Rechercher
Rechercher

Nos Lecteurs ont la Parole

« Chou ? Fallo men gher charr ? »

Tes cousins, ton frère, ta sœur, tes parents, tes amis, ton mari, ton amoureux ?

Ils sont repartis ? Ils ont quitté le pays encore une fois, comme ils le font après chaque Noël, après chaque période de vacances, après chaque retour.

Ce n’est pas facile de comprendre le Liban aujourd’hui. Un pays qu’on a hâte de fuir, mais où on choisit de revenir pour les vacances. Un pays où on reste parce qu’on ne peut pas quitter. Un pays qu’on quitte pour pouvoir peut-être y rester un jour.

On raconte toujours combien c’est difficile de quitter son environnement, de commencer de zéro dans un nouveau pays, très loin de sa famille, de ses amis, de sa patrie.

Mais rester, c’est difficile aussi. Rester aujourd’hui dans un Liban où tout le monde manque, c’est difficile.

Avoir à endurer l’instabilité politique, les clashs sociaux et la crise économique n’est pas facile. Mais rester alors que tous ceux qu’on aime sont partis, c’est tragique.

Habiter le pays de ses souvenirs, sans ceux avec qui on les partage, c’est affreux. C’est se regarder en train de perdre ses souvenirs. L’un après l’autre, nos souvenirs nous quittent. Vers l’Europe ou l’Amérique, nous les regardons depuis notre sublime terre aux quatre saisons se disperser dans le monde. Les jours passent, les mois défilent, et dans ce petit coin du globe, ceux qui sont restés attendent. Entre une crise et une autre, un clash et un autre, on attend les vacances de Noël et les congés d’été pour revoir pendant une après-midi ou une soirée ceux avec qui nous avions partagé toute une vie autrefois.

J’ai bien grandi cette semaine. J’ai compris pourquoi ma tante qui nous visitait pendant mon enfance venant d’Australie n’arrêtait pas de nous photographier et vivre les moindres détails quotidiens. Elle me prenait en photo au petit déjeuner, elle filmait les simples pauses-cafés des après-midi. Je me souviens même penser qu’elle était sonnée, quand elle passait des heures à me regarder faire mes devoirs de vacances. Elle me contemplait seulement, elle ne levait même pas ses yeux pour une seconde. Elle me guettait tout simplement, sans rien dire. Je savais bien qu’elle ne comprenait rien à mes devoirs de vacances, et je m’expliquais qu’elle est assurément toquée.

J’ai grandi cette semaine. J’ai vu Jessica de retour de Paris nous filmer regardant un coucher de soleil. J’ai vu Hady de retour de Montpellier filmer de longues vidéos de nos très longues discussions insignifiantes en mangeant un chawarma sur un des trottoirs de Dora. J’ai vu Cynthia qui déteste se prendre en photo insister à faire une photo de groupe.

Et moi, je me vis élargir mes pupilles en regardant mes amis parler, manger, rire, exister. Je me sentis tentée d’imprégner la scène de notre réunion sur ma rétine. Je voulais juste m’assurer de permettre à cette rencontre de rester un peu plus longtemps. Parce qu’ils repartiront et moi je reste.

J’ai grandi cette semaine. Puisque je ne pense pas qu’ils sont fous. Jessica, Hady et Cynthia ne sont pas fous à vouloir figer dans une photo nos instants de rencontre et prolonger à travers des vidéos les plus banales des promenades. C’est parce que la vie loin de tout cela redémarrera après les vacances, que ceux qui repartent essayent d’emporter ces moments avec eux.

J’ai grandi cette semaine.

J’ai compris que ma tante n’était pas folle, mais qu’elle essayait juste d’avoir de quoi se souvenir de ses vacances, de ses retrouvailles.

J’ai compris que mes amis en ont marre de quitter leur chez-soi et d’y revenir juste pour quelques jours par an.

J’ai compris pourquoi le Liban est plus beau pendant les fêtes. Ce ne sont ni les décorations des ruelles, ni la neige sur les montagnes, ni le bleu de la Méditerranée qui rendent le Liban plus beau pendant les fêtes.

On se sent plus chez soi au Liban pendant les fêtes. Même si on reste là pendant toute l’année.

J’ai grandi cette semaine. J’ai compris que tous ceux qui font de cette terre un chez-soi sont ailleurs.

Et d’ailleurs, c’est où chez moi ?

Les textes publiés dans le cadre de la rubrique « Courrier » n’engagent que leurs auteurs. Dans cet espace, « L’Orient-Le Jour » offre à ses lecteurs l’opportunité d’exprimer leurs idées, leurs commentaires et leurs réflexions sur divers sujets, à condition que les propos ne soient ni diffamatoires, ni injurieux, ni racistes.

Tes cousins, ton frère, ta sœur, tes parents, tes amis, ton mari, ton amoureux ?Ils sont repartis ? Ils ont quitté le pays encore une fois, comme ils le font après chaque Noël, après chaque période de vacances, après chaque retour.Ce n’est pas facile de comprendre le Liban aujourd’hui. Un pays qu’on a hâte de fuir, mais où on choisit de revenir pour les vacances. Un pays où on...

commentaires (1)

Je partage entièrement ce beau texte et cette sensibilité que nous avons lorsque nous sommes loin et bien loin de la terre où nous avons grandi et erré ailleurs en même. Et toujours dans nos yeux les montagnes et la mer de notre beau pays ... moi je les peins, je le cherche même enfoncée dans les neiges du Canada. Merci pour votre écrit.

MIRAPRA

05 h 32, le 27 janvier 2023

Tous les commentaires

Commentaires (1)

  • Je partage entièrement ce beau texte et cette sensibilité que nous avons lorsque nous sommes loin et bien loin de la terre où nous avons grandi et erré ailleurs en même. Et toujours dans nos yeux les montagnes et la mer de notre beau pays ... moi je les peins, je le cherche même enfoncée dans les neiges du Canada. Merci pour votre écrit.

    MIRAPRA

    05 h 32, le 27 janvier 2023

Retour en haut