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Culture - Cinéma

« Ashkal », ou le feu sacré des révolutions

Présenté en avant-première à la salle Montaigne dans le cadre du festival Maskoon, le film du réalisateur tunisien Youssef Chebbi sera dans les salles beyrouthines (Galaxy) à partir de la mi-janvier. Un film à voir et surtout un cinéaste à suivre.

« Ashkal », ou le feu sacré des révolutions

Enquête dans les chantiers de Tunis. ©The Party Film Sales

C’est un polar noir, un film à la fois politique et fantastique, un mélange incendiaire qui séduit, interroge et hypnotise le regard, que le jeune réalisateur tunisien Youssef Chebbi signe à travers Ashkal (Formes), bientôt dans les salles à Beyrouth (Galaxy). Né en 1984 en Tunisie, Youssef Chebbi a effectué des études en art et en cinéma puis a réalisé deux courts métrages et coréalisé Babylon, qui a remporté le Grand Prix au Festival international de cinéma de Marseille (FID) en 2012. Ashkal est son premier long métrage. Il a été sélectionné en 2022 à Cannes dans le cadre de la Quinzaine des réalisateurs. Selon le cinéaste, venu à Beyrouth présenter son opus dans le cadre du festival Maskoon (du 12 au 16 décembre 2022 au cinéma Montaigne, rue de Damas), son producteur Farès Ladjmi lui a fait d’emblée confiance.

« Nous aimons le même cinéma, affirme Chebbi, et dans cette collaboration, Farès n’a pas été interventionniste, même s’il était très souvent sur le plateau de tournage. Ce film a pris trois ans à être écrit, élaboré et financé, ajoute-t-il, car il était difficile de convaincre les financiers de soutenir ce projet au genre hybride. »

Youssef Chebbi : « Je suis très attentif aux cadres, aux plans et au découpage. » ©Lebruman-2022

Recréer des images iconiques…

L’action du film se déroule en Tunisie, dans les jardins de Carthage, plus précisément un quartier nouveau où les constructions modernes se juxtaposent avec les chantiers abandonnés appartenant auparavant à des nababs du régime tunisien. Le corps d’un gardien est retrouvé calciné au milieu d’un de ces chantiers (un premier rappel de la révolution tunisienne où les gens s’immolaient par le feu). Batal, un flic d’une cinquantaine d’années, est chargé de l’enquête. Il est assisté par Fatma, une femme dans la trentaine. Alors que les enquêteurs commencent par interroger les ouvriers des chantiers voisins, ils sont loin d’imaginer que ce qui les attend est loin d’être un simple décès ou suicide.

Une scène de « Ashkal », première fiction du Tunisien Youssef Chebbi. ©The Party Film Sales

Pour Youssef Chebbi, le fictif côtoie le réel et le fantastique colorie une mise en scène superléchée. Si le cinéaste n’a pas voulu directement parler de la révolution tunisienne, celle-ci est bien présente, autant dans les esprits que dans l’image hypnotique. « La révolution hante le cinéma tunisien ainsi que le cinéma arabe ces dernières années, estime Chebbi, rencontré à la salle Montaigne. Les images de la révolution sont tellement fortes et même iconiques qu’elles dépassent la réalité. Auparavant, ces images étaient dans le réalisme, mais aujourd’hui, nous en sommes libérés car aujourd’hui, l’immolation en Tunisie est rentrée dans la fiction nationale, à l’instar des images de l’effondrement des tours en 2001, que le cinéma finit par réinterpréter. »

Un polar qui interroge la Tunisie postrévolution. ©The Party Film Sales

Fantomatiques et réelles…

Son objectif n’était pas de faire un film directement sur la révolution, mais d’emprunter des motifs, de les voir autrement, de les étendre et de voir comment une image peut en cacher une autre. Ainsi ce feu qui s’allume tout seul, qui n’a pas de combustible, fait croire et même se demander si ces révolutions ont vraiment eu lieu. Rattrapées par la réalité et les contextes arabes complexes, ont-elles jamais existé ? Et tel ce feu incandescent de chair humaine, comment se sont-elles allumées et comment se sont-elles éteintes ? « Ces événements ont vraiment un pied dans la fiction, précise Youssef Chebbi. Ils sortent du réel et nous donnent l’impression de flotter. » Dans ce paysage lunaire, cette région au nord de Tunis, presque apocalyptique, le spectateur se sent suspendu entre l’air et la terre. Les lignes horizontales et verticales découpent le ciel dans une architecture quasi claustrophobe, carcérale. Ces lieux offrent, en réalité, des possibilités multiples de mise en scène qu’on ne peut trouver ailleurs : faire des plans larges, donner des dimensions monumentales à la ville plutôt étriquée. « Je suis très attentif aux cadres, aux plans et au découpage, remarque Chebbi. Avec mon cameraman, nous nous sommes entendus sur beaucoup de choses, entre autres ne pas trop découper, mais donner un tempo lent. Ce qui permet d’errer et de se perdre dans ce décor où le temps s’arrête. Il fallait par ailleurs que la caméra ne soit pas trop sensible et que la nuit soit reproduite comme telle, obscure, mystérieuse et intrigante. » Ainsi, l’image n’est pas filtrée. Elle est dure, naturaliste. « Pour moi, la mise en scène démarre de la caméra. Il fallait, en regardant les immeubles, qu’on ne sache pas qui regarde l’autre. C’était important que ces bâtisses existent, même d’une manière sensorielle. Ces lieux ressemblent à des temples où l’on se promène. » Les personnages dont on ne voit pas la vie intime sont pour le réalisateur des vaisseaux qui nous permettent de rentrer dans ce quartier, dans cet univers. « Je ne voulais pas rentrer dans la “psychologisation” des personnages, mais leur garder une forme inaccessible. Le seul lien intime était celui qui relie uniquement Fatma Oussaifi (la policière) et les immeubles. Elle est le témoin de ce qui s’est passé, elle est le vecteur de la vue, celui qui permet au spectateur de voir même l’impossible, l’improbable », conclut le réalisateur qui sonde une société en perpétuel chantier.

C’est un polar noir, un film à la fois politique et fantastique, un mélange incendiaire qui séduit, interroge et hypnotise le regard, que le jeune réalisateur tunisien Youssef Chebbi signe à travers Ashkal (Formes), bientôt dans les salles à Beyrouth (Galaxy). Né en 1984 en Tunisie, Youssef Chebbi a effectué des études en art et en cinéma puis a réalisé deux courts métrages et...

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