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Culture - Cimaises

Rima Amyuni et Afaf Zurayk, paysages fauves et peinture sibylline

Ce sont deux talentueuses peintres libanaises qui ouvrent le cycle des expositions à Beyrouth en ce début d’année. Regards croisés sur les accrochages consacrés à ces deux artistes de la même tranche générationnelle, mais aux pinceaux aux antipodes, aussi éloignés que le feu et l’eau.

Rima Amyuni et Afaf Zurayk, paysages fauves et peinture sibylline

Une toile de Rima Amyuni dans le cadre de l’exposition « Un grand jardin qui retient son ciel dans ses branches » chez Aïda Cherfan, à Starco. Photo DR

De la couleur et de l’intensité… Voici ce qu’offre aux visiteurs de sa galerie Aïda Cherfan qui, en collaboration avec Christiane Achkar Consultancy, accroche sur ses cimaises à Starco (dans le centre-ville de Beyrouth) une quinzaine d’huiles flamboyantes de Rima Amyuni. Des paysages aux tonalités « fauves », intenses et claquantes qui diffusent une émotion brute.

De l’émotion aussi tout en douceur. Voici ce que propose, pour sa part, Saleh Barakat qui consacre la quasi-intégralité de son grand espace éponyme à Clemenceau à une déambulation inédite dans l’univers poétique et pictural de Afaf Zurayk. Un accrochage inédit baptisé « Beirut Octet » et présentant, à travers une scénographie divisant la galerie en 8 espaces comme les 8 saisons du travail de cette artiste, le lien indéniable entre son écriture picturale et poétique.

Voilà donc deux belles expositions à découvrir en ce début de nouvelle année. Et cela autant pour la qualité des œuvres que pour le regard nouveau qu’elles apportent sur une « génération médiane » de femmes artistes libanaises. Une génération située entre celle des Helen el-Khal, Huguette Caland et Etel Adnan et les jeunes peintres d’aujourd’hui. Restées jusque-là dans l’ombre de leurs aînées, moins familières des réseaux sociaux que leurs benjamines, Afaf Zurayk et Rima Amyuni sont demeurées longtemps discrètes, bien que jouissant depuis quelques années déjà d’un succès d’estime auprès des critiques d’art pour la première, et d’une certaine cote auprès des collectionneurs pour la seconde. Aujourd’hui, l’une comme l’autre sont reconnues à leur juste valeur. Celle d’artistes sincères dont les œuvres reflètent avec « transparence et honnêteté », leurs ressentis intimes au cours des cinq dernières décennies au Liban.

Dans « Beirut Octet » de Afaf Zurayk, les acryliques sur toile s’accompagnent d’un recueil de poèmes aux textes affichés sur les cimaises. Photo DR

Nécessité intérieure

Le langage est intuitif chez l’une comme chez l’autre. Exprimé dans un murmure pictural qui parfois devance, parfois suit le jaillissement des mots poétiques chez Zurayk ou étalé en couches épaisses aux tonalités vives incandescentes chez Rima Amyuni, il déroule subrepticement des histoires en lien avec le cours de leur vie imprégnée des chamboulements au pays du Cèdre.

Car elles se sont toutes deux lancées dans l’art au cours des premières années de la guerre civile, y trouvant chacune à sa manière le meilleur refuge contre la folie de l’époque et la violence des hommes. Depuis, elles n’ont cessé de refléter sur leurs toiles, chacune à sa manière, cette nécessité intérieure de beauté et de paix qui inspire leurs pinceaux.

Si tout sépare de prime abord ces deux belles signatures – à commencer par la palette d’une indéniable audace chromatique de Rima Amyuni aux antipodes du pinceau éthéré d’Afaf Zurayk –, une chose néanmoins les rapproche subrepticement : cette extrême sensibilité qui en fait des êtres d’intériorité.

Un visiteur contemplant une toile de Rima Amyuni à la galerie Aïda Cherfan. Photo Michel Sayegh

« Un grand jardin qui retient son ciel dans ses branches »

Née au Liban, en 1954, Rima Amyuni n’a eu de cesse de porter son regard, des fenêtres de sa maison sur la colline de Yarzé, vers cette nature verdoyante, ces jardins, ces fleurs, ces arbres, ce coin de ciel bleu, qui transfigurent la douleur des événements qui se sont succédé sans répit au Liban depuis son retour dans les années 80 après une formation artistique en Grande-Bretagne et aux États-Unis. Elle en a tiré des paysages, parfois des portraits, qui en dépit de la vivacité joyeuse des tonalités appliquées par coups de pinceau épais, dégagent toujours une mélancolie et une inquiétude diffuses. Comme l’expression de ce sentiment de danger omniprésent au pays du Cèdre… Cette impression de fauve tapi dans l’ombre d’une nature paradisiaque. Et qui menace ce « (Un) grand jardin qui retient son ciel dans ses branches » , pour reprendre le titre de l’exposition tiré d’un magnifique texte de Dominique Eddé.

S’il émane toujours de la peinture dense, haute en couleur et assez figurative de Rima Amyuni une espèce d’énergie qui la rend accessible à tout le monde, celle de Afaf Zurayk est plus dans la veine du travail d’un Cy Twombly. Toujours dans la recherche de la transparence, elle déploie de délicats tracés de lignes et de signes sur des fonds sibyllins, abstraits et éthérés tout en fluctuations de tonalités claires blanches. Une peinture qui fait appel à plusieurs strates de vision et de lecture. Et qui, à ce titre, demande d’avantage de réceptivité…

Née au Liban en 1948, Afaf Zurayk a étudié l’art à l’Université américaine de Beyrouth (AUB) avant de décrocher un master en arts islamiques à Harvard en 1972. « Particulièrement influencée par la vision pénétrante de Rembrandt, mais aussi par l’art et la vie de Dorothy Salhab Kazemi, d’Helen el-Khal et d’Huguette Caland, Afaf Zurayk véhicule dans sa peinture et son écriture sa quête de compréhension des valeurs et aspirations humaines éternelles », affirme Saleh Barakat. Le galeriste, qui a voulu rendre hommage à son travail « reflétant avec transparence et honnêteté son expérience des temps turbulents de sa génération », invite les visiteurs de « Beirut Octet » à se plonger totalement dans la lecture de la peinture comme de la prose poétique de cette peintre, poète et écrivaine qui cherche à capter en permanence « La Beauté de l’aube et de l’impalpable » (titre de l’une de ses pièces).

Une toile de l’artiste Afaf Zurayk aux cimaises de la galerie Saleh Barakat. Photo DR

« Beirut Octet »

Dans cette série d’œuvres récentes, où les acryliques sur toiles s’accompagnent d’un recueil de poèmes aux textes affichés sur les cimaises, « c’est dans un voyage cathartique entre peinture, prose poétique et transformation sensible du terrestre vers l’éthéré que Afaf Zurayk vous emporte », explique Saleh Barakat. « Le voyage reflète l’histoire d’une ville et d’une génération qui ont subi le poids d’événements tragiques pendant des décennies, illustrés de la manière la plus poignante dans l’horrible explosion au port de Beyrouth du 4 août 2020. À travers une narration de l’être et du témoignage, son art décrit la conquête de la confiance, de la foi et de la résilience sur la déception, l’aliénation et le malheur », soutient avec enthousiasme le galeriste.

Rima Amyuni ou Afaf Zurayk, deux artistes aussi opposées que l’eau et le feu à (re) découvrir pour cette immanquable émotion que suscite leur art chez le regardeur.

« Beirut Octet » de Afaf Zurayk, jusqu’au 26 février à la galerie Saleh Barakat (rue Justinien).

« Un grand jardin qui retient son ciel dans ses branches » de Rima Amyuni à la galerie Aïda Cherfan, Starco, bloc B, jusqu’au 11 février.

De la couleur et de l’intensité… Voici ce qu’offre aux visiteurs de sa galerie Aïda Cherfan qui, en collaboration avec Christiane Achkar Consultancy, accroche sur ses cimaises à Starco (dans le centre-ville de Beyrouth) une quinzaine d’huiles flamboyantes de Rima Amyuni. Des paysages aux tonalités « fauves », intenses et claquantes qui diffusent une émotion brute. De...

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