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Culture - Livre

Quand un ancien professeur du Grand-Lycée de Beyrouth publie sa correspondance avec ses élèves

De passage au Liban pour la signature de son nouvel ouvrage « Je ne laisserai personne dire que 20 ans... » (éditions Complicités), Jean-Claude Morin a rencontré, avec beaucoup d’émotion, ses anciens élèves du Grand-Lycée franco-libanais de Beyrouth, venus très nombreux retrouver « Monsieur le professeur ».

Quand un ancien professeur du Grand-Lycée de Beyrouth publie sa correspondance avec ses élèves

Jean-Claude Morin : « J’ai laissé les lettres se donner rendez-vous les unes aux autres. » Photo DR

« J’avais 20 ans. Je ne laisserai personne dire que c’est le plus bel âge de la vie. » C’est en pensant à la fameuse phrase de Paul Nizan que Jean-Claude Morin a choisi le titre de son nouvel ouvrage : Je ne laisserai personne dire que 20 ans… (aux éditions Complicités). Professeur de littérature, né à Taza au Maroc, Morin a occupé le poste d’enseignant au Liban (Grand Lycée franco-libanais) de 1965 à 1986. Il a aussi enseigné à l’Université Saint-Joseph, « mais le noyau de base demeure le Lycée franco-libanais, dit-il, où j’ai accompagné durant 21 ans des élèves du second cycle ». Invité au Liban, avec son éditeur Olivier Petot, par la Librairie Antoine pour signer son nouvel opus, Je ne laisserai personne dire que 20 ans… (aux éditions Complicités), un recueil de lettres écrites par ses élèves de France et du Liban, c’est avec une grande émotion qu’il a retrouvé le pays de Georges Schéhadé, comme il aimait tellement à décrire le Liban. « Je pourrais employer les termes les plus emphatiques que ce ne serait pas suffisant pour parler de ce pays que j’aime, confie le professeur, mais je serais sincère. »

« C’est un pays qui est pour moi au cœur du cœur. Je l’ai aimé intensément et il a eu au départ un parrain extraordinaire en la personne de Georges Schéhadé. Je terminais ma mission à Madagascar et j’étais en route pour le Maroc, lorsqu’un ami qui me connaissait amoureux du théâtre me présente à lire La soirée des proverbes de Georges Schéhadé. Tu vas aimer, me dit-il. J’ai tellement aimé que j’ai postulé pour un poste à Beyrouth, confie Jean-Claude Morin à L’Orient-Le Jour. À cette époque, tout le monde voulait aller au Liban, il y avait cette brochure qui vantait les qualités de la vie beyrouthine, ski alpin le matin et ski nautique le soir. Dans ma lettre de motivation, j’eus la bonne idée de terminer en disant : J’aimerais infiniment venir dans le pays de Georges Schéhadé, qui plus tard me fera l’honneur immense de devenir un ami. Et comme je considère la relation entre un élève et son enseignant comme un facteur-clé de la réussite scolaire, durant toute ma carrière, c’était les élèves dont je me rapprochais. »

La transmission n’est pas la qualité principale

Professeur guide, conseiller, ami, proche de ses élèves qu’il aimait retrouver à la récréation, Jean-Claude Morin aime à évoquer ses années de bonheur au Grand Lycée. « J’ai essayé d’assumer tous les rôles, et quand la cloche sonnait, j’attendais que l’on vienne me questionner. J’ai toujours fait en sorte d’être à leur disposition, même une fois le cours terminé, je ne prenais pas la porte rapidement. Il m’arrivait souvent de marcher dans la cour, des fois qu’un élève se serait souvenu d’une question. Je partageais des cafés dans le petit restaurant à côté du lycée où j’allais souvent retrouver mes élèves. Les mots échange, partage, fraternité résument le mieux ce que je considère comme étant le devoir d’un enseignant. Toutes proportions gardées et sans vouloir me comparer à Platon, c’était le message qu’il envoyait lorsqu’il rencontrait ses disciples. Je n’ai jamais pensé qu’un cours devait s’arrêter à la cloche. Il y a une autre cloche qui sonne, et c’est celle qui consiste à répondre à des questions, à préciser des informations et aussi à permettre à des jeunes de prendre la plume. »

Lorsqu’on lui demande quelles sont les qualités principales d’un enseignant, étrangement, il ne répond pas ce que la plupart des enseignants auraient répondu, à savoir : la transmission ! Et d’affirmer : « J’ai beaucoup surpris mes interlocuteurs lorsque je confiais que la transmission n’était pas la qualité que je placerais au premier plan, mais plutôt : l’écoute, le respect, l’objectivité qui consiste à ne pas avoir de parti pris, même si je mets au défi un professeur de me dire le contraire. Dans une classe, il arrive souvent que l’on ait des affinités avec un élève. Quand c’était le cas pour moi, je relisais la copie trois fois plutôt qu’une ! Et la transmission arrivait en 4e position. Les lettres que je recevais de la part des élèves le prouvent… »

Dans les pointillés de notre relation

« Ce ne sont pas les meilleurs élèves qui ont pris la plume, et pourtant quand ils se sont mis à écrire, il y avait chez eux la recherche du mot qui pouvait, dans la mesure du possible, répondre aux attentes de la personne qui les lirait », indique le professeur de français qui ne cache pas son amertume en constatant par ailleurs : « La venue du portable a fait que les jeunes ont déserté l’écriture. »

La nouvelle génération écrit de moins en moins, elle s’est détournée de l’écriture et même des mots, les considère comme désuets, d’un autre temps. Jean-Claude Morin voulait rappeler aux élèves, à travers cet ouvrage qui est une collection de lettres à un professeur de français, qu’ils disposent d’un moyen irremplaçable pour s’exprimer. « Les mots écrits, c’est la plus belle invention de l’humanité », ne cesse-t-il de répéter. Toutes ces lettres ont évidemment reçu des réponses que Morin n’a pas incluses dans l’ouvrage. « J’ai vraiment voulu mettre l’accent sur le mouvement qui les a poussés à prendre la plume. Je n’ai pas classé les lettres, j’ai laissé faire le hasard et appliqué la phrase d’Éluard : Il n’y a pas de hasard, il n’y a que des rendez-vous. J’ai laissé les lettres se donner rendez-vous les unes aux autres. » Le professeur de français reste néanmoins convaincu qu’on est toujours capable de revenir aux mots, « encore faut-il avoir l’impulsion nécessaire et le sentiment que ce n’est pas un jeu vain ». Si certaines lettres étaient écrites par des élèves durant leur scolarité, d’autres ont été rédigées par des anciens, devenus étudiants à l’université. « Je ne me souviens pas avoir demandé aux élèves de m’écrire, je pense qu’ils sentaient que c’était possible, c’est quelque chose qui était dans les pointillés de notre relation. » Et de conclure : « J’avais beaucoup d’appréhension quant à ce rendez-vous 40 ans plus tard, j’ai retrouvé dans ce pays une qualité qu’on ne retrouve plus en France, qui est la capacité d’accueil. J’ai vu des gens qui ne baissaient ni les yeux ni la tête. Il y a une telle fierté... Le sourire est toujours là, malgré la misère et les problèmes. C’est pourquoi, à l’inverse de beaucoup d’autres, je fais confiance à ce pays et je reviendrai, j’espère. »

(*) « Je ne laisserai personne dire que 20 ans… Lettres à un professeur de français », Jean-Claude Morin. Aux éditions Complicités, disponible à la Librairie Antoine.

« J’avais 20 ans. Je ne laisserai personne dire que c’est le plus bel âge de la vie. » C’est en pensant à la fameuse phrase de Paul Nizan que Jean-Claude Morin a choisi le titre de son nouvel ouvrage : Je ne laisserai personne dire que 20 ans… (aux éditions Complicités). Professeur de littérature, né à Taza au Maroc, Morin a occupé le poste d’enseignant au Liban...

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