou à quelqu’un, ou quoi ?

(…) Il mange du fromage et des crackers toute la journée. Sirote du thé glacé. (…) On dirait qu’il a assez souvent besoin d’aller aux toilettes ou je ne sais où. Il se lève, flageolant, donnant l’impression qu’il va s’effondrer. (…) Il oscille de droite à gauche, bat de l’aile, paraît sur le point de dégringoler... mais non. Des fois, il appelle l’un de ses gens – parmi ses fils, ses filles ou de proches parents tels que ses sœurs – avec des gestes et alors ils sortent sous le porche. En d’autres termes, il se lève, vacille, répète ces choses sans fin, fromage et crackers, lecture, puis il appelle quelqu’un et ils s’occupent de lui, le guident à l’intérieur en le tenant par un bras, et il franchit une porte battante et disparaît dans une maison sombre. » À l’autre de rétorquer : « Pourquoi est-ce qu’il m’observe ?

Je n’arrive pas à comprendre. Rien ne semble fonctionner, désormais. Mains. Bras. Jambes. Rien. Je ne fais que rester couché là. À attendre que quelqu’un me trouve. Je ne fais que regarder le ciel. Je sens son odeur tout près. » On comprend que ces deux hommes sont probablement une seule et même personne, l’un observant l’autre malade, handicapé. On dit qu’avec l’âge, on épure, on va à l’essentiel et c’est exactement ce que j’ai ressenti à la lecture de ce livre : il ne reste que l’homme, la terre, la nature. « Dans le temps, il y avait des vergers aussi loin que la vue portait. Comme sur les cartes postales. Vergers d’orangers, d’oliviers, de vignes, d’avocatiers, de citronniers, de poiriers. Chaque espèce correspondant à la nationalité de ceux qui l’avaient apporté ici. » Ici, c’est les États-Unis, on traverse le pays, on passe de l’Arizona à l’Alcatraz jusqu’à Manhattan. C’est un texte court qui laisse songeur, qui fait réfléchir sur l’un des sujets les plus douloureux de ce monde : la mort qui s’approche et la vie qui reste. On lit L’Espion qui est en moi en le relisant pour saisir les non-dits, les nuances, le mystère. La réponse à l’énigme de ce livre (s’il y en a une) je l’ai trouvée dans l’épigraphe d’un autre livre de Sam Shepard, un recueil de nouvelles, intitulé À mi-chemin. L’écrivain cite Peter Handke : « Dans le temps, on disait que les élus de Dieu “verront le ciel”. Mon seul souhait serait de voir la terre, pour toujours. »

« L’Espion qui est en moi » de Sam Shepard.

Traduit de l’anglais (États-Unis) par Benard Cohen.

Robert Laffont – Collection Pavillons.

Sortie de la version poche (Collection Pavillons Poche) le 7 avril 2023.

Je connaissais l’acteur Sam Shepard, le scénariste, le dramaturge, mais pas l’écrivain avant de recevoir d’un ami son dernier livre, L’Espion qui est en moi, achevé quelques jours avant sa mort. Pour revenir un peu sur sa carrière, il faudrait rappeler qu’il a été acteur dans les films Les moissons de la colère, de Richard Pearce, ou encore L’étoffe des héros, de Philip...

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