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Nos Lecteurs ont la Parole

Le récit historique de Noël

Après une longue marche, au sortir de Béthanie, Marie et Joseph aperçurent enfin le mont des Oliviers. Ils n’étaient plus loin maintenant. Joseph se tourna vers sa compagne : « Comment te sens-tu ? » demanda-t-il tendrement. La jeune femme, que l’on appelait Miriam en araméen, et Marie dans les autres langues, répondit qu’elle se sentait bien. Cela faisait déjà cinq jours qu’ils avaient quitté Nazareth, et chaque pas de l’âne sur lequel elle était montée avait été pour elle une épreuve. Mais elle n’avait que quinze ans, et elle ne pensait qu’à l’enfant qui allait naître. Elle sourit malgré la fatigue.

Il n’était pas rare que les jeunes filles de la région se fiancent à treize ans et se marient à quatorze. Sinon, elles ne trouvaient plus à épouser que de simples bergers. Marie, elle, s’était mariée à un charpentier. Joseph avait dix-neuf ans et, après un temps d’apprentissage chez son père, il venait de s’établir à son propre compte.

C’était le solstice d’hiver de l’année juive 3790. Les derniers éclats de la fête juive de Chanukah s’éteignaient lorsque Joseph le père nourricier et son épouse avaient quitté Nazareth. Ils avaient suivi la vallée du Jourdain. Chaque soir, lorsque le soleil se couchait, Joseph menait l’âne un peu à l’écart de la route et de la rivière et, après un frugal repas, ils s’étendaient et dormaient à la belle étoile. Ils avaient peu d’argent. « Mieux vaut le garder pour quand le bébé viendra », avait dit Marie.

Au soir du quatrième jour, ils étaient arrivés à Jéricho. Exceptionnellement, Joseph aurait voulu qu’ils dorment, pour quelques sous, sur un coin de terre battue, à l’intérieur d’une auberge, mais Marie l’avait prié de n’en rien faire.

« Ce n’est pas encore le jour, avait-elle dit en souriant ». À l’aube, ils s’étaient levés, et Marie était remontée sur l’âne. Il n’y avait plus que vingt lieues jusqu’à Béthanie, et une lieue à peine jusqu’au cœur de Jérusalem. Quand le soleil fut bas à l’horizon, Joseph arrêta l’âne au bord du chemin : « Jérusalem, » dit-il, en la désignant du doigt à Marie avec une légère émotion dans la voix. Au soleil couchant, la ville ressemblait à un gigantesque joyau blanc miroitant de ses mille facettes dans l’écrin de ses hautes murailles. Soudain, Marie frissonna : « La nuit est presque tombée. » Joseph comprit qu’elle avait hâte d’arriver. Car Jérusalem n’était pas leur destination finale. Ils allaient à Bethléem, petit village à presque deux lieues au sud de la Ville sainte.

Ils se remirent en route. Tout à coup, alors que la nuit était complètement tombée, Marie demanda à Joseph d’arrêter l’âne. Elle venait de ressentir profondément que ce serait cette nuit-là. Il n’y a aucune douleur en moi, dit-elle, mais il faudrait trouver une auberge. Car l’enfant, avec l’aide de Dieu, naîtra ce soir.

Mettre au monde son premier enfant, n’était-ce pas déjà en soi une joie miraculeuse ? Mais mettre au monde un premier enfant qui est Dieu et le fils de Dieu, n’était-ce pas, à l’âge de quinze ans, la plus lourde responsabilité que personne au monde ait encore jamais portée ?

Tout jeunes, Marie et Joseph avaient joué ensemble dans les rues de Nazareth. L’apprenti charpentier avait dix-sept ans quand le « Quiddushin » – les fiançailles juives – fut conclu entre les parents qui descendaient également de la tribu de David. Quelques jours après la cérémonie, Marie apprit l’incroyable nouvelle qui allait faire de cette union une union sacrée et miraculeuse. Un après-midi, l’ange Gabriel lui était apparu : « Je te salue, Marie, pleine de grâce. » Il lui annonçait qu’elle avait été choisie pour recevoir la visite du Saint-Esprit et pour devenir la mère de Dieu, la mère de ce Messie que les prophètes avaient annoncé. Tout cela avait un peu dépassé l’entendement de la fillette. N’avait-elle pas rêvé ? Mais, dès les premiers regards de Joseph, Marie comprit que, lui aussi, avait été visité.

La semaine suivante, le mariage avait été célébré entre ces deux jeunes êtres qui partageaient entre eux le plus grand secret de l’histoire du monde. Mais Joseph était devenu étrangement grave. Quelque chose le tracassait. Les Saintes Écritures n’avaient-elles pas annoncé dans leurs prophéties que le Roi des Rois naîtrait à Bethléem, la ville de David ? Mais qu’iraient faire si loin de chez eux, de leur atelier, un humble charpentier et son épouse ? L’enfant naîtrait à Nazareth...

Or Marie était déjà enceinte de six mois, lorsque à Rome le puissant César décida que, pour pallier les fraudes fiscales, tous ses sujets devraient, pendant le solstice d’hiver, aller se faire recenser dans la ville de leurs ancêtres.

C’est ainsi qu’obéissant à la fois à César et aux vieilles prophéties, Joseph avec Marie, enceinte de près de neuf mois, montée sur un âne, avaient quitté Nazareth pour se rendre à Bethléem... La route qui y menait montait durement. Il n’y avait plus que quelques centaines de mètres pour atteindre la ville de David, mais Joseph était obligé de pousser l’âne. La nuit était froide. Les étoiles brillaient, nettes et claires, au firmament. Au tournant du chemin, ils aperçurent des lumières : « Bethléem », dit doucement Marie.

Son visage était empreint d’une heureuse lassitude. Mais Joseph se sentit anxieux. Tous ces gens qui dormaient dehors, dans le froid. La petite ville était pleine de voyageurs. Il n’aurait jamais cru qu’ils étaient tant à appartenir à la maison de David et à venir se faire recenser. Et il n’y avait qu’une seule auberge à Bethléem... La salle commune était bondée. Partout, des voyageurs dormaient à même le sol, avec leurs ballots en guise d’oreillers. Joseph alla trouver l’aubergiste et, suppliant, lui exposa la situation : il lui fallait coûte que coûte un endroit un peu isolé pour que sa femme puisse mettre au monde son enfant.

L’homme, débordé, leva les bras au ciel. Un endroit isolé ! Il n’y avait plus un centimètre carré de libre dans l’auberge ! Compatissante, la femme de l’aubergiste s’était approchée : il y avait bien l’étable dans la grotte sous l’auberge où couchaient les animaux domestiques.

Joseph remercia et sortit. Il avait un peu honte de proposer à Marie la compagnie des bêtes pour mettre l’Enfant au monde. Mais elle acquiesça avec un sourire un peu douloureux : « Mène-moi vite, dit-elle, le temps presse. »

Dans les rayons de la lampe qu’il avait allumée, Joseph aperçut une vache et quelques agneaux qui sommeillaient sur la paille, sous une crèche. Il les écarta, posa la lampe, arrangea la paille pour en faire une sorte de couche. Si la volonté de Dieu était que ce fût là que son fils naquît...

« Prépare un feu au-dehors, et fais chauffer un peu d’eau », demanda Marie. Joseph aurait voulu faire davantage, mais il ne savait pas quoi, et Marie lui dit qu’elle l’appellerait quand le moment serait venu. Il alla chercher du bois et se mit à prier.

Il régnait dans cette nuit un extraordinaire silence. Aucun bruit ne parvenait de l’étable. Sans doute Marie priait-elle, elle aussi. Les yeux vers le ciel, Joseph vit soudain une chose étrange : trois étoiles, au-dessus des montagnes, qui venaient de se confondre en une seule grosse étoile qui semblait s’avancer vers lui « Joseph... ».

C’était la plus douce voix du monde qui venait de résonner dans cette nuit. Ce qu’il vit d’abord, en entrant dans la grotte, ce fut Marie. Elle était agenouillée, toute pâle, mais transfigurée, entre le bœuf et l’âne et les agneaux. Elle lui sourit avec une infinie tendresse, se releva, et lui fit signe de s’approcher.

Dans la mangeoire, il y avait une boule de linge, un de ces draps de lin blanc que Marie avait emportés avec elle de Nazareth. Il était replié, mais Joseph vit le minuscule visage d’un enfant qui en émergeait. Et il tomba à genoux devant la crèche...

Les bergers étaient perplexes, incrédules. Pourquoi Dieu les aurait-il choisis, eux, les plus humbles, les plus méprisés d’entre les juifs, pour les avertir de la grande, de l’incroyable nouvelle ? La venue de ce Messie que Dieu leur avait promis, voilà si longtemps ? Et pourquoi l’ange qui leur était apparu leur avait-il parlé d’une étable ? Le fils de Dieu ne devait-il pas apparaître sur un nuage, la foudre à la main, au son des trompettes célestes ?

Lorsque les bergers arrivèrent devant la grotte, ils virent Joseph qui équarrissait quelques vieilles planches. Marie lui avait dit qu’il faudrait attendre au moins huit jours, et que l’Enfant fut circoncis, avant de songer à retourner à Nazareth. Les nuits étaient trop froides pour voyager avec le nouveau-né. Pendant tout ce temps, il leur faudrait rester à l’abri dans l’étable, et Joseph s’employait de son mieux à leur rendre le séjour plus confortable.

« Un ange nous est apparu et nous a dit qu’un Messie est né cette nuit dans la ville de David, dit l’un des bergers... » « S’il n’est pas trop tôt... s’il est déjà né, dit un autre d’un air un peu embarrassé, nous sommes venus pour l’adorer. »

Joseph ne savait trop que répondre, mais Marie lui dit de les laisser entrer. Sales, confus, la barbe embroussaillée, les bergers virent cette mère si jeune qui se tenait devant la crèche d’où émanait un étrange rayonnement. Ils se haussèrent un peu sur leurs pieds, mais ne virent qu’une boule de lin blanc. La mère comprit qu’ils voulaient voir l’Enfant et, délicatement, elle écarta un pan du linge. La tête du nouveau-né apparut. Alors, ils s’agenouillèrent et, dans leur langage rude et simple, remercièrent Dieu de leur avoir permis d’être les premiers témoins de la naissance du Messie...

Dans les lointains déserts de la Perse, ils étaient trois hommes qui, comme Joseph, avaient remarqué cette nouvelle étoile, anormalement brillante, dans le firmament. Trois sages et riches Persans que l’on appelait des mages, car ils étaient à la fois philosophes, mathématiciens et astrologues, et ne croyaient qu’à l’existence d’un seul Dieu. Longtemps, sous leur tente, les trois mages, Gaspar, Melchior et Balthazar, avaient discuté sur l’origine et le symbole de cette nouvelle étoile. Son origine ne pouvait être que surnaturelle et, dès lors, son symbole devait être retrouvé dans les vieux livres. Mais aucune des prédictions astrologiques grecques ou persanes ne mentionnait une telle chose. Ce n’est qu’en abordant les anciens textes hébraïques que les trois sages entrevirent la signification de la grosse étoile qu’ils voyaient luire au loin, au-delà des monts du Moab. Balarama n’avait-il pas dit : « Une étoile s’élèvera de Jacob, et un sceptre jaillira d’Israël » ?

L’étoile voulait donc dire, d’après Melchior, qu’un sauveur du peuple juif venait de naître. Mais Balthazar, après avoir longuement réfléchi, déclara à Balarama que nous sommes venus, dirent-ils, pour adorer le nouveau roi.

Marie leur sourit. Les mages déballèrent alors leurs présents. Joseph, qui donnait à manger à l’âne, le pauvre Joseph, l’humble charpentier, n’avait jamais vu, dans sa petite ville de Nazareth, de trésors aussi précieux. Ce qui brillait avec cet éclat jaune, ce devait être de l’or ; et cette belle matière orange et si odorante, de la myrrhe ; et là-bas, de l’encens et de rares essences de fruits et de fleurs. Marie les remercia et leur souhaita que Dieu les guide dans leur voyage de retour.

Dans la nuit, les trois hommes eurent la même vision : un ange qui leur enjoignait de ne pas avertir Hérode, et de rentrer tout droit dans leurs lointaines contrées. Au matin, ils décidèrent que s’il n’était guère bienséant d’ignorer l’invitation d’un roi, il l’était encore moins d’ignorer l’avertissement d’un ange. Et, après avoir contourné Jérusalem et traversé le Jourdain, ils s’enfoncèrent dans le désert pour aller annoncer dans leur pays que le Messie était né.

Joseph avait attendu huit jours pour emmener l’enfant se faire circoncire à la synagogue de Bethléem, comme c’était la coutume pour tous les juifs nouveau-nés. Le rabbin lui avait demandé quel nom il comptait lui donner, et Joseph avait répondu : « Jésus. » Ce qui voulait dire : « Dieu est le sauveur. » C’était le nom que l’archange avait dit à Marie. C’était aussi celui qu’il avait entendu en songe.

La petite famille avait prévu de rentrer à Nazareth dès le lendemain. Mais, en se réveillant, Joseph, l’air soucieux, prit tendrement la main de Marie. Pendant la nuit, il avait vu l’ange qui l’avait déjà visité et il lui avait dit : « Ne retourne pas encore à Nazareth, mais fuis en Égypte avec la mère et l’enfant. Car Hérode va bientôt rechercher l’enfant pour le tuer. »

« Puisque l’ange l’a ordonné, dit Marie, c’est que Dieu l’a ordonné. » Joseph hocha la tête. Il ne comprenait pas pourquoi un roi pouvait avoir intérêt à sacrifier un être aussi innocent. Il ne savait pas qu’Hérode, furieux de ne pas avoir revu les trois mages et de plus en plus atteint par la démence, avait donné l’ordre de faire massacrer tous les enfants de moins d’un an.

Marie remonta sur l’âne, mais, cette fois, elle tenait dans ses bras celui qui s’appelait maintenant le petit Jésus. Ils partirent sans se retourner vers le sud...

Quelques jours plus tard, à travers toute la Judée, c’était le massacre des Innocents. Plus tard, le danger passé, Marie, Joseph et Jésus reprirent la route du nord. Au passage, ils évitèrent Jérusalem, car la vue d’un enfant ayant échappé à l’hécatombe sanglante d’Hérode aurait pu éveiller la suspicion. Puis ils s’en retournèrent sur le chemin de Nazareth où l’Enfant Jésus allait croître en force et en sagesse pour devenir Jésus-Christ, « le Rédempteur de l’humanité ».


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Après une longue marche, au sortir de Béthanie, Marie et Joseph aperçurent enfin le mont des Oliviers. Ils n’étaient plus loin maintenant. Joseph se tourna vers sa compagne : « Comment te sens-tu ? » demanda-t-il tendrement. La jeune femme, que l’on appelait Miriam en araméen, et Marie dans les autres langues, répondit qu’elle se sentait bien. Cela faisait déjà cinq...

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