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Culture - Documentaire

Aida, bienvenue chez toi, à Jaffa

« Aida returns » se base sur une revendication légitime arrachée, celle de ramener sa mère à sa terre d’origine, sa terre interdite, la Palestine. Le nouveau film de Carol Mansour est un coup de poing pour une poignée de cendres, un témoignage poignant, un magnifique dernier geste d’amour.

Aida, bienvenue chez toi, à Jaffa

Carol Mansour et sa maman Aida Abboud Mansour. Photo DR

Il y a ceux qui les gardent au cimetière dans un columbarium ou dans le jardin d’une propriété privée. Il y a ceux qui les dispersent au vent, les parsèment dans un courant d’eau ou les conservent dans une urne au-dessus de la cheminée. Il y a même ceux qui les conservent en reliquaire, suspendu autour du cou pour ne pas s’en séparer. Et il y a ceux qui leur font faire le plus long, le plus incroyable, le plus beau des voyages pour les ramener à la terre qui les a nourries, qui les a vu grandir, partir et ne jamais plus revenir. Les cendres… résidu du corps après l’extinction des feux. Si dans le terme « faire son deuil » il y a le verbe faire, il doit nécessairement y avoir une raison. Nos aînés partent, on les pleure, les enterre, on range, on classe, on relativise et on attend que la douleur passe, que la vie reprenne son cours, que le temps estompe et amenuise les cicatrices. Mais fait-on quelque chose à part attendre ? Carol Mansour n’a pas fait qu’attendre, elle a fait. Aida returns un documentaire qu’elle a réalisé, qui vous cloue sur votre siège, et vous fait vous poser la question : jusqu’où peut-on aller pour l’amour d’une mère ?

Le linge étendu et la soupe sur le feu

Lorsque Aida Abboud Mansour, palestinienne de naissance, née à Jaffa en 1928 naturalisée libanaise, est atteinte de cette maladie cruelle qui d’un coup de gomme vient effacer tout ce qui constitue une vie, et fait que la mémoire vacille, chancelle et s’estompe, sa fille Carol Mansour, réalisatrice de films – dans un souci de garder le souvenir de sa mère vivant et de réaliser un témoignage comme un geste universel pour toutes les filles du monde qui assistent à la dispersion du soi de leurs aimés –, prend son portable et entreprend une longue série d’entretiens avec elle, très loin de se douter où la portera cette aventure. « Elle ne pouvait plus revenir dans son monde, alors je suis allée dans le sien, comme pour le refaire, et lui rappeler qu’avant d’être Mme Mansour, elle a été cette petite jeune fille née à Jaffa », confie la réalisatrice. Jaffa, passée d’une population majoritairement arabe à un noyau essentiellement juif. Jaffa, cette ville portuaire qui a abrité des milliers de « Aida » aimées et choyées par des familles d’amour. Jaffa, que la famille Abboud a dû déserter un matin de printemps d’enfer comme on part en week-end, en oubliant la soupe sur le feu et le linge étendu dans le jardin. Mais voilà la soupe qui s’évapore et le linge qui craquelle au soleil et les Abboud depuis ce printemps 1948 qui ne verront plus jamais leur maison, leurs voisins, leurs familles, leurs amis, oubliant jusqu’à l’odeur de leurs draps, la tessiture de leurs vêtements, la couleur de leurs albums photos, la saveur de leurs fruits. Y a-t-il plus violent que cet exil ? Oui, l’impossibilité de n’y jamais retourner.

« Il n’était pas question, indique la réalisatrice, de faire un film intimiste sur ma relation avec ma mère, mais de témoigner de cette relation qui existe entre toutes les mères et leurs filles quand la maladie tente de les séparer. Le film est personnel certes, renchérit-elle, mais je le voulais universel, je ne désirais ni en être le centre ni faire de ma mère le centre de l’histoire. Il s’agissait d’abord de la maladie (d’Alzheimer, NDLR) qui touche un foyer sur deux, ensuite de l’injustice qui a déraciné des milliers de Palestiniens. De plus, lorsqu’une amie canadienne a visionné mes rushes et m’a confirmé l’universalité de mon message, je fus réconfortée et confiante quant à la portée de mon témoignage. Il était question de la maladie, de la Palestine, du déracinement, du sentiment d’appartenance et de l’injustice. J’ignorais que j’irais aussi loin. » Aida Abboud Mansour décède, les cendres sont conservées par sa fille, jusqu’au jour où le destin en décidera autrement.

Les cendres de Aïda ont effectué un road trip pour retourner au bercail dans les territoires palestiniens occupés. Photo DR

L’union fait la force

« Ma mère parlait beaucoup plus de la Palestine que mon père et rêvait d’y retourner un jour, pour revenir sur les traces de sa jeunesse », se souvient Mansour.

Étrangement, comme si c’était écrit, Carol et deux de ses amies allaient ainsi effectuer un road-movie (au propre comme au figuré) pour ramener Aida chez elle. Le processus du retour ne sera pas facile. Loin de là. Dans un premier temps, Tanya Habjouka, photographe professionnelle qui vit en Palestine, accepte, contre toute attente, la veille de son départ de Beyrouth de transporter les cendres avec elle. Elles resteront dans les territoires palestiniens plus d’un an, Carol n’ayant pas encore décidé de leur sort.

C’est alors que Raëda Taha, actrice et activiste palestinienne, entre en jeu. Elle fera le déplacement de Ramallah en passant par Haïfa jusqu’à Jaffa pour retrouver Tanya et aller toutes les deux à la recherche de la maison des Abboud. Possédant très peu d’indices, elles effectueront un véritable jeu de pistes que Carol va suivre en direct à travers un appel vidéo sur son portable. Pendant ce temps, une caméra documente tout le processus qui consistait à questionner les habitants, mais aussi se souvenir de ce que Aida décrivait. Un escalier qui grimpe ? Un jardin qui s’étale ? Se tromper, repartir, espérer et enfin trouver la maison, prendront une journée entière. Les deux amies finiront par se glisser en cachette dans le jardin des Abboud, désormais occupé par une famille israélienne. Y verser clandestinement les cendres sous un arbre et dire à Aida, bienvenue chez toi, prendra un instant d’éternité.

Carol Mansour se devait de placer la pièce manquante à la toile de la vie de sa mère, pour boucler la boucle. Dans la culture Maya, les cendres ont une fonction magique liée à la germination et au retour cyclique de la vie ; chez les Muiscas en Colombie, les prêtres appelaient la pluie en répandant les cendres au-dessus d’une montagne.

En plantant ses cendres là où sa vie aurait dû être et se poursuivre, Carol offrait à sa mère une seconde vie, celle qu’on lui avait subtilisée, arrachée. En visionnant le documentaire qui relate tout ce périple, en voyant les mains bienveillantes creusant un trou pour déposer les cendres à la racine d’un arbre, le spectateur souffle et respire de bonheur. Enfin Aida est chez elle… Et on a presque envie de dire, saine et sauve. Et puis dans le prénom de Aida ne peut-on pas lire le verbe « retournée » en arabe (Aa’ida) ? Comme quoi…

Fiche technique

Aida returns, documentaire (72 minutes) réalisé par Carole Mansour

Production : Muna Khalidi

Caméra : Tanya Habjouka, Angélique Abboud, Carol Mansour

Ingénieur son : Rana Eid

Langue : arabe et français (traduction anglais et français )

Carol Mansour – cmansour@fwdrod.com

Le documentaire a été projeté le 20 décembre 2022 au cours d’une projection privée à l’Université libanaise américaine (LAU).

Il y a ceux qui les gardent au cimetière dans un columbarium ou dans le jardin d’une propriété privée. Il y a ceux qui les dispersent au vent, les parsèment dans un courant d’eau ou les conservent dans une urne au-dessus de la cheminée. Il y a même ceux qui les conservent en reliquaire, suspendu autour du cou pour ne pas s’en séparer. Et il y a ceux qui leur font faire le plus long,...

commentaires (2)

MERCI POUR CET ARTICLE. CRITIQUER POUR CRITIQUER, FACILE. IL FAUT SAVOIR SE METTRE A LA PLACE DE CEUX QUE L'ON CONDAMNE ET ÉVITER D’ÊTRE MYOPE. L’IMPORTANT C’EST DE VOIRE PLUS LOIN QUE LE BOUT DE SON NEZ.

aliosha

11 h 22, le 14 janvier 2023

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Commentaires (2)

  • MERCI POUR CET ARTICLE. CRITIQUER POUR CRITIQUER, FACILE. IL FAUT SAVOIR SE METTRE A LA PLACE DE CEUX QUE L'ON CONDAMNE ET ÉVITER D’ÊTRE MYOPE. L’IMPORTANT C’EST DE VOIRE PLUS LOIN QUE LE BOUT DE SON NEZ.

    aliosha

    11 h 22, le 14 janvier 2023

  • Encore? Même la culture et cinéma , fallait parler de palestiniens ? De tous les pays du monde , de la région…. C’est palestinen encore? La direction a changé au sein de l’équipe ? Les palestiniens sont à la tête de l’équipe de rédaction ? Les palestiniens ont acheté notre quotidien préféré ? La proposition de changer le titre de l’OLJ en « palestine-le jour » tient toujours… bonne journée.

    LE FRANCOPHONE

    01 h 51, le 14 janvier 2023

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