Chadia

C’est l’image lumineuse de son sourire jaillissant du fond de sa nature qu’on retiendra d’abord de Chadia, cette grande dame qui vient de nous quitter.

Ce sourire, cristallisant sa joie de vivre, était en quelque sorte son centre de gravité. Il dominait son visage en irradiant son entourage. Il était à la mesure de son ouverture aux autres, de la chaleur dont elle les inondait. En somme, l’expression de sa bienveillance à l’égard d’autrui, proches ou lointains. De sa vision des choses frappée au coin du bon sens. Il n’avait rien d’un sourire de façade, rien de spécieux. Plutôt la manifestation de ce qu’elle était en réalité. De sa bonne volonté. De la manière dont elle surmontait les morsures du sort, dont un drame qui, plus jeune, l’avait endeuillée, ainsi que ses enfants. Il était en quelque sorte la voie de sa résilience.

C’est avec ce sourire pétillant que Chadia el-Khazen est entrée dans la vie de Ghassan Tuéni. Il fallait une bonne dose de sagesse et autant d’intelligence pour vivre aux côtés de cet homme d’une envergure exceptionnelle, mais pas si simple, habité de contradictions fulgurantes, et d’une histoire marquée d’une succession cruelle de tragédies auxquelles il a élégamment survécu. Ainsi, elle a su l’accompagner dans son rythme effréné, partager son sens de la vie, et ses légendaires humour et générosité.

Elle a intégré avec beaucoup d’humilité cette maison de Beit-Méry tant imprégnée de poésie. Avec infiniment de délicatesse, elle a insufflé le renouveau entre ses murs, là où le souvenir des morts avait tendance à exercer sa tyrannie. Pour conjurer celle-ci, elle a ouvert la demeure à l’air qui circule, aux jours à venir, à l’ombrage des arbres, à la salubrité de la nature, à la mobilité du temps.

Avec beaucoup de grandeur d’âme, elle lui a été fidèle, jusqu’à son dernier souffle. Fidèle à son esprit, à sa famille, à ses amis, à sa mémoire dont elle était dépositaire. Sans relâche, contre vents et marées, elle s’est attelée à la conserver, s’attaquant à un corpus d’un nombre incalculable de documents qui attestent de son parcours et de sa pensée qui avaient contribué à la vitalité de notre pays, aujourd’hui à vau-l’eau.

Je me souviendrai toujours du moment où je l’ai vue pour la dernière fois.

Je m’apprêtais à m’en aller, quand elle m’a saisi la main en la serrant très fort.

On est restées ainsi pendant quelques minutes si intenses que, sans un mot, tout était dit.

Que la paix soit avec toi, Chadia. À coup sûr, tu nous manqueras.