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Idées - Budget 2002

Le Conseil constitutionnel doit siffler la fin de la récréation

Le Conseil constitutionnel doit siffler la fin de la récréation

L’entrée du siège du Conseil constitutionnel. Photo ANI

Depuis son entrée en vigueur, le 15 novembre dernier, la loi de finances pour 2022 ne cesse d’être contestée, notamment par la plupart des acteurs économiques internes, voire des institutions comme la Banque mondiale. Les critiques adressées au texte sont bien trop nombreuses pour être développées en détail, mais de toute évidence il s’agissait surtout de respecter « formellement » les conditions de l’accord-cadre conclu avec le Fonds monétaire international, sans s’embarrasser des autres objectifs, qui sont pourtant la raison d’être d’un budget : donner à voir les grandes orientations de réforme et de planification financières et économiques dans le contexte de dégradation monétaire et financière actuelle. On peut aussi dénoncer le choix de « la facilité » consistant à tenter d’augmenter les recettes via de nouveaux impôts ou taxes – parfois rétroactives – sur les particuliers et les entreprises, plutôt que de s’attaquer à la suppression de nombreuses dépenses inutiles.

C’est donc dans un contexte de défiance généralisée que le Conseil constitutionnel (CC) devrait rendre, la semaine prochaine, sa décision sur le recours en inconstitutionnalité déposé contre la loi de finances par un groupe de 12 députés le 28 novembre dernier. Si le CC possède la compétence de contrôler toutes les dispositions de la loi, y compris celles non mentionnées par les requérants, la dizaine de griefs soulevés par les députés dans le cadre de leur saisine suffit à souligner les nombreuses entorses auxquelles ont eu recours, cette année encore, les députés pour parvenir à leur fin.

Violation des délais

Tout d’abord, et conformément à ce qui est malheureusement devenu une tradition libanaise, le Parlement a approuvé le budget 2022 – ensuite publié au Journal officiel – sans que cela ne soit précédé de l’approbation d’une loi de règlement qui arrête le montant définitif des recettes et des dépenses budgétaires ainsi que le solde budgétaire d’exécution relatifs à l’année précédente. C’est une violation pure et simple de l’article 87 de la Constitution, qui stipule que « les comptes définitifs de gestion financière de chaque année doivent être présentés au Parlement pour approbation avant la publication du budget ». Dans sa jurisprudence, le CC a d’ailleurs souligné que l’approbation du budget sans clôturer les comptes viole le principe de la séparation des pouvoirs de sorte que le pouvoir législatif devient incapable d’exercer un contrôle sérieux sur le pouvoir exécutif (décision n° 2 du 14/5/2018).

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Ce n’est certes pas une nouveauté : la dernière loi de règlement approuvée par le Parlement remontant à l’année 2004 - et concernait le budget de 2002. Cependant, lorsque les autorités ont enfin renoué avec l’exigence d’adoption d’un budget en 2017 – après douze années d’interruption –, elles ont renoncé à faire adopter une loi de règlement et pris soin de camoufler cette violation constitutionnelle par une astuce consistant à introduire dans la loi de finances de l’époque un article (n° 65) qui autorise la promulgation du budget sans loi de règlement et accorde au gouvernement un délai supplémentaire pour préparer et finaliser les comptes. Si cette pratique a été reprise pour les budgets suivants – via, cette fois, l’adoption de lois exceptionnelles entérinant cette entorse avant la promulgation du budget –,

cela n’est même plus le cas s’agissant du budget 2022.

Ensuite, et là encore comme de coutume, la loi du budget 2022 ne respecte pas les délais constitutionnels dans sa préparation et sa promulgation. Le Conseil des ministres a approuvé le texte le 10 février dernier et le Parlement l’a voté le 26 septembre, ce qui traduit une fois encore un dépassement important aux délais fixés dans les articles 32, 83 et 86 par la Constitution. Or, selon les termes du CC lui-même, « étant donné que les délais constitutionnels sont liés à la légitimité constitutionnelle et au principe de sécurité législative, et ne sont pas de simples procédures de nature exécutive et doivent être respectés » (décision n° 2 précitée). Et si les circonstances exceptionnelles constituent la seule justification pour déroger à ces délais, force est de constater que les autorités ne peuvent se prévaloir d’aucune circonstance de ce type en ce qui concerne l’élaboration, l’étude et l’approbation du budget 2022.

Insécurité normative

En outre, la loi de finances actuelle renferme de nombreux cavaliers budgétaires, c’est-à-dire des dispositions qui ne devraient pas être incluses dans le texte, mais introduites par des lois ad hoc : c’est le cas par exemple de l’article 16 qui proroge la loi sur l’interdiction des actes de vente des propriétés dans la région d’Achrafieh affectées par l’explosion du 4 août 2020. De même, de nombreux articles du budget renvoient à des articles trouvés dans d’autres lois, ce qui viole le principe de la sécurité législative. Les principes et techniques de rédaction législative imposent de réécrire complètement le texte de loi, et pas seulement de s’y référer et de fragmenter les articles de la loi en plusieurs lois différentes.

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Par ailleurs, on peut aussi faire valoir que le relèvement de plusieurs taux d’imposition (impôt sur les revenus, TVA, taxes douanières...) pourrait s’avérer lui aussi être non conforme dans la mesure où ces relèvements ne tiennent pas compte du principe d’imposition selon les capacités contributives des contribuables – et plus concrètement sur le volume d’activité réel des personnes physiques et morales –, auquel le CC a déjà reconnu une valeur constitutionnelle en 2017 (décision n° 5 du 22/9/2017 et décision n° 2 du 14/5/2017).

De même, la détermination des nouvelles taxes et redevances n’a pas été basée sur un taux de change officiel clair et unifié, ce qui a provoqué de facto une multiplicité des normes appliquées sur les taxes de même nature. Cela pourrait être interprété comme une violation du principe de la justice fiscale et de l’égalité devant les charges publiques consacrées dans l’article 7 de la Constitution.

Au regard de l’énumération – non exhaustive – des violations à la loi fondamentale, on voit donc mal comment, sur le plan strictement juridique, le CC pourrait ne pas proclamer l’invalidation de la loi de finances dans son intégralité. Les observateurs les plus cyniques pourront certes rétorquer que l’essentiel de ces violations concernaient aussi les textes précédents et, qu’au Liban, les principes de constitutionnalité ne cessent de toute façon d’être malmenés quels que soient les sujets... Mais au vu de sa jurisprudence constante et du climat politique, économique et social actuel, le gardien de la Constitution a une véritable opportunité de siffler, cette fois, « la fin de la récréation ». À lui de la saisir !

Par Judith EL-TINI

Avocate en droit public.

Depuis son entrée en vigueur, le 15 novembre dernier, la loi de finances pour 2022 ne cesse d’être contestée, notamment par la plupart des acteurs économiques internes, voire des institutions comme la Banque mondiale. Les critiques adressées au texte sont bien trop nombreuses pour être développées en détail, mais de toute évidence il s’agissait surtout de respecter...

commentaires (1)

Tout ce que veut la canaille politichienne c'est organiser son impunite dans les actes de corruption et pouvoir poursuivre son pillage du pays. Malheureusement, ils ont reussi a pourrir la justice du pays. Et le conseil constitution'el n'echappe pas a la regle.

Michel Trad

10 h 09, le 24 décembre 2022

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Commentaires (1)

  • Tout ce que veut la canaille politichienne c'est organiser son impunite dans les actes de corruption et pouvoir poursuivre son pillage du pays. Malheureusement, ils ont reussi a pourrir la justice du pays. Et le conseil constitution'el n'echappe pas a la regle.

    Michel Trad

    10 h 09, le 24 décembre 2022

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