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Culture - Exposition

À Paris, les appartements abandonnés de Beyrouth et leur « résilience tranquille »

Les photographies de Salwa Fathallah sont accrochées sur les cimaises de la mairie du 13e arrondissement, dans le cadre d’un événement culturel, artistique et humaniste qui met à l’honneur les droits humains.

À Paris, les appartements abandonnés de Beyrouth et leur « résilience tranquille »

Les appartements désertés de Beyrouth constituent, pour la photographe Salwa Fathallah, « une force tranquille dans leur solitude ». Photo DR

Chaque année, la journée du 10 décembre célèbre la proclamation de la Déclaration universelle des droits de l’homme. C’est dans cette perspective que la conseillère d’arrondissement Marie Atallah a organisé avec le soutien du maire du 13e, Jérôme Coumet, une programmation riche et variée autour de thématiques transversales comme les prisons, les parcours migratoires, la traite des êtres humains par le travail… Différentes associations de défense des droits humains participent à l’événement, comme Amnesty International, le Comité national contre l’esclavage moderne, dirigé par la Libanaise Mona Chams, ou encore la Ligue des droits de l’homme. « Tout en montant des projets avec les associations, j’ai souhaité m’intéresser à la situation de certains pays qui me tiennent à cœur, comme le Maroc, le Liban, la Syrie ou l’Irak. J’ai choisi l’art comme fil conducteur de la programmation, avec des projections de film, des concerts, des lectures », précise Marie Atallah.

Les appartements désertés de Beyrouth constituent, pour la photographe Salwa Fathallah, « une force tranquille dans leur solitude ». Photo DR

Lundi soir, l’exposition photographique de Salwa Fathallah « Lignes invisibles : appartements témoins de Beyrouth » a été inaugurée à la galerie Athéna de la mairie. La photographe libanaise propose une cinquantaine de clichés et deux installations autour d’intérieurs d’habitats désertés, que ce soit pendant la guerre civile, ou plus récemment à cause de la conjoncture globale et de la double explosion du 4 août 2020. « Aujourd’hui, c’est tout un peuple qui est pris en otage, et ce que j’aime dans le travail de Salwa, c’est qu’il reflète bien un pays vidé de ses habitants ; en suspens, ils attendent de pouvoir revivre après avoir assisté à l’effondrement de leur pays », commente Marie Atallah.

L’exposition photographique de Salwa Fathallah « Lignes invisibles : appartements témoins de Beyrouth » a été inaugurée à la galerie Athéna de la mairie du 13e à Paris. Photo DR.

Salwa Fathallah a commencé sa série photographique en 2020. « J’ai été frappée par la solitude (de ces intérieurs) dans un monde qui bascule, le grand sentiment d’abandon qui s’en dégage, mais aussi par leur résilience tranquille. J’ai choisi le parti pris de poser mon regard sur des photographies numériques, et de fabriquer de nouvelles images en noir et blanc, pour les mettre à distance et renforcer le silence qui en émane, dans une confrontation du collectif et de l’intime », confie celle qui partage une lecture de ces espaces abandonnés au prisme de ses yeux d’architecte. Le corpus présenté dessine une évolution du lien entre les hommes et leur habitat, avec « la séparation nuit/jour dans les appartements modernes des années 60, les balcons carrés qui ont laissé la place aux balcons filants et qui se sont fermés au fur et à mesure par des baies vitrées jusqu’à disparaître au profit d’une façade vitrée dans le salon, le balcon de la cuisine devenu avec le temps cellier ou buanderie ». Considérés par l’artiste comme « les gardiens de la cité et d’une mémoire collective », ces lieux désertés constituent pour la photographe « une force tranquille dans leur solitude ».

La trace indélébile de ceux qui ont quitté leur pays

Après la visite de l’exposition, la soirée inaugurale a reçu quelques écrivains qui ont fait résonner leurs mots et leurs voix avec les intérieurs abandonnés. La romancière irakienne Inaane Kachachi, auteure de Dispersés (traduit de l’arabe chez Gallimard, 2016), en a lu un extrait, qui évoque une arrivée en Amérique criblée de questions. « Êtes-vous heureuse ici ? Que pensez-vous de ce qu’il se passe là-bas ? Êtes-vous en contact avec votre famille ? À combien s’élève votre facture de téléphone ? Le téléphone est son lien avec la famille. Il transporte leurs voix et les nouvelles de leurs petites querelles, de leurs envies, de leurs baisers. (…) Elle ne sait pas comment révéler à ce journaliste les angoisses de son être partagé entre les villes et les continents. »

Lors du vernissage de l’exposition photographique de Salwa Fathallah « Lignes invisibles : appartements témoins de Beyrouth » à la galerie Athéna de la mairie du 13e à Paris. Photo DR.

Les mots de l’autrice syrienne Maha Hassan, auteure de Femmes d’Alep (Skol Vreizh, 2022), ont évoqué des maisons alépines délaissées ou disparues. « La maison de ma mère s’est effondrée et ma mère est morte. Je suis là, aujourd’hui, mais j’ai perdu la certitude de mon existence. Peut-être ne fais-je que rêver que je suis ici alors que je suis encore là-bas ? » Pour son choix d’auteurs libanais, Marie Atallah a tenu à inviter des écrivains de deux générations différentes. « Yasmine Khlat, qui a reçu le prix de la Francophonie en 2011, appartient à la génération de la guerre civile, et elle écrit sur sa mémoire et son exil dans Égypte 51. Dans son texte, le public a retrouvé la tristesse douce et poétique des photographies de Salwa Fathallah, qui rappellent que le départ des exilés laisse immanquablement une trace. » « Ils sont partis comme ils étaient venus, toujours un peu affolés et distraits, oubliant quelques affaires et ces lettres que vous venez de lire. » Quant à Sabyl Ghoussoub, lauréat du Goncourt des lycéens de cette année, il appartient à la seconde génération de la diaspora. Dans Beyrouth-sur-Seine (Stock, 2022), il propose un dialogue avec sa famille sur deux cultures, deux modes de vie, deux espaces », surenchérit Marie Atallah. « Aller à l’encontre des siens me semble être l’une des seules positions politiques respectables », sont les mots qui ont terminé la lecture de Sabyl Ghoussoub. C’est ensuite au tour de migrants afghans de témoigner de leurs parcours. « Ils constituent la première vague de jeunes qui ont quitté leur pays et qui sont arrivés en France sans papiers, avec des passeurs, avant tous ceux qui arrivent aujourd’hui par la Méditerranée. L’idée est de donner une portée universelle à l’exil. Ces migrants évoqueront les conditions de leur départ, le regard qu’ils portent aujourd’hui sur leur pays d’origine et comment ils arrivent à vivre en France », explique la conseillère d’arrondissement. La musicienne irakienne Nahla Jajo, qui était violoniste à l’Orchestre national de Bagdad, a ensuite interprété deux chansons de Feyrouz, Bhebbak ya Loubnan et Baghdad. La soirée s’est achevée dans une atmosphère joyeuse et conviviale autour d’un buffet libanais offert par le restaurant Ya Bayté et le Forn Raad.

Chaque année, la journée du 10 décembre célèbre la proclamation de la Déclaration universelle des droits de l’homme. C’est dans cette perspective que la conseillère d’arrondissement Marie Atallah a organisé avec le soutien du maire du 13e, Jérôme Coumet, une programmation riche et variée autour de thématiques transversales comme les prisons, les parcours migratoires, la traite...

commentaires (3)

C'est un Requiem de Beyrouth que la photographe nous a réparé..?Je regrette, mais Beyrouth ne sera pas enterrée, mais renaîtra; l'avenir nous le confirmera.

Ziadé Samir

16 h 52, le 09 décembre 2022

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Commentaires (3)

  • C'est un Requiem de Beyrouth que la photographe nous a réparé..?Je regrette, mais Beyrouth ne sera pas enterrée, mais renaîtra; l'avenir nous le confirmera.

    Ziadé Samir

    16 h 52, le 09 décembre 2022

  • C'est un Requiem de Beyrouth, que la photographe nous a préparé...Mais Je regrette; Beyrouth ne sera pas enterrée si vite...l'avenir nous le dira.

    Ziadé Samir

    16 h 49, le 09 décembre 2022

  • Beau et triste.

    Marie Claude

    10 h 23, le 07 décembre 2022

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