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Économie - Consommation

La « dollarisation » dans les restaurants des quartiers animés de Beyrouth se met en place

S’il a suscité une vague de critiques en ligne, ce changement de tarification a pris de l’ampleur en décembre et beaucoup se demandent à qui cela profite réellement.

La « dollarisation » dans les restaurants des quartiers animés de Beyrouth se met en place

Des clients partageant un repas et un narguilé au restaurant Dar Beirut à Gemmayzé, le 13 janvier 2023. Photo João Sousa

Plongés dans l’écran de leur téléphone, les clients d’un restaurant à Gemmayzé, quartier beyrouthin populaire, parcourent le menu proposé. Le fameux code QR a semble-t-il bel et bien remplacé les cartes imprimées. Dans la colonne des prix, seuls un ou deux chiffres sont notés, tous accompagnés du symbole du dollar. Ces derniers mois, de nombreux établissements ont commencé à fixer leurs tarifs dans cette devise plutôt qu’en livres libanaises. Et ce malgré la crise financière qui sévit au Liban depuis plus de trois ans.

En effet, à peine remis des conséquences de la pandémie de Covid-19, de la terrible explosion au port de Beyrouth le 4 août 2020 dévastant de nombreux quartiers de la ville et de la crise dans sa globalité, les restaurants ont été de plus en plus confrontés à deux principaux défis : les pénuries d’électricité et les fluctuations constantes de la monnaie nationale.

la « dollarisation » des prix par les professionnels du secteur de la restauration ne s’est pas faite de manière unilatérale, mais à la suite de deux décisions exceptionnelles prises par le ministère du Tourisme : une première en juin dernier l’autorisant pour la saison estivale afin de faciliter les transactions avec les touristes et expatriés ; une seconde la reconduisant de manière indéterminée en novembre avant la saison d’hiver. S’il a suscité une vague de critiques en ligne, ce changement a pris de l’ampleur en décembre et beaucoup se demandent à qui cela profite réellement.

Les prix du menu du restaurant Couqley à Gemmayzé sont affichés en dollars (13 janvier 2023). Photo João Sousa

Les tarifs

Christie, qui n’a pas souhaité donner son vrai nom, est copropriétaire d’un restaurant haut de gamme à Gemmayzé. Elle explique qu’elle n’a pas eu d’autre choix que de fixer les prix de son menu en dollars, car la plupart de ses dépenses sont facturées dans cette monnaie. « Une grande partie de cette somme est consacrée au générateur électrique, un problème auquel tout le monde est confronté », explique-t-elle. Également, les achats de viande crue, de poulet et d’alcool sont facturés en dollars.

Dans le quartier animé de Hamra, également à Beyrouth, Khoder Issa, qui gère le restaurant Mezyan et le café Barzakh situé à proximité, explique lui que bien que certains de ses fournisseurs acceptent les paiements en livres, leur taux de change est généralement supérieur de 2 000 à 3 000 LL au taux du marché libre. Avant la crise, quand le dollar valait 1 507,5 livres, « les fournisseurs nous accordaient une ligne de crédit de 30 jours. C’était comme une offre qu’ils vous faisaient pour que vous acceptiez de faire des affaires avec eux », se rappelle-t-il. Mais pour lui comme pour Christie, ce n’est plus le cas, d’où leur besoin urgent de liquidités.

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Si cette dernière assure avoir essayé de maintenir les prix en livres aussi longtemps que possible, elle admet aujourd’hui que c’est désormais insoutenable. « Cela prend beaucoup de temps de refaire le prix du menu. Il faut l’envoyer à l’agence et ils doivent le modifier sur le code QR et changer les prix sur le système, article par article. Au moment où ils auront terminé de les ajuster sur base d’un dollar à 44 000 LL, le taux sera passé à 46 000 LL. » Jeudi, ce taux a dépassé la barre symbolique des 50 000 livres.

De son côté, Ali Daoud, propriétaire du restaurant Couqley à Gemmayzé, raconte que lorsqu’il a récemment rouvert son restaurant, le menu était automatiquement tarifé en dollars : « Nous avons en quelque sorte attendu que notre secteur et notre cible (de clientèle) commencent à accepter la réalité du marché en termes de tarification. » Ainsi, « nous avons fixé les prix comme s’il n’y avait pas de crise et, comme avant, quand nous les révisions tous les trois à six mois en fonction de l’évolution du marché ou des changements que nous introduisions dans le menu », déclare-t-il. « C’est donc le modèle que nous continuons à suivre. »

A contrario, Khoder Issa a lui choisi de maintenir ses prix en livres. Il affirme que l’objectif principal n’est « pas de faire un énorme bénéfice. Nous essayons simplement de faire fonctionner les deux établissements. Nous avons beaucoup de problèmes, comme l’électricité et les coûts de consommation, et nous essayons de contrôler les prix pour qu’ils restent abordables pour tout le monde, pas seulement pour les gens qui sont payés en dollars ou « qui font partie de la classe privilégiée ». « Penons par exemple un individu dont le revenu est en livres libanaises. Même s’il est bien payé, s’il voit les prix des menus en dollars, il sera surpris », poursuit-il. « Nous ferons tout pour que ces deux endroits restent ouverts, même en contractant des prêts à long terme », assure le propriétaire.

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Responsable de cuisine dans un restaurant de Mar Mikhaël, Khodr Eido explique que lorsque les restaurants fixent leurs prix en livres, ils reflètent un taux de change supérieur à celui du marché parallèle, « afin que les restaurants puissent se prémunir contre la volatilité de la monnaie nationale ». Cependant, le cuisinier admet que, lorsque la valeur de la livre augmente par rapport au dollar, « les prix ne baissent pas ». Pour ceux dont les prix sont fixés en dollars, les clients peuvent bien sûr payer en livres, mais à un taux légèrement supérieur à celui du marché. Selon Ali Daoud, la différence est de 1 000 LL.

Au restaurant de Christie également, les clients peuvent payer dans l’une ou l’autre monnaie, selon le taux du marché. Elle explique qu’un client risque moins d’être choqué s’il voit un plat dont le prix est à deux chiffres au lieu de six. « Lorsqu’un client voit un repas dont le prix dépasse 200 000 LL, il est choqué. Même si nous y sommes tous habitués maintenant », ajoute-t-elle.

Les salaires

Carlos Chéhadé, barman dans un restaurant de la rue Monnot, affirme qu’à présent « une grande partie des bars et des restaurants payent les salaires en dollars. Depuis juillet, j’ai travaillé dans trois endroits différents où j’ai été payé en dollars, alors je ne travaillerai plus dans un endroit si je ne le suis pas ». D’ailleurs, pour éviter un changement de personnel permanent, Christie et Ali Daoud ont durant ces trois derniers mois versé un salaire complet en dollars à leur personnel. « Ils sont donc actuellement payés dans la moyenne des salaires du marché, voire légèrement plus, explique ce dernier à L’Orient Today. Les salaires sont également révisés tous les deux mois, même s’ils sont en dollars, car le coût de la vie augmente même dans cette monnaie. »

Mais ces salaires en dollars ne sont pas perçus partout. Ainsi, Khodr Eido explique que de nombreux restaurants ont des méthodes différentes pour rétribuer leur personnel : des salaires complets en livres, des salaires moitié en livres/moitié en dollars, ou des petits salaires entièrement dollarisés. « Je gagne 10 millions de LL (par mois), ce qui représente environ 200 dollars. Un garçon de cuisine gagne 6 millions de LL, soit près de 100 dollars, détaille-t-il. En réalité, ils vous font payer en tant que client des dollars pour couvrir les dépenses, mais ils ne donnent pas leurs droits aux travailleurs. »

Il note également que l’augmentation des prix des restaurants couvre généralement celle du coût des fournitures, de l’électricité, du gaz et du loyer, tous évalués en dollars. Khodr Eido a ajouté que les prix sont affectés par la hausse des coûts des produits de base, le choc le plus récent étant survenu après l’invasion russe de l’Ukraine fin février dernier, qui a fait exploser les cours mondiaux du gaz, du blé et de l’huile de cuisson. Khodr Issa paie lui ses employés à Mezyan et Barzakh en livres. Il affirme qu’il y a peu de différences lorsqu’il s’agit du montant final. « Disons que vous payez quelqu’un 10 millions de livres, il dit qu’il veut partir et travailler ailleurs où il peut être payé en dollars. Mais l’autre endroit le paiera 5 millions de livres et 100 dollars. C’est donc la même chose. Mais c’est juste l’idée d’être payé en dollars » qui fait la différence entre les deux cas, élabore-t-il.

Les pourboires

Les pourboires – que beaucoup qualifient d’épine dorsale de ce secteur – ont aussi été impactés par la crise. Lorsqu’il travaillait comme serveur en 2018, Khodr Eido a déclaré qu’il gagnait 900 dollars de pourboires par semaine. « Maintenant, à cause de la crise, le client réfléchit à deux fois avant de laisser un pourboire. » Pour sa part, Ali Daoud affirme que le taux actuel du pourboire moyen est légèrement inférieur à celui de 2019, en termes de pourcentage. Mais tout dépend de la journée. « Certains clients continuent de payer en moyenne 10 % et certains ont baissé à 5 %. D’autres donnent un pourboire de 10 % mais d’une moyenne légèrement inférieure, bien que sans grand écart pour autant. »

En tant que barman de longue date, Carlos Chéhadé fait la distinction entre les endroits haut de gamme et les autres. « Les pourboires dépendent du restaurant ou du bar, de la région ou des clients eux-mêmes », explique-t-il. « Par exemple, à Mar Mikhaël, Gemmayzé ou Dbayé, les pourboires sont en livres libanaises et dépendent de la saison et des fêtes. Mais dans des endroits comme Monnot, qui est un quartier très huppé, 75 % des gens donnent des pourboires en dollars. » Mais tous ne vont pas aux serveurs. « Au Liban, il y a deux systèmes de pourboires », explique Khodr Eido. Certains restaurants ont des boîtes à pourboires, où sont déposés ceux collectés auprès des clients pour qu’à la fin du mois ils soient répartis de manière égale entre tous les employés : personnel de cuisine, serveurs, coursiers, stewards ou barmen. Dans d’autres modèles, les serveurs ont leur propre section avec des tables attribuées et le système de pourboire suit un pourcentage où le serveur doit verser 3 % des recettes à la direction, qui les redistribue au personnel de cuisine sous forme de pourboire.

S’il n’y a pas assez ou pas de pourboire du tout, « je dois y aller de ma poche », explique Khodr Eido. « Si la table ne laisse pas de pourboire entre 5 et 10 %, je dois le payer moi-même, donc il vaut mieux que les gens paient 5 à 10 %, comme cela 3 % sont versés et je peux garder le reste. » « Toute personne travaillant dans ce domaine dépend beaucoup des pourboires » afin d’éviter de dépenser tout son salaire pour des choses basiques comme le transport, conclut Carlos Chéhadé. Il estime enfin qu’« un bon montant (de pourboires) se situe entre 3 et 4 millions de LL chaque semaine ».

Plongés dans l’écran de leur téléphone, les clients d’un restaurant à Gemmayzé, quartier beyrouthin populaire, parcourent le menu proposé. Le fameux code QR a semble-t-il bel et bien remplacé les cartes imprimées. Dans la colonne des prix, seuls un ou deux chiffres sont notés, tous accompagnés du symbole du dollar. Ces derniers mois, de nombreux établissements ont commencé à...

commentaires (7)

Arretez votre cinema Nous e sommes qu une bande de mafieux de 3 e classe Cessez de pleurnicher

AK

13 h 26, le 23 janvier 2023

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Commentaires (7)

  • Arretez votre cinema Nous e sommes qu une bande de mafieux de 3 e classe Cessez de pleurnicher

    AK

    13 h 26, le 23 janvier 2023

  • Tant qu'il y aura dans ce pays une société à deux vitesses, ceux qui vont au restaurant et ceux qui ont renoncé à s'acheter une man'ouché, rien ne changera. C'est la base qu'il faut revoir!

    Politiquement incorrect(e)

    12 h 24, le 23 janvier 2023

  • une huitre pour 5 USD ! c'est dans un super resto ici à Paris. En plus j'achète 24 huitres du monoprix à 15euros et 5 euros quand je suis au cancal!

    Roger Xavier

    11 h 42, le 23 janvier 2023

  • Le problème n’est pas tant la devise mais le montant en valeur absolue. Une pizza à Beyrouth (15 à 19$) est devenue plus chère qu’une pizza à Paris Trocadero…et le double du prix d’autres quartiers de Paris. Trouvez l’erreur, ailleurs que dans la cupidité !! Certes l’électricité des générateurs est au prix de l’énergie des pays d’Europe, mais tout le reste est beaucoup moins cher (main-d’œuvre, loyers, matières premières,…). Il faudra penser au boycott des profiteurs pour réguler le marché.

    Sam

    10 h 50, le 23 janvier 2023

  • - PEUPLE ET PAYS VONT DE PIRE EN PIRE - ET TOUS LES NERONS JOUENT DE LA LYRE.

    LA LIBRE EXPRESSION

    10 h 08, le 23 janvier 2023

  • Quand la MEA acceptera d’être payée en LL, selon la nouvelle procédure, les restaurants accepteront la même chose..

    LeRougeEtLeNoir

    00 h 36, le 23 janvier 2023

  • La canaille de la BDL et du ministere des finances obligent les epargnants a "lirifier" leurs retraits a des taux ridicules. Mais ils permettent aux commercants de presenter leurs prix en dollars. Il y a quelque chose de pourri au royaume du Danemark.

    Michel Trad

    00 h 23, le 23 janvier 2023

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